Supprimer la taxe d’habitation pour 80 % des Français, une idée typiquement parisienne

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 22 septembre 2017 à 5h00
Taxe Habitation Exoneration Emmanuel Macron
1 %La taxe d'habitation a progressé de 1 % en moyenne en 2016 dans les villes de plus de 100 000 habitants.

Cette proposition du candidat Macron était l’une des plus électoralistes et les plus surprenantes d’un programme souvent à la fois courageux et mesuré.

Maintenant qu’il faut bien appliquer ce qui a été promis à 80 % des électeurs, elle apparaît au grand jour pour ce qu’elle est : un contresens et un pari hasardeux sur la « refonte de la fiscalité locale » selon l’annonce du Président au Sénat le 18 juillet dernier. Cette suppression, en privant les collectivités locales de la plus grosse part d’une taxe pesant 36 % de leurs ressources propres, va inutilement alourdir la tutelle de l’Etat que la dotation globale de fonctionnement (15 % de leurs ressources totales) suffit à faire peser sur elles. Un véritable pacte girondin viserait au contraire à renforcer progressivement leur autonomie budgétaire et la responsabilité des élus. Quant à la promesse de compensation à l’euro près, qui permet de s’interroger sur l’intérêt de la mesure, l’état général des finances publiques comme nos engagements à l’égard de la Commission Européenne nous permettent d’en deviner la précarité. Nous n’aborderons pas ici la question de la constitutionnalité de cette disposition du projet de loi de finances ni celle de son équité, puisqu’elle revient en réalité à donner par la bande un coup de pouce à la progressivité de l’impôt sur le revenu.

La « suppression » (partielle) de la taxe d’habitation est une bien trop étroite façon de remédier la décentralisation « Deferre » qui a ouvert les vannes de la dépense publique locale, multiplié les fonctions publiques et qui explique à elle seule une bonne partie de l’écart de compétitivité et d’efficacité de la France par rapport à ses principaux partenaires, ainsi que «l’asphyxie de son secteur privé par son secteur public ». Actée sans réorganisation d’ensemble des services publics territoriaux et truffée de péréquations fiscales porteuses d’opacité et d’irresponsabilité budgétaires, elle a rapidement produit tous ses effets « d’inefficacité-coût » : les dépenses des administrations publiques locales (APUL) sont passées de 8,6 % du PIB en 1983 à 11,4 en 2015, le poids de la fonction publique territoriale représente 7 % de l’emploi total, un niveau sans équivalent dans les pays de l’OCDE pour une efficacité comparative discutable. Le traitement des effets de ce laxisme généralisé et durable, le millefeuille territorial, appelle une réforme méthodique globale d’une autre envergure qu’un croc-en-jambe fiscal hasardé. Une réforme respectueuse des élus et des citoyens devrait être guidée que par le principe de subsidiarité, la redistribution du pouvoir à la base et la responsabilisation de chaque échelon. C’est ainsi que l’on contiendrait l’échange malsain de l’allégeance contre la subvention. Une approche purement technocratique de la réforme, qui se voudrait politiquement neutre, ne fera que renforcer cette « corruption ».

La taxe d’habitation est en fait un des impôts les plus légitimes et les mieux acceptés (mieux que la taxe foncière qui représente 39 % des ressources propres de collectivités territoriales). Chacun comprend que son habitation génère un besoin de services collectifs, qu’il soit locataire ou propriétaire occupant : état-civil, crèches, écoles, entretien, fonctionnement des équipements collectifs sportifs et culturels… Et chacun sait que cela implique une participation, une contribution financière de sa part, sauf à accepter de devenir un passager clandestin au sein de sa collectivité. L’aspect redistributif de la contribution, qui devrait en théorie être proportionnelle à la surface occupée par l’habitant dans chaque commune et à l’emplacement de son logement, est également bien admis en principe. On se souvient que le gouvernement Thatcher est tombé sur le projet de poll tax, impôt de capitation local, qui remettait en cause cette mutualisation redistributive. A l’inverse, nul n’avait encore osé proposer une exonération fiscale pour une majorité de citoyens que personne ne réclamait sans dire un mot sur le financement de ce cadeau électoral.

La voie d’une réforme globale, courageuse et de bon sens était pourtant toute tracée : elle consistait à combiner vérité fiscale, autonomisation budgétaire, renforcement du contrôle citoyen et déconcentration du pouvoir d’Etat.

Le problème à résoudre en matière de fiscalité locale est celui de l’ancienneté des « valeurs locatives cadastrales » (non revues depuis 1960 pour le « non bâti » et depuis 1970 pour le « bâti »). Cette vétusté appelle plus une actualisation des bases que la suppression d’un impôt. Si une action centrale forte devait avoir lieu en ce début de mandat, c’était bien de mettre les élus locaux en demeure de boucler cette révision qu’ils renâclent majoritairement à mettre en œuvre étant donné son impopularité. En fixant une date butoir pour cette révision (fin 2018 par exemple) le Gouvernement les aurait ainsi légitimement contraints à ne pas la différer plus longtemps et ceux-ci auraient pu arguer auprès de la population de cette contrainte insurmontable. Manquer cette opportunité de faire la vérité fiscale est d’autant plus regrettable que cette option consistait simplement à étendre la politique de « révision de la valeur locative des locaux professionnels (RVLLP) ». Engagée en 2011, puis testée et enfin ajustée en 2015-2016, cette révision est effective depuis le 1er janvier 2017. Elle sert dès 2017 de base au calcul de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (« CFE », qui a succédé à la « taxe professionnelle »), et des transitions sont prévues pour lisser dans le temps les chocs fiscaux. L’ancien ministre de l’économie de François Hollande avait sous les yeux un bon exemple de réforme fiscale juste, simple et progressive consistant à réajuster les assiettes fiscales et à en étaler les effets. Trop simple sans doute.

Réduire le « millefeuille » territorial et maîtriser la dépense publique locale passent par une articulation de cette opération vérité sur le plan fiscal avec un accroissement de l’autonomie budgétaire des collectivités territoriales visant à rendre les élus plus responsables devant leurs électeurs, seul vrais contrôleurs ultimes. Ce serait cela le renouveau démocratique annoncé par les tracts électoraux, pas un énième remake d’une recentralisation par augmentation de la dépendance budgétaire à l’égard d’un Etat qui se croit le mieux placé pour décider. Le courage politique en ce début de mandature eût été là encore de décider la réduction progressive du volume des transferts financiers de l’Etat aux collectivités territoriales (30 % de leur budget) afin de les pousser à des politiques de dépense adaptées à leur moyens, en les renforçant bien entendu par une péréquation (simplifiée si possible) des ressources entre collectivités locales, expression de la solidarité interterritoriale au plan national, plus que de la générosité de l’Etat central. Le levier le plus opérationnel eût été la poursuite de la réduction engagée de la dotation globale de fonctionnement de l’Etat aux collectivités locales (15 % des ressources des collectivités), moins 11 Mds € entre 2014 et 2017, quitte à l’accentuer, sans pour autant procéder à une « baisse brutale ». L’incitation à « procéder aux réorganisations nécessaires à partir de logiques de terrain » consisterait à abonder les dotations pour investissement au vu des économies de fonctionnement réalisées. La prévisibilité de ce resserrement des ressources externes favoriserait l’émergence d’une gestion plus efficiente des collectivités territoriales et contribuerait au rééquilibrage d’ensemble des finances publiques, alors que la compensation de recette ne va qu’augmenter le déficit budgétaire national.

L’articulation d’une autonomisation budgétaire croissante des collectivités publiques à une politique de vérité en matière d’assiette fiscale se traduisant mécaniquement par une pression fiscale accrue (susceptible d’être compensée par une réduction des taux), aurait pour effet bénéfique indirect de renforcer la vigilance des citoyens-électeurs touchés au portefeuille et leur perception de l’interdépendance entre les dépenses et la fiscalité locales.

Le troisième acte de courage serait de renforcer le pouvoir déconcentré de l’Etat pour s’assurer de la cohérence d’ensemble de la reconfiguration territoriale, en faisant une chasse systématique aux doublons pour améliorer le rapport efficacité-coût, numérisation aidant, des services collectifs et, par voie de conséquence, pour diminuer les dépenses publiques, et, seulement alors, des impôts. C’est largement parce que l’Etat au départ de la décentralisation a laissé faire une décentralisation clientéliste que nous en sommes là. C’est pourquoi le succès de la réorganisation territoriale passe aussi par le renforcement du pouvoir arbitral des Préfets sur le terrain. Le rôle de l’Etat n’est pas de recentraliser, mais d’accompagner une décentralisation responsable par une déconcentration audacieuse. L’Etat et toutes les structures publiques nationales devraient elles mêmes se reconfigurer selon une logique de subsidiarité. Cette orientation fait l’objet d’une annonce timide, il faut s’en réjouir et la soutenir, non pas la craindre.

Une exonération fiscale non financée et un accroissement inutile de la dépendance des collectivités territoriales à l’égard des administrations centrales compromettent malheureusement les chances de parvenir à une meilleure efficience de l’administration territoriale, de réduire son coût de fonctionnement et d’améliorer l’attractivité de nos territoires. Ce n’est pas en accentuant le « mal français » que l’on va faire repartir la France de l’avant. C’est moins du mot « pacte girondin » que de la chose dont notre pays a besoin.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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