Les traités commerciaux : la stratégie de l’endiguement

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Par Olivier de Maison Rouge Modifié le 19 août 2018 à 12h41
Accords Commerciaux Tafta Tisa Etats Unis Europe

Au titre des autres formes de menaces, afin de dépasser l’échec de l’OMC, les USA ont saisi l’opportunité de conclure des traités bilatéraux, où l’économie se substitue aux pactes de défense. Ainsi, en Asie, où le Trans Pacific Partnership Agreement (TPP) de septembre 2015 serait l’incarnation économique de ce qu’est l’ASEAN en matière militaire, le TAFTA serait celle de l’OTAN, permettant de renforcer davantage la prééminence d’un système économique.

Il s’agit de la nouvelle politique américaine d’endiguement (containment en anglais) non plus politique ou militaire mais économique, où, après avoir verrouillé l’Asie, excluant du TPP la Chine et l’Inde notamment, les USA œuvrent à affirmer davantage leur prégnance économique et financière, par voie de standards juridiques et commerciaux imposés, tirant les relations d’affaires à l’Ouest pour mieux détacher l’Europe de ce qui se dessine à l’Est. Cette stratégie est complétée par celle du roll-back actuellement infligé à la Russie. Frédéric FARAH, professeur d’économie (Paris III) estime que le futur traité : « dilue définitivement l’UE dans une vaste zone de libre-échange rendant encore plus difficile tout projet politique européen. J’appelle ça la ruse de l’histoire. » (…). « Il faut bien comprendre que le TAFTA vise à contrer la montée en puissance de la Chine ».

Si la France a été assez atone sur sa négociation, en dépit de volte-face de posture enregistrée en août 2016, l’Allemagne a bien avant vu naître des mouvements d’oppositions très bien décryptés par le site Internet de réflexion sur la guerre économique infoguerre.fr. La raison portée par les contestataires est la crainte de voir s’aligner les normes en matière d’hygiène alimentaire et d’environnement sur le moins-disant, sujet auquel les écologistes germains sont très sensibles. Ce qui est décrié est aussi la manière dont la négociation se déroule. Il a fallu faire pression sur la Commission européenne pour connaître le contenu du mandat ayant conduit aux pourparlers. Les parlementaires français ont accès aux documents de discussion dans des conditions draconiennes, augmentant ce sentiment d’opacité.

Il est certain qu’un tel acte commercial international, s’il devait voir le jour, traduirait sans doute un nouvel effacement du droit romano germanique au profit du common law anglo-saxon. Pour s’en convaincre, il convient de revenir sur le mécanisme de règlement des différends, dénommé ISDS (Investor-State Dispute Settlement) qui pourrait être intégré dans le traité. Il s’agit d’une disposition permettant notamment aux entreprises de saisir un tribunal arbitral privé (siégeant à Washington, selon la procédure américaine et en langue anglaise) aux fins, notamment, de pouvoir être indemnisées en raison de législations nationales déclarées contraires aux principes du traité de libre-échange. En d’autres termes, et c’est ce qui ne manque pas d’alarmer des opposants sincères au traité, une société commerciale peut attraire un Etat en vue de voir des lois allant à l’opposé de leurs intérêts économiques être compensées financièrement, voire annulées comme cela a pu se produire par ailleurs. D’aucuns pensent notamment à des lois environnementales, sociales ou au principe de précaution bien que constitutionnel. Ce faisant, les arbitres jugeraient non pas en regard de l’intérêt général, qui prévaut en droit européen, mais selon les avantages commerciaux prétendument bridés par des textes législatifs souverains.

« Il est évident que la mondialisation économique, mais aussi sociale et intellectuelle, formate le droit, non seulement le droit international mais aussi les droits internes » . Ce faisant, en amenant le contient européen à adopter le système juridique anglo-saxon, il nous faut constater que « l’arme du droit est déployée dans la guerre d’influence que les différentes places se livrent pour s’imposer comme le lieu ou la référence incontournables pour faire des affaires » . Lors de travaux menés à Bruxelles auxquels nous avons participé, il a été révélé qu’un élément a été exclu du TAFTA : les services. En effet, si le TAFTA a pour objectif la libre circulation des biens, les services ont été rapidement exclus des négociations, en raison d’obstacles prétendument incontournables sur le principe de service public, notion européenne étrangère aux principes libéraux américains. Toutefois, ces derniers n’ont pas abdiqué et les services sont précisément au cœur d’un autre traité en cours de discussion : le TISA. Négocié dans la même opacité que le TAFTA, les dernières révélations montrent que les participants aux discussions travaillent à libéraliser davantage les services, tous les services y compris ceux qui se situent en dehors du champ concurrentiel, en instituant un « traitement non-discriminant », sauf exception.

Pour l’heure, privilégiant les relations bilatérales, l’Administration Trump a suspendu les discussions.

Ceci est un extrait du livre « Penser la guerre économique » écrit par Olivier de Maison Rouge paru aux Éditions VA Press. (ISBN-13 : 979-1093240664). Prix : 18 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions VA Press.

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Olivier de Maison Rouge est auteur de « Penser la guerre économique » (Éditions VA Press).

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