La Chine est-elle en train de réussir une transition vers un nouveau modèle de croissance ?

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Par BSI-Economics Publié le 13 mai 2014 à 2h48

La Chine met en œuvre depuis la fin des années 1970 un modèle de croissance, dit "capitalisme d’état", très largement tourné vers l’investissement des entreprises publiques et le développement des exportations au détriment de la consommation privée. Le modèle de croissance chinois a eu des bienfaits incontestables (forte élévation du PIB par tête, gains de parts de marché à l’international), cependant, un tel modèle, basé sur l’investissement public à outrance et tourné vers l’extérieur n’est pas soutenable et souhaitable à terme, car il est source de déséquilibres internes et mondiaux importants.

1) Le rééquilibrage de la croissance chinoise au profit de la consommation privée est une nécessité.

Les moteurs traditionnels de la croissance chinoise, les exportations et l’investissement, représentaient respectivement 41% et 39% du PIB en 2007. Ces chiffres témoignent de déséquilibres à la fois externes et internes de l’économie chinoise.

A l’inverse, la part de la consommation privée a baissé régulièrement depuis 1980, jusqu’à 36% du PIB en 2009 (contre 50% en 1990). Cette faiblesse de la consommation privée chinoise provient (1) d'une épargne excessive des ménages, qui représente près de 40% de leur revenu disponible brut, contre par exemple 3% pour les ménages américains, et (2) du manque de dynamisme de leurs revenus, la part du revenu des ménages dans le PIB étant passée de 80% en 2000 à 65% en 2012.

L’importance du taux d’épargne des ménages s’explique par l’insuffisance des systèmes de pensions de retraites et de santé, d’où une épargne de précaution importante. Par ailleurs, l’accès limité au crédit pour les particuliers et au financement sur les marchés pour les entreprises constituent d’autres facteurs explicatifs de l’importance de l’épargne chinoise.

La chute de la part du revenu national brut attribuée aux ménages s'explique par le fait que la croissance chinoise a été peu créatrice d'emplois et par le fait les revenus sont répartis de manière inégalitaire. Le sous-développement du secteur des services par rapport au secteur manufacturier est à l’origine d’une croissance faible de l’emploi. L’emploi a cru à un rythme de 1% annuel contre 10% en moyenne pour la croissance sur la dernière décennie, ce qui fait de la Chine un sous-performeur sur le plan international. Les raisons principales en sont le passage de la main d’œuvre du secteur agricole vers le secteur industriel, plus intensif en capital, et le sous-développement constaté du secteur des services en Chine, en raison d’une monnaie sous-évaluée favorisant le développement du commerce des biens échangeables. Le fait de redynamiser le secteur abrité des services reviendrait à stimuler la croissance de l’emploi.

Par ailleurs, l’allocation des revenus est source de fortes inégalités. La faible contribution de la consommation domestique à la croissance est la conséquence d’une redistribution des revenus de l’économie en faveur du secteur bancaire et du gouvernement, au détriment des ménages. En effet, le spread entre le taux de dépôt et les taux d’emprunt pénalise les dépositaires et profite clairement aux marges commerciales des banques et aux entreprises (en particulier publiques) désireuses d’investir. Enfin, le développement lent des marchés financiers force à l’épargne privéeet limite les offres alternatives de placement.

À l’avenir, la croissance chinoise ne pourra plus reposer autant sur ces deux composantes.

D’une part, les exportations pourraient pâtir d’une croissance plus modérée dans les économies avancées, en lien avec le désendettement des agents privés et la consolidation budgétaire ; en outre, le processus de gains de parts de marché pourrait trouver ses limites.

D’autre part, la hausse récente de l’investissement publicdans le cadre du plan de relance de novembre 2008 a créé des surcapacités dans certains secteurs, et fait craindre une augmentation à terme des prêts non performants (bien que le taux de créances douteuses reste inférieur à 1% selon les autorités nationales).

2) Les réformes structurelles nécessaires au rééquilibrage de la croissance vers la consommation privée sont bien identifiées.

Les autorités chinoises ont pris plusieurs mesures entre 2005 et 2008 visant à rééquilibrer le modèle de croissance de leur économie. Parmi les plus significatives, on peut notamment citer la promulgation d’une nouvelle loi du travail plus favorable aux employés (avec l’instauration d’un salaire minimal, revu récemment à la hausse), l’adoption de normes environnementales plus strictes, l’arrêt du remboursement de la TVA à l’export et la lente appréciation du yuan vis-à-vis des principales devises mondiales.

Le 12ème plan de réforme quinquennal, approuvé en 2011, et la feuille de route diffusée suite au 3èmeplenum du 18ème congrès du PCC en novembre 2013 vont également dans la direction du rééquilibrage de la croissance chinoise.

Le plan de réforme prévoit notamment :

- Une libéralisation graduelle des taux de rémunération des dépôts et des emprunts, ainsi que la création d’un système d’assurance des dépôts dès 2014;

- Une meilleure redistribution du revenu des entreprises publiques, qui devront reverser à l’État 30% de leurs dividendes sur les bénéfices (contre 20% actuellement) afin de financer la couverture sociale d’ici 2020;

- La poursuite du processus d’urbanisation du pays, via une réforme du « hukou » et l’instauration de titres de propriété, qui devrait permettre à près de 390 millions d’habitants des zones rurales de migrer vers les villes dans les 15 prochaines années.

La réforme du « hukou » constitue un point majeur du plan de réformes de Novembre 2013. Encore aujourd’hui, près de 270 millions de personnes ayant migrées vers les villes, soit 40 % de la population urbaine, détiennent toujours un permis de résidence les rattachant à leur village d'origine. La conséquence est qu’il impossible pour eux de vendre ou d'acheter des biens immobiliers ; ils ne profitent pas, non plus, de la couverture sociale des détenteurs d'un «hukou urbain». La nouvelle mesure assouplira substantiellement les conditions favorisant l’accès au hukou urbain. Il permettra ainsi aux paysans de s’installer dans les communes et les petites villes et assouplira de manière ordonnée les restrictions pour ceux qui souhaitent s'installer dans les villes de taille moyenne et grandes afin d'empêcher une explosion exponentielle de mégapoles telles que Shanghai ou Pékin. Parallèlement, des efforts seront fait pour que tous les résidents permanents aient accès aux services publics urbains fondamentaux et que les résidents ruraux soient couverts par le système de logements abordables et le réseau de sécurité sociale.

Par ailleurs, d'ici à 2017, les paysans devraient se voir remettre des titres de propriété et des certificats spécifiant la localisation exacte et la superficie de leurs terres ; une mesure qui ouvrira la voie à l'émergence d'un marché de l'immobilier foncier. Ainsi l'une des principales barrières à la migration vers les villes, l'accession à la propriété d'un appartement, serait levée. Les saisies et expropriations de terres sont la principale raison des révoltes en Chine. La cession de terres agricoles à des promoteurs est aussi un moyen de remplir les caisses des communes surendettées en encourageant le développement d’un vaste réseau de corruption.

Dans ce contexte, les évolutions démographiques pourraient également favoriser le rééquilibrage de la croissance, via des hausses de salaires engendrées par une possible pénurie de main d’œuvre. En effet, du fait de la mise en place de la politique de l’enfant unique au début des années 1980, la population chinoise en âge de travailler devrait atteindre un pic en 2015, avant de stagner et de décroître à partir de 2025. En outre, le "réservoir" de migrants potentiels dans les campagnes serait en grande partie épuisé, selon une étude de l'Académie chinoise des Sciences Sociales (2).

Ce point est à nuancer car le gouvernement vient récemment d’assouplir sa politique de l’enfant unique. On peut toutefois penser que cet assouplissement n’aura pas d’impact sur la pénurie de main d’œuvre évoquée ci-dessus et qu’il s’agit d’une volonté des dirigeants chinois d’orienter la pyramide des âges afin de pouvoir réaliser des avancées sociales soutenables à terme (retraite par répartition par exemple) et de relancer la consommation.

3) Ces mesures devraient cependant être approfondies afin de rééquilibrer la croissance.

En effet, l’investissement et l’épargne des ménages ont encore augmenté en 2012 alors que la part de la consommation privée dans le PIB est restée stable. Par ailleurs le secteur industriel reste le principal contributeur à la croissance chinoise, le balancement vers les services n’a pas eu lieu. Si les déséquilibres internes restent importants, les déséquilibres semblent néanmoins s’atténuer sur le plan externe. Le yuan s’apprécie lentement face au dollar, à l’euro et au yen depuis 2010 et le surplus du compte courant se situe à un niveau largement inférieur à celui observé en 2007, en lien avec la diminution de la balance commerciale.

Les challenges auxquels la Chine va faire face afin de mener à terme le rééquilibrage de sa croissance sont les suivants :

- Amélioration de la redistribution des profits des entreprises et administrations publiques de façon à accroître le pouvoir d'achat du consommateur chinois.

- Poursuite du développement et de la libéralisation des marchés financiers, afin d'en assurer l'accès aux ménages et aux PME.

- Amélioration des politiques sociales, afin de faire baisser l'épargne de précaution.

- Prolongement de l'ajustement progressif du taux de change, afin de réduire les incitations à diriger l'investissement vers le secteur exportateur, d’augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs chinois et de réduire les déséquilibres globaux via la baisse de l'excédent commercial.

Selon le FMI, la mise en place de ces recommandations dans un horizon proche permettrait de réduire la balance courante chinoise de 5 points, par rapport au scénario de référence, d’ici 2018, tout en augmentant la croissance de 1 point.

Conclusion

La Chine n’a pas réussi à effacer les déséquilibres provoqués par son modèle de croissance, toutefois des avancées notables ont lieu, témoignant de la volonté des politiques de rééquilibrer, progressivement, la croissance chinoise.

Le troisième plenum du 18èmecongrès clôturé en novembre 2013 présente ainsi des réformes substantielles dans le domaine social, financier et de l’urbanisation. Ces réformes seront à même de d’atténuer les déséquilibres internes et externes observés, à moyen terme.

La poursuite et l’approfondissement des réformes mises en place par les autorités devraient contribuer à résorber les déséquilibres mondiaux, tout en permettant à l’économie chinoise de réussir sa transition vers un nouveau modèle de croissance et de poursuivre son rattrapage vers les économies avancées, en évitant de tomber dans la "middle-income trap".

Notes:(1) "The biggest problem with China’s economy is that the growth is unstable, unbalances, uncoordinated and unsustainable." Premier Ministre Wen Jiabao, Mars 2007. (2) Fang Cai, Yang Du, Meiyan Wang, “Migration and Labor Mobility in China”, Institute of Population and Labor Economics, Chinese Academy of Social Sciences, avril 2009. Références: - Article IV, China – IMF, July 2013 - Dorrucci, Ettore & Pula, Gabor & Santabárbara, Daniel, 2013. "China's economic growth and rebalancing,"OccasionalPaper Series142, European Central Bank - Economic Outlook for Southeast Asia, China and India 2014- Beyond the middle-income trap, OCDE, octobre 2013 - Eswar Prasad, "Rebalancing growth in Asia", NBER Working Paper, juillet 2009 - Le rééquilibrage de la croissance chinoise : enjeux et perspectives, Trésor-éco, n°75 Juin 2010 - S. Ganem (2013), “Another BRIC in the Wall”, BSI Economics

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BSI-Economics est une association à but non lucratif qui regroupe doctorants et jeunes actifs soucieux de partager leurs analyses et leurs expertises en matière économique et financière. Créée en octobre 2012, elle œuvre à la promotion des contributions de ses membres, au service d’une dynamique intellectuelle dans les débats débats publics et économiques. Site web : http://www.bsi-economics.org/

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