Futur proche : percées, bugs, lois, armes et travail (extrait)

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Par Max Tegmark Publié le 19 juillet 2018 à 5h07
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Travail et salaire

Quelles conséquences l'intelligence artificielle (IA) aura-t-elle sur nous en tant que producteurs du fait de la transformation induite du marché du travail ? Si nous trouvons comment accroître notre opulence grâce à l’automatisation sans laisser quiconque sans revenus ou sans buts, nous pourrons alors bâtir un avenir extraordinaire où celui qui le souhaite disposera de temps libre et de richesses comme jamais. Peu de gens ont pensé à cela davantage ou plus intensément qu’Erik Brynjolfsson, un de mes collègues du MIT.

Bien qu’il soit toujours très soigné de sa personne et tiré à quatre épingles, je ne peux m’empêcher d’imaginer que ce descendant d’Islandais s’est débarrassé récemment de sa barbe et de sa crinière rousses de Viking afin de se fondre dans notre école de commerce. En tout cas, il ne s’est pas débarrassé de ses idées échevelées et il nomme sa vision optimiste du marché du travail l’« Athènes numérique ». En effet, si les Athéniens de l’Antiquité disposaient de temps libre leur permettant de profiter de la démocratie, des arts et des jeux, c’était avant tout parce qu’ils disposaient d’esclaves pour s’occuper des travaux. Et pourquoi pas remplacer les esclaves par des robots animés par une IA, ce qui créerait une utopie numérique dont tout un chacun pourrait profiter ? L’économie dirigée par IA selon Erik ne se contenterait pas d’éliminer stress et corvées en même temps qu’elle apporterait en abondance tout ce dont nous avons besoin aujourd’hui : elle fournirait généreusement de merveilleux produits et services nouveaux dont nous n’avons même pas conscience d’avoir envie ou besoin aujourd’hui.

Technologie et inégalités

Nous pourrons passer de notre situation actuelle à l’Athènes numérique d’Erik si le salaire horaire de chacun s’accroît année après année, en sorte que ceux qui veulent davantage de temps libre puissent progressivement travailler moins tout en continuant à voir leur standard de vie s’améliorer.

La figure ci-dessous montre que c’est précisément ce qui s’est produit aux États-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1970 : malgré les inégalités de revenus, la taille du gâteau complet a augmenté et la part de presque tout le monde a grossi.

C’est alors – et Erik est le premier à l’admettre – que quelque chose a changé. Cette figure montre que, bien que l’économie ait poursuivi sa croissance et que le revenu moyen ait continué d’augmenter, cet accroissement est allé, au cours des quatre dernières décennies, aux plus nantis, essentiellement aux 1% les plus riches, pendant que les 90% les plus pauvres ont vu leur revenu stagner. L’augmentation des inégalités qui en résulte est encore plus évidente si l’on considère le patrimoine plutôt que les revenus.

Pour les 90% de foyers américains disposant des revenus les plus bas, la valeur moyenne nette a été de 85 000 dollars en 2012 – la même que vingt-cinq ans plus tôt – tandis que les 1 % les plus élevés ont vu leur richesse (corrigée de l’inflation) plus que doubler pendant la même période et atteindre 14 millions de dollars. Les écarts sont encore plus grands à l’échelle internationale : en 2013, le patrimoine cumulé de la moitié la moins riche de la population mondiale (soit plus de 3,6 milliards d’individus) équivaut à celui des huit personnes les plus riches du monde – une statistique qui souligne la pauvreté et la fragilité de ceux d’en bas autant que la richesse de ceux d’en haut. Lors de notre conférence de Porto Rico en 2015, Erik a expliqué à l’assemblée des chercheurs en IA qu’il pensait que les progrès dans cette discipline et dans l’automatisation continueraient à agrandir le gâteau mais qu’aucune loi économique ne garantissait que chacun, ou même le plus grand nombre, en profite.

Bien qu’il y ait un large consensus parmi les économistes sur le constat de l’accroissement des inégalités, la cause et le maintien de cette tendance font l’objet d’une controverse. Les économistes de gauche incriminent souvent la mondialisation et/ou les politiques économiques menées, comme les baisses d’impôts pour les riches. Mais Erik Brynjolfsson et son collaborateur au MIT Andrew McAfee avancent que la cause principale est la technologie. Précisément, ils avancent que les techniques numériques mènent à des inégalités de trois manières différentes.

Tout d’abord, en remplaçant les anciens métiers par d’autres qui nécessitent davantage de compétences, la technique a favorisé les gens diplômés : depuis le milieu des années 1970, les salaires des diplômés de l’enseignement supérieur ont augmenté de 25 % alors que, pour ceux qui ont décroché au lycée, ils ont baissé de 30%.

Ensuite, ils expliquent que, depuis l’année 2000, une part plus grande des bénéfices des entreprises est allée à ceux qui les possèdent plutôt qu’à ceux qui y travaillent – et, aussi longtemps que l’automatisation se poursuivra, on peut s’attendre à ce que ceux qui possèdent les machines s’approprient une plus grosse part du gâteau.

Ceci est un extrait du livre « La vie 3.0. Être humain à l'ère de l'intelligence artificielle » écrit par Max Tegmark paru aux Éditions Dunod (ISBN-10 : 2100741381, ISBN-13 : 978-2100741380). Prix : 27 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Dunod.

La vie 3.0 de Max Tegmark

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