Les Tribunaux de Commerce toujours montrés du doigt

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Par Michel Delapierre Modifié le 23 mars 2016 à 7h34
Leonarda Dibrani Expulsion Tribunal Administratif
134134 tribunaux répartis sur l'ensemble du territoire

Pour un chef d’entreprise, se retrouver en liquidation judiciaire devant un tribunal de commerce relève souvent du cauchemar.

Pas seulement parce que cela signifie la fin de son aventure entrepreneuriale mais car cela implique aussi parfois une faillite personnelle et un déclassement social. Avec les dégâts psychologiques que l’on peut imaginer.

Une survivance de l'Ancien Régime

Les tribunaux de commerce sont là pour régler les litiges entre entreprises et les procédures collectives - le placement sous contrôle judiciaire d’une entreprise en difficulté. Il s’agit d’une justice consulaire privée, survivance de l’Ancien Régime, dont les origines remontent au XVIème siècle. Les juges ne sont pas professionnels, ce sont des commerçants, dirigeants de sociétés élus par leurs pairs au niveau local. Au nombre de 134, les tribunaux sont répartis sur l’ensemble du pays.

Sous le feu des critiques

Si cette juridiction commerciale exerce une activité nécessaire, elle est aussi l’objet de nombreuses polémiques, commissions d’enquêtes parlementaires et hypothétiques réformes qui ne viennent jamais. Au cœur du sujet, le non professionnalisme des juges et les conflits d’intérêts potentiels.

En effet, les critiques pointent souvent du doigt les risques de connivences entre juges et parties ou pire, les combines entre juges, administrateurs et mandataires judiciaires. Sans parler des honoraires de ces derniers qui sont basés sur l’actif des sociétés liquidées. Ce terreau est naturellement propice aux rumeurs concernant l’appartenance des uns et des autres à des réseaux d’influence, décidant dans l’ombre, du sort des sociétés dont ils ont la charge.

Les exemples de scandales récents ne manquent pas.

A Angoulême, un mandataire judiciaire est au cœur d’un feuilleton judiciaire qui dure depuis 2011. Radié de la profession en 2012 pour une affaire de surfacturations d’honoraires, le mandataire en question est également sous le coup de condamnations pour tentative d’escroquerie à l’Etat et abus de confiance dans des procédures de liquidations. Pour Michel Verneuil, Président de l’association Leon France (leonfrance.fr) qui aide les entreprises durant les procédures collectives, même si cette affaire est particulière par l’ampleur des dérives qu’elle révèle, elle est à l’image des pratiques qui existent encore dans beaucoup de tribunaux.

A Nice, Mediapart révélait en décembre 2015 que le Tribunal de Commerce était au cœur d’un véritable thriller économique concernant le rachat du Vista Palace, un hôtel de luxe de la Côte d’Azur, par l’ancien émir du Qatar. A l’issue d’une liquidation judiciaire particulièrement confuse, l’ex-émir aurait obtenu le palace pour environ 30 millions d’euros alors qu’il avait fait, selon Mediapart, une offre initiale à 250 millions. Comment expliquer cette fulgurante décote ? Une information judiciaire pour corruption et trafic d'influence a été ouverte.

A Nancy, le Tribunal de Commerce avait fait l’objet d’un sévère rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires en 2008. Ce rapport largement dévoilé à l’époque par la presse locale avait ravi les contempteurs du Tribunal. Il faisait en effet état de faiblesses dans la gestion des procédures collectives, de connivences entre juges et administrateurs, d’un contrôle du ministère public insuffisant et de dysfonctionnements importants au niveau du greffe. Les choses ont-elles changé depuis ? Difficile de savoir. Le tribunal a bien augmenté le nombre d’administrateurs et de mandataires afin de répondre aux accusations de favoritisme mais pour Jean Motsch, critique virulent du Tribunal nancéen et président de l’association Transparence (association-transparence.fr), « mis à part les départs en retraite, ce sont toujours les mêmes qui sont aux manettes ».

De tels scandales gangrènent les juridictions depuis longtemps.

Pour y faire face, les tentatives de réformes des tribunaux n’ont pas manqué. Mais qui s’y frotte, s’y pique. On ne touche pas aux Tribunaux de Commerce impunément.

Déjà en 1983, Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, avait essayé mais s’était heurté au lobby des juges consulaires. En 1998, le rapport d’Arnaud Montebourg fut également vite enterré. Son enquête parlementaire mettait pourtant en lumière l’étendue des dérives et les dégâts sociaux et économiques liés aux dysfonctionnements des Tribunaux. Il y faisait une revue de doléances accablante: liquidations administrées par des juges soupçonnables de partialité, de lenteur, de déni de justice... liquidateurs intéressés personnellement à des affaires, allégations de pots-de-vin et autres anomalies répétitives dans les reprises d'entreprises en difficulté.

Plus récemment en 2015, la Loi Macron a tenté d’instaurer une dose de professionnalisme en sélectionnant 18 tribunaux désormais spécialisés pour traiter les affaires les plus complexes – celles concernant les entreprises de plus de 250 salariés, générant plus de 20 millions d'euros de chiffres d'affaires. Là encore, l’hostilité des juges consulaires fut évidente. A l’origine, la loi ne prévoyait que 9 tribunaux spécialisés. Après des mois de bras de fer, les juges ont finalement obtenus qu’il y en ait le double.

Cette loi marque-t-elle le début d’une amorce de changement ?

Certains veulent y croire. Au Conseil National des Administrateurs et Mandataires Judiciaires (CNAJMJ), on est bien conscient de l’image déplorable de ces professions et des dérives de certains tribunaux. Le CNAJMJ multiplie donc les échanges avec la société civile et notamment l’association de Michel Verneuil, Leon France. Objectif : améliorer la transparence et mieux traiter les problèmes déontologiques existants.

Michel Verneuil, que l’on ne peut pas soupçonner de complaisance à l’égard des Tribunaux de Commerce, veut aussi y croire. Selon lui, les choses sont en train, lentement, de changer. « Même si cette nouvelle loi ne révolutionne pas tout, il y a des avancées positives et notamment le fait que la résidence principale du chef d’entreprise n’est plus saisissable ».

Fréquentant les tribunaux de commerce depuis plus de 20 ans, il estime que l’on assiste aujourd’hui à un rajeunissement du monde judiciaire français. « On voit clairement une amélioration des procédures collectives depuis quelques années... on va moins vite à la casse, on peut mieux discuter avec les nouveaux juges consulaires ».

Il insiste aussi sur l’importance de la prévention qui incombe aux experts comptables. « Environ la moitié des affaires que traite notre association aurait pu être évitées si les sonnettes d’alarme avaient été tirées plus tôt ... il y a une zone rouge à partir de laquelle les négociations avec les tribunaux deviennent beaucoup plus compliquées ».

S’il estime enfin que « tous les tribunaux ne sont pas pourris », Michel Verneuil reconnaît qu’il y a encore beaucoup de disparités : « tout dépend du Tribunal et des juges sur lesquels on tombe, c’est le hasard ». Et d’ajouter : « pour s’en sortir, il faut quand même savoir parler, arriver avec des éléments concrets, être capable de bien présenter son dossier et surtout, avoir de l’énergie... la charge à porter est lourde pour une seule personne et il faut être psychologiquement très fort ».

Trop souvent encore, des chefs d’entreprises honnêtes se retrouvent pris dans une spirale juridico-administrative infernale et désespérante. Pour Jean Motsch de l’association Transparence, « les procédures devant les Tribunaux de Commerce ressemblent à la roulette russe ». De fait, ces associations fournissent également un appui psychologique non négligeable. « Il est important que les gens ne se sentent pas seuls » précise Michel Verneuil, « on est témoins de situations familiales dramatiques, de situations d’extrême détresse ».

Un argument qui ne semble pas peser lourd auprès des institutions ni dans les débats sur les nécessaires réformes des tribunaux de commerce.

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