Vers le troisième âge de l’innovation digitale française

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Par Larry Perlade Modifié le 26 avril 2019 à 6h50
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Comme on a pu s’en est rendu compte lors du CES 2019 à Las Vegas, l’écosystème digital français est à un tournant. En effet, tous les signes d’un changement d’époque étaient visibles, et plus particulièrement, celui du fossé entre discours et réalité. De plus, en raison du climat social tendu, aucune personnalité politique française n’a fait le déplacement, ce qui a au moins limité les déclarations triomphantes habituelles. Alors qu’a-t-on vu ?

Une cohorte de presque 400 start-ups est allée parer de tricolore l’Eureka Park de Las Vegas. La délégation française était ainsi la plus nombreuse, devant celle des États-Unis. Cocorico ! Et même mieux, les français ont énormément tweeté par fierté cocardière. Il faut noter que plus de la moitié des tweets, le premier jour, était en français !

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(https://twitter.com/digimind_FR/status/1082990360773705731 ).

On peut supposer que d’autres francophones étaient de la partie, mais là on touche à une exagération mal placée. L’innovation digitale française pèse-t-elle vraiment autant que cela sur la scène mondiale de l’électronique grand public ? Ça se saurait et nous compterions davantage de licornes, ces sociétés valorisées plus d’un milliard de dollars.

Sans être défaitistes, il est temps de passer un cap et de remettre nos ambitions à leur niveau, tout en se dotant des moyens nécessaires à leur réalisation.

Soyons davantage faiseurs et moins diserts

Globalement, il y a eu deux grandes périodes dans l’histoire de l’écosystème d’innovation digitale français. La première, c’est l’ère des pionniers comme Kelkoo, Meetic, Wikio, Copains d’avant, Dailymotion, PriceMinister, Doctissimo, mais aussi Archos, Free, OVH, Ventes Privées, Nabaztag, VLC… Il s’agit essentiellement d’une génération d’entrepreneurs passionnés par les nouvelles technologies émergentes qui ont perçu rapidement les possibilités qu’offraient les nouvelles technologies pour connecter les gens, les objets, pour tirer parti de nouveaux supports de stockage et développer ce que l’on appelait à l’époque le multimédia, pour dématérialiser les échanges et vendre en ligne.

C’était une époque riche et créative qui voyait dans l’usage de la grande toile mondiale de nouvelles possibilités pour s’affranchir des frontières, créer des marchés nouveaux et de nouvelles relations avec les clients. On levait des fonds, on développait un concept et on le commercialisait. La notoriété était primordiale pour percer et l’on était déjà dans la recherche de l’efficacité, de l’interface au paiement, en limitant les clics.

La deuxième génération s’est construite sur d’autres modèles et dans des conditions différentes. C’est celle de Blablacar, Criteo, Deezer, Webedia, ou encore Chauffeur Privé devenu récemment Kapten. Ce qui la distingue de la première c’est, entre autres, un contexte qui s’est enrichi et complexifié : l’Internet mobile démocratisé et son « applification » (le développement d’applications dédiées, voire la naissance de services d’abord sur mobile), l’usage généralisé de la donnée pour le ciblage publicitaire autant que la personnalisation de l’expérience utilisateur (géolocalisation, profilage). En toile de fond, les médias sociaux sont devenus de plus en plus présents dans le lien avec les utilisateurs, qu’il s’agisse de communication ou de gestion de la relation client.

Les conditions d’exercice ont également changé. Intrapreneuriat au sein de grands groupes, espaces de coworking, incubateurs, pôles de compétitivité, les structures pour encourager les premiers pas font partie du paysage. Là où les VC (venture capitalists) étaient le cœur financier, désormais les jeux sont plus ouverts. L’écosystème est bien plus vivant et riche, au point que l’on voit des envolées d’innovation thématiques émerger avec un grand nombre d’acteurs initiaux avant que le marché ne se concentre : fintech, delivery, proptech, sleeptech, foodtech...

Soyons francoptimiste pour faire naitre les géants français de demain !

Nous sommes dans une période où de nouvelles technologies de rupture sont en train de bousculer la donne, comme le machine learning ou la blockchain, et il est peut-être temps de passer à un troisième âge de l’innovation digitale. Aujourd’hui, les incubateurs sont nombreux, diversifiés et l’accompagnement des jeunes pousses s’effectue à de nombreux niveaux, du financement aux conseils en management et en gestion, du mentorat technique aux conseils juridiques. Entreprendre est une passion française bien ancrée et le vivier est fourni.

Mais si le foisonnement créatif est bien là, il est urgent de consolider cet écosystème en lui permettant de s’enraciner, avec des modèles pérennes. Il est tellement dommage de voir les projets ambitieux se faire racheter trop tôt ou être intégrés trop vite dans de grands groupes. En effet, Google, Facebook et Amazon n’ont pas été rachetés par IBM, Microsoft ou Wallmart. Il nous faut des champions de cette trempe. Est-ce un manque d’ambition ? un manque d’accompagnement pour se développer à l’international ? une question de culture ? Regardons en face le problème : la France manque d’ETI et si nous savons faire naître des projets, nous n’arrivons pas à leur faire franchir certains paliers. Planter autant de jeunes pousses sans les voir grandir est sûrement une perte d’énergie colossale.

Cette fibre entrepreneuriale enthousiaste produit par exemple de nombreux objets connectés à destination du grand public, dont l’usage est parfois discutable. Et les marchés d’équipement finissent toujours par s’essouffler quand ils sont saturés. Quels sont les relais de croissance ensuite ? Il est dommage de créer une entreprise pour concevoir et commercialiser un produit unique sans avoir de plans pour une montée en gamme, des services associés...

Dans le fond, ce qui manque en France, ce sont d’une part les innovations structurantes qui génèrent des plateformes, et d’autre part les deep tech qui assureront des ruptures telles qu’elles créeront de véritables nouveaux marchés. Les grandes plateformes, récentes et ayant refusé de se vendre précocement, sont devenues les principales capitalisations boursières aujourd’hui, alors qu’elles ne fabriquent rien à proprement parler. En revanche, elles s’appuient sur des modèles économiques durables en laissant les autres s’épuiser. Après tout, ceux qui ont fait fortune dans la ruée vers l’or n’étaient pas ceux qui creusaient, mais ceux qui vendaient les pioches, les lampes et la nourriture en territoire vierge… Faisons éclore des plateformes qui ne se vendent pas trop tôt.

Concernant les deep tech, il semble en tout cas que nous ayons quelques capacités et ambitions : les centres de recherche sur l’intelligence artificielle se multiplient dans l’hexagone ce qui montre un savoir-faire et fait émerger une communauté vivante (le CNRS reste d’ailleurs très en pointe sur le sujet). Par ailleurs, le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire s’est montré volontaire sur la blockchain et les cryptomonnaies. Ces enjeux ne se jouent pas dans les salons professionnels mais dans les centres de recherche.

Alors, encourageons toujours plus la Recherche et l’Innovation car c’est ce qui fera naître les grandes réussites de demain.

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Larry PERLADE a créé NÉVA en 1995 pour accompagner les PME dans leurs recherches de financements publics. Depuis près de 18 ans, il est ainsi devenu un expert reconnu en financement de l’innovation et subventions R & D. Auparavant, il a été Vice-Président Directeur Général de FRED Joaillier USA et Secrétaire Général du groupe FRED Joaillier, avant de diriger le Centre d’Art Contemporain ARTCURIAL pour L'ORÉAL. Il a démarré son activité professionnelle chez Elf Aquitaine au Royaume-Uni. Larry PERLADE est diplômé d’HEC (1982), de l’Université de Berkeley (Californie) et de l’ESADE (Barcelone). 

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