Triangle des Bermudes dans le détroit de Formose

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Par Hervé Goulletquer Publié le 10 janvier 2020 à 13h22
Trump Chine Accord Commerce 1
4,5%En Chine, l'inflation a atteint 4,5% en décembre 2019.

Décidément, les Etats-Unis sont au centre de tout ! Après les relations avec l’Iran, il faut se ré-intéresser à celles avec la Chine. L’attention du moment doit se porter sur le rôle de Taïwan dans l’équilibre entre les deux « mastodontes ». Les élections générales du week-end sont à suivre de près.

La semaine qui se termine a été, sur le front de la politique étrangère, très marquée par les relations entre les Etats-Unis et l’Iran. Et si la prochaine portait davantage le sceau des relations sino-américaines ? Il y aurait deux raisons à cela. D’abord, l’accord commercial de phase 1 doit être signé à Washington le 15 janvier et ensuite les élections présidentielle et législative à Taïwan auront lieu demain. Disons-le tout net : le deuxième point, aussi indirect soit-il dans l’équilibre entre les deux pays, est immédiatement plus important.

Peu ou prou, l’accord de phase 1 fige les droits de douane imposés de part et d’autre et gèle les périmètres d’importations couvertes. La dimension à la fois plus dynamique et plus positive est à rechercher dans des flux de marchandises américaines vers la Chine normalement plus élevés. On devrait connaître les détails avec la publication des termes de cet accord. Une fois le sujet mis derrière, la phase 2 des discussions s’ouvrirait ; c’est du moins ce qui est dit. Il est probable que ni Washington, ni Pékin ne voudront que les projecteurs de l’actualité soient trop braqués dessus. Premièrement, parce personne ne veut rejouer l’épisode de 2019, avec la montée des doutes en matière de croissance économique, et deuxièmement, au titre du caractère existentiel de la question de fond soulevée : comment assurer des relations équilibrées entres des systèmes économiques différents et qui n’ambitionnent pas vraiment de se rapprocher ?

Passons aux élections à Taïwan. Les sondages donnent gagnant le Parti démocrate progressiste (le DPP selon le sigle anglais) au détriment du Parti nationaliste, le Kuomintang (KMT). Le premier s’oppose à toute forme d’unification avec la Chine, et ceci même en cas de disparition de toute menace militaire de la part du Continent. Il ne cherche pourtant pas à proclamer l’indépendance de l’île. Le second, pour sa part, refuse de renoncer à l’unification, en cas de démocratisation des institutions chinoises Et c’est bien à ce niveau qu’on retrouve une rivalité sino-américaine.

Depuis 1978, la politique de Pékin vis-à-vis de Taïwan s’inscrit dans le cadre du principe « un pays, deux systèmes », c’est-à-dire une autonomie au sein de la République populaire de Chine. Ce qui signifie qu’il n’y a qu’« une seule Chine » et que Taïwan est « une affaire intérieure chinoise » ; CQFD. En 1979, le Congrès américain a voté le Taiwan Relation Act. Il ne garantit certes pas d’intervention militaire américaine en cas d’invasion de l’île par l’« armée populaire de libération ». En revanche, « les Etats-Unis mettront à la disposition de Taiwan les matériels et les services de défense en quantité suffisante pour permettre de maintenir des capacités suffisantes en matière de légitime défense ». Au cours des derniers mois, Washington a envoyé de de nombreuses marques d’attention sur l’importance mise au maintien du statu quo.

On le sait ; le principe « un pays, deux systèmes » a été aussi décliné à Hong Kong. Et c’est bien cette déclinaison qui fait figure de repoussoir chez l’essentiel des taiwanais ; même au sein du KMT. Et c’est bien aussi la conjoncture politique actuelle dans l’ancienne colonie britannique qui explique une nette préférence des électeurs, au moins au vu des sondages d’opinion, en faveur du DPP, plus « fermé » que le KMT concernant le rapprochement avec la Chine continentale.

Pékin a évidemment suivi de près la campagne électorale à Taïwan. Les évolutions politiques constatées ne sont pas à son goût. En surcroît de la politique très critique menée tout au long des quatre dernières années contre la Présidente Tsai Ing wen, issue du DPP et en passe donc d’être « confirmée » dans ses fonctions, des initiatives de désinformation sont apparues. Elles visent le processus électoral, les deux grands partis (plus le DPP que le KMT ?) ; elles vantent la réussite chinoise et incitent à la réunification.

Comment ne pas considérer, en cas de réélection de la Présidente Tsai, que la stratégie chinoise par rapport à Taïwan sera en situation d’échec ? Quelle sera alors la réaction de Pékin : insister, re-calibrer ou réévaluer ? Avec alors quelle attitude des Etats-Unis ?

L’attitude immédiate qu’on a envie de prêter au Président Xi est le raidissement, qui se traduirait par une politique encore plus hostile vis-à-vis de Taïwan. Au risque, que tous les hauts dirigeants du Parti communiste chinois ont évidemment clairement à l’esprit, de rendre plus difficiles les relations avec Washington.

Remettre en cause l’équilibre à l’intérieur du triangle, formé de la Chine, des Etats-Unis et de Taïwan, est dangereux ; surtout au moment d’un début de cicatrisation des « plaies » occasionnées par des discussions commerciales entre ces deux premiers pays. A Pékin de savoir articuler au mieux ses politiques « intérieur » et extérieur et à Washington de savoir graduer ses réponses. Quel degré de confort accorde-t-on à la perspective que les choses se passent bien ainsi ?

Un dernier mot, sur la façon dont l’économie taïwanaise a traversé cette période d’incertitude politique et sur le scénario central, retenu par le consensus des économistes, à l’horizon des prochains trimestres. Eh bien, la capacité de résistance a plutôt été bonne et les prévisionnistes affichent une certaine confiance. Puissent-ils avoir raison !

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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