Pas de hamburger pour sauver l’humanité !

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Par Bruno Parmentier Publié le 7 août 2013 à 4h46

Le chercheur Marc Post, de l'université de Maastricht aux Pays-Bas, vient de pulvériser le record du hamburger le plus cher du monde, qui n'était que de 5 000 $ en faisant déguster devant des caméras le premier hamburger de synthèse, in vitro, garanti sans animal, de l'histoire de l'humanité ; ce prototype a coûté, lui, 400 000 $ !

Dans cette période où les journalistes sont tous en vacances, c'est une aubaine pour remplir les antennes et les colonnes des journaux. Nous pouvons saluer l'exploit technologique, mais aussi réfléchir à ce que cette découverte symbolise.

Bienvenue dans le siècle des biotechnologies

Nous avons tous étés marqués par la percée fulgurante des technologies numériques dans les dernières décennies. Notre vie a été durablement transformée par du sable transformé en puces de silicium. L'informatique, Internet et les télécommunications, mais aussi la robotique ont raccourcit notre monde, élargi notre mémoire et notre vision, éliminé une bonne partie de nos tâches répétitives, transformé notre manière de travailler et de nous distraire, etc. Mais... nous n'avons encore rien vu : le siècle des biotechnologies risque d'être encore plus ébouriffant.

J'avais été marqué en son temps par un livre magnifique de Jeremy Rifkin, Le siècle biotech, dans lequel il osait une phrase du type (je n'ai pas le livre sous les yeux et je cite de mémoire) : « à la fin du XXIe siècle, quand on parlera de l'informatique, on dira peut-être que c'était ce qui avait permis de déchiffrer le génome et de démarrer la vraie révolution du vivant ».

Nous allons donc vivre de stupéfaction en stupéfaction dans les années qui viennent ; la fécondation in vitro, le clonage de quelques animaux, les premiers OGM, et maintenant la première viande garantie sans animal ne sont encore rien à côté de ce qui nous attend ! Demain, les femmes (riches) se fatigueront-elles encore à porter des enfants, ou bien utiliseront-elles les services d'utérus artificiels ? Choisira-t-on le sexe, la taille, la couleur des yeux, des cheveux et de la peau, le quotient intellectuel, les capacités artistiques, les résistances aux maladies de ses enfants ? Clonerons-nous les prix Nobel et les vainqueurs du Tour de France ? Aurons-nous tous des puces dans le cerveau pour pouvoir communiquer directement avec les machines ? La réalité risque d'être encore plus décoiffante que la science-fiction !

Le hamburger 100 % artificiel, garanti sans animal, fait partie de ces utopies. On peut se réjouir des découvertes des sciences « dures », et en particulier biologiques, mais on peut aussi voir que ces avancées, qui concernent la vie, concernent également le plus profond de notre culture humaine et interrogent en tout premier lieu les sciences « molles », à commencer par la philosophie : qu'est-ce que l'homme ? Qu'est-ce qu'un sexe, une génération, une espèce, etc. ? A-t-on le droit de croiser les espèces (par exemple de mettre des gènes de poisson dans les fraises pour les rendre résistantes au froid), ou de cloner des animaux, et a fortiori des humains ? Les questions seront de plus en plus nombreuses, et ce n'est pas parce qu'il se trouvera toujours un irresponsable pour tout essayer, et des intérêts économiques pour les commercialiser qu'il faut mettre en péril les fondements de notre humanité.

Il ne suffit pas qu'un aliment existe, il faut pouvoir le penser

Admettons que dans 10 ans, 20 ans, 30 ans, les technologies aient suffisamment avancé pour produire des hamburgers de synthèse non pas à 400 000 $ mais à 4 $ pièce, cela suffira-t-il pour qu'on se mette à en manger ? Réfléchissons un peu, ces technologies ne seront disponibles que dans les pays les plus avancés, là où justement les gens pourront continuer à se payer de la « vraie » viande. Le milliard de gens qui ont actuellement faim, et le deuxième milliard qui mange en quantité mais pas suffisamment en qualité et en diversité, et en particulier n'ont pas accès aux protéines animales, auront encore moins accès au hamburger de synthèse qu'au poulet aujourd'hui. Le hamburger de synthèse pour nourrir les affamés d'Haïti, de Somalie ou du Bangladesh, qui va y croire ?

Et dans nos pays, où, à tort ou à raison, on ne veut déjà pas manger de maïs contenant un gène extérieur (ce que font sans problème des centaines de millions d'Américains), je ne prédis pas de succès commercial éclatant à de la viande sans animal !

Notons bien que de la viande sans animal, ça existe déjà, et de façon nettement plus naturelle, par exemple le steak de soja ! Le vrai concurrent de la protéine animale, c'est évidemment la protéine végétale.

Lorsque le professeur Post rappelle dans sa conférence de presse que « un carnivore qui se promène à vélo est beaucoup moins écologiste qu'un végétarien qui roule en 4/4 », soulignant par là même la pression énorme sur la planète exercée par la viande bovine, il a raison. Mais la suite logique, dans nos pays, c'est d'abord de se rendre compte que nous consommons dorénavant trop de viande et trop de lait. Nos 85 kg de viande et 91 kg de laitage annuels ponctionnent beaucoup trop la planète, et induisent trop de problèmes de santé : obésité, maladies cardiaques, diabètes, etc. Si les Français, au lieu de manger chacun dans leur vie 7 bœufs, 33 cochons, 1 300 volailles, 32 000 litres de lait, 20 000 œufs, etc., se contentent de 5 bœufs, 25 cochons et 1 000 volailles, leur santé sera grandement améliorée, et les équilibres agricoles mondiaux également. Et nous ne nous méprenons pas, il y aura encore des éleveurs dans ce pays, simplement leur métier aura changé, ils ne feront plus du « tout venant, bas de gamme », mais « que du bon, que du cher » ; pour l'élevage, il s'agit de faire la même révolution que la viticulture, qui a dû faire face à une division par trois de la consommation des Français en 50 ans.

De plus, quitte à changer un petit peu d'alimentation animale, la voie de la consommation de quelques animaux à sang froid me semble plus raisonnable et plus prometteuse. En effet la « productivité » de l'élevage des animaux à sang froid est bien meilleure puisque, contrairement aux animaux que nous mangeons actuellement, ils ne gâchent pas une part importante de leur nourriture pour... se chauffer. Il est donc probable que dans quelques décennies nous mangeront davantage de poissons (herbivores et d'élevage), de crevettes et... d'insectes ! Même si ça paraît impensable actuellement, les hamburgers de crevettes, soja-sauterelle ou pois chiches-vers de farine me semblent finalement plus crédibles que ceux garantis sans aucun animal vivant...

Pour l'économie française, des filières d'élevage de crevettes tropicales « hors-sol » en Bretagne ou de sauterelles dans le Massif central me semblent donc plus crédibles que des usines à viande 100 % industrielle sans animal. Même si on peut et on doit saluer l'exploit technique extraordinaire qui consiste à produire du beefsteak en s'affranchissant de l'obligation de fabriquer de la peau, des os, des entrailles, une tête, une queue, etc., et d'élever des animaux en ponctionnant beaucoup de ressources de la planète, et en contribuant activement à la réchauffer...

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.

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