Loi Sapin II : des dispositions novatrices pour lutter contre la corruption ?

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Par Sophie Dorin & Aurélie Angé Publié le 7 décembre 2016 à 5h00
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68 %68 % des pays du monde doivent gérer de graves problèmes de corruption

Adopté définitivement par le Parlement le 8 novembre 2016 et déféré au conseil constitutionnel par une saisine du 15 novembre 2016, le projet de loi Sapin II a déjà fait l'objet d'une grande attention de la part des entreprises.

Parmi ses trois volets que sont la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, celui qui retient particulièrement l’attention des entreprises est, sans conteste, celui afférent à la lutte contre la corruption. Avant de comprendre le contenu des obligations spécifiques imposées aux entreprises dans ce volet, il est nécessaire de rappeler le contexte plus large de cette loi qui s’inscrit dans le prolongement des principes directeurs de l’OCDE et de son plan de lutte contre l’érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

La lutte contre la fraude à tous les niveaux et sous tous ses aspects est le nouveau credo politique de nos gouvernements devant le constat alarmant de l'OCDE et de l’Union européenne sur ce thème. Rappelons que l'indice de perception de la corruption qui mesure les niveaux perçus de corruption du secteur public dans le monde entier indiquait en 2015 que 68% des pays dans le monde devait gérer de graves problèmes de corruption. La moitié de ces pays était des pays du G20.

Concernant la fraude à la TVA intracommunautaire, la Commission Européenne par le biais de Pierre Moscovici révélait que les pertes s’étaient élevées à près de 160 milliards d'euros pour le budget communautaire durant la période 2010-2014, soit 14% des ressources de la TVA. En France, les pertes dues à la fraude étaient, quant à elles, estimées en 2007 dans une fourchette de 7,3 à 12,4 Md€, réévaluée en 2015 à 10,7 et 16,6 Md€. Ainsi, la concrétisation de la lutte contre ces phénomènes de fraude et de corruption par une action législative forte sur ce sujet ne pouvait qu'être saluée.

Mais quel est exactement le contenu de ce volet anti-corruption ?

L’article 17 du projet de loi dispose que « les présidents, les directeurs généraux et les gérants d’une société employant au moins cinq cents salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins cinq cents salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros sont tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. »

Ces mesures recouvrent :
- Un code de conduite à l’attention des salariés, annexé au règlement intérieur ;
- Un dispositif d’alerte interne permettant le recueil des signalements émanant de salariés de la société, et relatifs à des manquements au code de conduite.
- Une cartographie des risques sous forme de documentation destinée à analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;
- Des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
- Des procédures de contrôles comptables permettant de s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
- Un dispositif de formation destiné aux salariés les plus exposés aux risques ;
- Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés en cas de violation du code de conduite ;
- Enfin un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.

Il est par ailleurs précisé que lorsque la société établit des comptes consolidés, les obligations portent sur la société elle-même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales. En cas de manquement constaté, la commission des sanctions peut surtout prononcer une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour les personnes physiques et un million d’euros pour les personnes morales. La commission des sanctions peut également ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision d’injonction ou de la sanction pécuniaire.

Enfin, il convient également de préciser que les actes de corruption sont toujours susceptibles d’être sanctionnés par le biais de la législation pénale. Il s’agit donc pour les entreprises concernées de mettre en place un programme global de mise en conformité et de contrôle prenant appui sur l’institution de procédures et de documentation internes. L'idée qui sous-tend ces mesures est simple: obliger les entreprises à se donner, le cas échéant, les moyens d’effectuer la démonstration de leur ignorance de la corruption. Or, comment démontrer que l’entreprise ignorait la corruption au sein même de son entreprise ? Comment justifier de cette preuve négative ?

Il s'agit ainsi d’astreindre les entreprises à s’assurer qu'elles n’ont pas participé à une action de corruption ou, si elles y ont participé, à justifier que cette corruption s’est effectuée à leur insu en dépit de la politique de prévention instaurée. Ce dispositif rappelle d’ailleurs celui que les entreprises ont déjà pu mettre en place en TVA pour lutter contre la fraude Carrousel, à la différence près que les sociétés de bonne foi avaient dû se l’imposer à elles-mêmes pour être en mesure de justifier, auprès de l’administration fiscale, leur ignorance légitime de la fraude. En effet, contre un arsenal législatif déroulé autour de l’allégation que la société « savait ou ne pouvait ignorer » la fraude carrousel, les entreprises ont souvent déjà créé des processus internes et une documentation leur permettant de se défendre dans le cas où elles seraient piégées par un carrousel.

Mais qu’en est-il alors de la lutte contre la corruption ? Les sociétés ont-elles déjà mis en place des processus et une documentation visant à atteindre cet objectif? Il est intéressant d’avoir le point de vue d’un groupe tel Unilever dont l’entité française, Unilever France, entre pleinement dans le champ des obligations de la loi Sapin II. Ainsi, au sein de ce groupe, existe déjà des processus de lutte contre la fraude et la corruption. Un Code de conduite des affaires, rendu publique, affirme ainsi 24 valeurs en toute transparence telles que la lutte contre la corruption, contre les conflits d’intérêts, la pratique des cadeaux et le blanchiment d’argent. Il est complété par des Règles de conduite qui présentent un cadre simple au travers de la présentation de devoirs et d’interdictions.

La sensibilisation de l’ensemble du personnel est assurée par différent moyens tels que des sessions d’information sur les pratiques dommageables et chaque salarié est tenu d’adhérer à ces règles de bonne conduite. Des dispositifs de contrôle et d’évaluation interne ont aussi été mis en place. Chaque année, un comité local composé des responsables locaux des services Finances, ressources humaines, Juridique, développement client et supply chain réalise un cadrage des risques relevés. Un régime disciplinaire a aussi été mis en place avec un dispositif de sanction pouvant mener jusqu’au licenciement des salariés et un dispositif d’alerte permet aux salariés de signaler d’éventuelles infractions à la Direction. Chaque entité a été dotée d’un référent pour le règlement de toute problématique liée à l’intégrité et l’éthique. On retrouve ainsi déjà mises en place certaines des obligations de la loi Sapin II.

Alors, la loi Sapin II est-elle si novatrice ou ne fait-elle qu’entériner ce qui existe déjà comme processus et documentation au sein des entreprises entrant dans son champ d’application? Il nous semble que l’aspect novateur vient précisément de l’aspect obligatoire des actions à mettre en place au sein de l’entreprise ainsi que des sanctions instaurées en cas d’absence ou de mauvaise application de ces dernières. En effet, la loi Sapin ne laisse pas aux entreprises le choix d’une démarche proactive en ce sens (telle par exemple la mise en place d’une norme ISO 37001) mais elle leur impose un standard minimum de « compliance » sur cette thématique délicate de lutte contre la corruption. Il faudra certes un peu patienter avant de pouvoir appréhender pleinement le bénéfice retiré de ces dispositions mais il nous semble d’ores et déjà que ces mesures sont accueillies de façon constructive par les sociétés même si de nombreuses questions subsistent pour son application.

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Sophie Dorin, Counsel au sein du cabinet Bird & Bird et Aurélie Angé, Tax Manager chez Unilever

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