Vers une bulle dans l’industrie du whisky ?

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Par Matt Kubiak Publié le 7 septembre 2019 à 7h25
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Où sera la prochaine bulle ? L’or, les actions, l’immobilier ? Regardez ailleurs, plutôt – à l’intérieur d’un fût de chêne, par exemple…

En tant qu’adeptes de l’école autrichienne d’économie, nous sommes en permanence à la recherche d’indices pour nous indiquer où la prochaine bulle émergera.

Je pense que la plupart d’entre nous sommes particulièrement en état d’alerte après une décennie de politique d’assouplissement monétaire, d’augmentation du prix des actions et de baisse continuelle du rendement des obligations. Cependant, identifier à l’avance les secteurs spécifiques qui seront touchés par une bulle est extrêmement complexe (sauf si vous êtes Mark Thornton).

Néanmoins, un secteur semble présenter d’après moi tous les signes d’un milieu d’un cycle tel que décrit par la théorie autrichienne d’économie, et semble se diriger vers une bulle. Cette industrie, c’est celle de la production de whisky.

Examinons les caractéristiques de cette industrie qui expliquent qu’elle soit particulièrement susceptible de connaître une phase d’expansion durant une période de croissance alimentée par le crédit, et par conséquent qu’elle soit aussi plus vulnérable à un risque de contraction violente au cours de la période de correction inévitable du marché.

Le processus de production du whisky est particulièrement long

« Comme l’indiquent les formules standards de calcul de la valeur actualisée des facteurs de production, la sensibilité au niveau des taux d’intérêt augmente avec la période de temps qui sépare l’investissement, ou le stade de production, et la consommation finale. »

Extrait de The Austrian Theory of the Business Cycle, disponible ici (en anglais).

Le processus de production du whisky est l’un des plus longs à travers tout le système économique. Planifier la production de whisky est extrêmement difficile, même si nous étions dans une économie parfaitement stable avec un système monétaire adossé à l’or ou l’argent.

Même les whiskies de qualité moyenne nécessitent des années de préparation. Pour pouvoir être étiqueté légalement comme bourbon, un whisky doit avoir vieilli en fût pour une durée d’au minimum deux ans, mais la plupart des bourbons de milieu de gamme sont âgés de quatre, six ou huit ans.

Les règles sont encore plus strictes en ce qui concerne le scotch ; pour être étiqueté comme scotch, un whisky doit être âgé d’au minimum trois ans, mais il est rare de trouver un scotch de qualité moyenne de moins de huit ans d’âge. Les scotchs les plus populaires sont âgés de 12, 14 et 16 ans et les whiskies les plus prestigieux sont âgés d’au moins 25, voire 50 ans.

Ajoutez à cela une perte de volume d’environ 2% par année passée en fût (c’est ce qu’on appelle « la part des anges ») et vous pouvez imaginer à quel point la situation est difficile pour un entrepreneur dans ce secteur. Il doit réussir à prévoir correctement le niveau de la demande pour son produit 12 ans à l’avance, afin de déterminer le montant adéquat des investissements à réaliser aujourd’hui pour satisfaire correctement cette demande.

Pour réaliser un tel calcul économique efficacement, il est nécessaire de connaître les taux d’intérêt. Même une faible distorsion des taux peut avoir des conséquences dramatiques sur les perspectives de rentabilité d’un produit qui ne sera vendu que d’ici 12 ans au minimum.

Une industrie à forte intensité capitalistique

« Les entreprises de fabrication de biens d’équipement découvriront que les investissements qu’elles ont réalisés étaient une erreur ; que les projets dont elles estimaient qu’ils seraient profitables sont en réalité un échec du fait d’une demande insuffisante de la part de leurs clients entrepreneurs. Le développement de détours de production supplémentaires s’est révélé n’être qu’un gaspillage et les mauvais investissements doivent être liquidés. »

Extrait de Austrian Business Cycle Theory, disponible ici (en anglais).

La production de whisky n’est pas forcément la première chose qui nous vient à l’esprit quand la notion « d’industrie de biens d’équipements » est évoquée. Cependant, la production de whisky dépend d’équipements extrêmement spécifiques et l’organisation des distilleries est caractérisée par un degré élevé d’intégration verticale (souvent en raison des réglementations imposées par les autorités).

Dans certains cas, des matières premières telles que la tourbe sont cultivées sur les terres appartenant à la distillerie (la production de tourbe mérite probablement sa propre analyse sous l’angle de l’école autrichienne) et le produit final ne sera pas vendu avant qu’il soit quasiment dans les mains du consommateur, plusieurs décennies plus tard. C’est ce que montre ce résumé des étapes de production du whisky.

L’entrepreneur-distillateur doit d’abord élaborer la recette de son whisky en fonction de ses prévisions concernant les préférences futures des consommateurs, ce qui détermine la proportion de blé, de maïs, de seigle ou d’orge dont il doit passer commande. Une fois que les ingrédients ont été livrés, le maltage peut commencer.

Le maltage consiste à humidifier l’orge (par exemple) sur le plateau de maltage afin de déclencher la germination. Cela implique de surveiller la germination de l’orge jusqu’à ce que la concentration en sucre soit conforme à l’objectif. Une fois que l’orge est prête, elle est séchée dans un four où la tourbe est brûlée afin d’en améliorer les arômes et de stopper la germination.

L’orge malté est ensuite broyé et mélangé avec de l’eau pour fabriquer ce qu’on appelle le moût. On le laisse ensuite fermenter pour obtenir une sorte de bière appelée wash, qui est transformée en whisky par un procédé de distillation dans des alambics en cuivre.

L’entrepreneur-distillateur doit ensuite décider de la durée sur laquelle qu’il souhaite laisser le whisky vieillir et dans quel type de fûts. Un procédé populaire consiste à le faire vieillir sur une période de 12 ans dans des fûts de chêne utilisés précédemment pour faire de l’alcool de cerise. Au cours de cette période, les fûts sont entreposés dans un gigantesque chai.

À la fin de la période de maturation, le whisky est soumis à une procédure stricte de contrôle de la qualité, puis mis en bouteille, étiqueté et distribué à travers le monde. C’est seulement à ce stade que la distillerie a enfin vendu son produit.

Pour résumer, la distillerie a besoin d’équipements pour récolter la tourbe, de plateaux de maltage, de fourneaux, d’alambics en cuivre, de plusieurs milliers de fûts, de chais, de terres cultivables et d’énormément de temps.

L’industrie du whisky souffre d’un autre handicap lié à la spécificité des équipements requis. Lorsqu’une contraction du marché se produit, il est quasiment impossible pour les entreprises de vendre les équipements dans lesquels elles ont investi des capitaux importants étant donné qu’ils ne peuvent généralement pas être utilisés dans d’autres secteurs d’activité. Pour cette raison, il sera particulièrement difficile pour les distilleries qui ont acheté leurs équipements à crédit de survivre à la période de contraction du marché.

Par comparaison, un secteur d’activité intensif en main-d’œuvre tel que la restauration pourra plus facilement réduire rapidement ses charges opérationnelles étant donné qu’économiquement parlant, les salaires ne représentent qu’une forme de contrat de location qu’il est possible d’interrompre.

Prenons comme exemple Diageo, un groupe qui possède notamment de nombreuses marques populaires de whiskys. Sa capitalisation boursière représente près de 96 Milliards de dollars, pourtant l’entreprise n’emploie qu’environ 30.000 personnes. De son côté, Yum Brands, une société propriétaire de nombreuses grandes chaînes de fast-food, possède une capitalisation boursière de 35 Milliards de dollars et emploie 90.000 personnes. Il serait potentiellement plus facile pour une société de restauration d’ajuster ses charges opérationnelles en cas de contraction du marché — en réduisant ses effectifs — étant donné que la société ne dépend pas d’équipements spécifiques à son activité.

La production de biens de luxe

« Les ménages ont financé l’augmentation de leurs dépenses dans des bateaux de plaisance, voitures de luxe, restaurants chics, voyages coûteux etc. en contractant des emprunts à taux fixes. L’augmentation de la valeur des biens immobiliers et des plans d’investissements en actions a également poussé les ménages à moins épargner à partir de leurs revenus courants. Le taux d’épargne a plongé, passant de plus de 4% aux lendemains de la récession de 2001 à moins de 1% en 2005. »

Extrait de A Reformulation of Austrian Business Cycle Theory in Light of the Financial Crisis, disponible ici (en anglais).

La théorie autrichienne des cycles économiques nous apprend que les fluctuations des prix les plus importantes ont lieu au niveau des biens en amont du processus de production, alors que les biens obtenus à l’issue du processus de production sont relativement peu affectés.

Cependant, les données historiques ainsi que l’expérience nous montrent que les biens de luxe pourraient représenter une exception. En période d’expansion économique, le niveau de préférence intertemporelle du grand public est inchangé, mais les consommateurs ont plus d’argent en poche, ce qui les incite à dépenser davantage.

Au cours du boom des années 2000, nous avons pu constater que ce surplus de consommation était largement dirigé vers les biens et services de luxe, tels que les voitures, les voyages ou encore l’immobilier.

Tandis que l’entrepreneur-distillateur planifie la quantité de whisky qu’il prévoit de produire, une autre donnée économique majeure à prendre en compte est le niveau actuel de la demande.

Dans une économie saine, des taux d’intérêt bas inciteraient les entrepreneurs à investir afin d’augmenter leur production future. Ce signal contient de façon inhérente l’information que les consommateurs ont décidé de limiter leurs dépenses actuelles afin de pouvoir dépenser davantage dans le futur.

De plus, si un entrepreneur observe que les taux d’intérêt sont attractifs et que la demande est en plein essor sur le marché malgré une épargne plus abondante, cela aura un effet cumulatif sur sa perception des perspectives d’activité future.

En d’autres termes, si les affaires sont en plein essor malgré le fait que les gens préfèrent épargner, imaginez le dynamisme de la demande de whisky dans 12 ans, lorsque la préférence intertemporelle des ménages sera de nouveau plus favorable aux dépenses de consommation !

Malheureusement, dans le système économique actuel, un phénomène de surinvestissement (ou malinvestissement) se produit en ce moment, entraînant le gaspillage des ressources dont les consommateurs prévoient qu’elles seront disponibles pour financer leurs dépenses futures.

Lors de la prochaine récession, lorsque le taux de chômage augmentera à nouveau, il va de soi que les ménages réduiront en priorité leurs achats d’articles de luxe superflus, tel que les bouteilles de whisky à plus de 100 dollars. Cela fera chuter la demande de whisky au moment même où l’offre sera en forte hausse. Ce serait absolument catastrophique pour les centaines de nouvelles distilleries qui ont été ouvertes depuis dix ans.

Conclusion

Des investissements massifs ont été réalisés dans cette industrie en raison de la hausse des prix du whisky. Malheureusement, la théorie économique autrichienne nous indique que ces investissements sont probablement une erreur. Cependant, je ne donne ici aucun conseil en matière d’investissement financier.

Je sais qu’en ce qui me concerne, le whisky serait l’un des derniers produits que je cesserais d’acheter en cas de difficultés économiques. Il est possible que les distilleries puissent liquider une partie de leurs stocks afin de disposer de la trésorerie nécessaire pour traverser une crise. Ou peut-être qu’il s’agit d’un véritable boom de l’industrie du whisky ; peut-être que le whisky est aujourd’hui si profondément ancré dans la culture moderne que la demande va rester solide et que ces investissements ont été mis en œuvre sur la base de signaux non biaisés.

S’il y a une chose que l’école autrichienne d’économie nous apprend, c’est que les tentatives de prévoir l’avenir sont généralement futiles. La dynamique du marché dépend des milliers de décisions que prennent chaque jour les individus.

Essayer de prévoir le moment, le lieu ou l’ampleur des événements économiques futurs est probablement le meilleur moyen de se causer à soi-même de l’embarras avec le recul. Je suppose que tout ce que nous pouvons faire, c’est attendre et nous resservir un verre.

Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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