Prisonnière de son dogme, la zone euro court à sa perte

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Par Adrien Desjardins Modifié le 29 novembre 2022 à 10h08

Avec son projet de loi de finances pour 2015, le gouvernement joue gros. Examiné par l'Assemblée nationale et la Commission européenne, le budget prévisionnel prévoit un déficit de 4,3 %. Bien loin des 3 % prévus par les règles européennes de stabilité. Pour obtenir un nouveau délai ou un assouplissement de la rigueur, Paris aura fort à faire, ayant perdu la confiance de ses partenaires. Pourtant, avec le culte de l'équilibre budgétaire, la zone euro fonce dans le mur.

Le budget de la France sera certainement retoqué

La France se dirige vers un conflit ouvert avec Bruxelles. Le budget du pays ne sera pas jugé satisfaisant par la Commission et le Conseil européens. Le déficit public, contrairement à ce qu'avait promis le gouvernement, ne sera pas dans les clous des 3 % du PIB. Il sera plutôt du côté des 4,3 %. Une différence significative. En outre, la réduction du déficit structurel – ne tenant pas compte de la conjoncture – ne sera en 2015 que de 0,2 % du PIB. Paris s'était engagé sur une baisse de 0,8 %.

Que ce soit chez ceux ayant consenti de très lourds sacrifices au nom des règles européennes, comme la Grèce, l'Espagne ou le Portugal, ou chez les pourfendeurs de l'orthodoxie budgétaire – comprendre Allemagne, Pays-Bas ou encore Finlande – la pilule française ne passera pas. On comprendra aisément les premiers, qui se sont serrés la ceinture au prix de taux de chômage qui crèvent le plafond. On peut en revanche s'agacer face à l'aveuglement des seconds qui, sous couvert de performances économiques plutôt bonnes, minimisent les risques actuels de récession et de déflation. Deux poisons aux effets dévastateurs.

Certes la France est un pays qui ne parvient pas à réformer en profondeur en dépit de l'urgence. Les règles européennes n'ont d'ailleurs rien à voir avec les impératifs de réduction des dépenses publiques, de refonte de l'Assurance maladie ou encore de réforme territoriale. Et, certes François Hollande n'a, depuis son entrée en fonction en 2012, pas mené la bonne politique européenne. Partisan de la première heure d'un assouplissement du pacte de stabilité et de croissance et de mesures de relance, il n'a que très mollement essayé d'infléchir Angela Merkel en ce sens et s'est plié aux règles de la Commission, venant quémander des délais. Une manière détournée de donner son assentiment à l'austérité.

« Nous nous sommes trompés »

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les responsables européens montent au créneau. Jeroen Dijsselbloem, ministre néerlandais des Finances et président de l'Eurogroupe, a été l'un des plus virulents. « On leur a donné deux ans et la question est : comment ont-ils utilisé ce temps ? Pour être tout à fait franc, je crois qu'ils ne l'ont pas utilisé », a-t-il déclaré. Un quasi affront diplomatique auquel Manuel Valls et Michel Sapin ont répondu, rappelant en substance que l'Eurogroupe n'a aucun pouvoir concernant le budget des Etats membres. L'Allemagne, dont la diminution aussi continue que dramatique des investissements publics sape les perspectives de croissance, est restée plus mesurée à l'égard de la France. Toutefois, forts de leur budget à l'équilibre, Angela Merkel et Wolfgang Schäuble, son ministre des Finances, ne laisseront certainement pas François Hollande s'en tirer à bon compte.

Dès lors, les marges de manœuvre de Michel Sapin, en première ligne sur ce dossier, sont minces. Pâtissant d'une crédibilité érodée, il lui faudra s'appuyer sur un nombre aussi élevé de soutiens que possible. Certains pourraient venir... d'Allemagne. Sigmar Gabriel, partenaire de coalition d'Angela Merkel, membre du parti social-démocrate, n'entretient pas les meilleures relations avec la chancelière et se montre soucieux de ne pas entrer dans une spirale de morosité. En binôme avec Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, il a d'ailleurs lancé une mission visant à identifier les secteurs nécessitant des investissements publics. « Nous nous sommes trompés. (...). Il apparaît de plus en plus que la faiblesse de l'investissement en Allemagne ne sera pas surmontée. Actuellement le budget à l'équilibre n'est économiquement pas opportun », analyse ainsi l'institut économique allemand DIW, dont M. Gabriel est proche.

Refinancer l'économie

Les domaines prioritaires d'action sont connus depuis longtemps : infrastructures, numérique, ou encore énergie ont un besoin massif de financement, de part et d'autre du Rhin et ailleurs en Europe. Et à plus petite échelle, ce sont les petites et moyennes entreprises qui sont prises à la gorge en Europe. Quand elles ne subissent une fiscalité démesurée, comme en France, elles accusent des besoins de financement non assouvis par des banques tétanisées par la conjoncture. Sur ce point encore, les Etats individuellement sont très faibles pour agir. Un outil à privilégier pourrait donc celui élaboré par Euronext, le premier opérateur financier européen. Intitulé Enternext, ce projet mis en place en 2013 vise à offrir aux entrepreneurs une alternative de financement via les marchés. Une initiative portant déjà ses fruits après un an d'existence.

Ainsi, avec le concours coupable de la France, la gestion de la crise au niveau européen a accouché d'une dérive austéritaire préoccupante. Gage de solidité au plus fort des soubresauts des années 2008 et 2009, cette doctrine empêche aujourd'hui l'Union européenne et la zone euro de retrouver le chemin de la croissance, alors que cette dernière est au rendez-vous aux Etats-Unis, en Asie et dans les pays émergents. Infléchir la dynamique, créer une stratégie continente et inciter l'Allemagne à jouer enfin son rôle de locomotive sont indispensables. Seule la France peut porter ce message. Espérons que la crédibilité du gouvernement ne soit pas déjà épuisée.

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Longtemps analyste buy-side au sein d'un cabinet international, je travaille aujourd'hui à mon compte en tant que chargé d'études financières. J'aime aussi donner mon avis sur des sujets d'actualité plus macro.

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