Un collectif inédit, rassemblant pilotes, contrôleurs aériens et experts de l’énergie, met en garde contre les dangers liés aux reflets des panneaux solaires près des aéroports. À l’origine de cette mobilisation, l’incident survenu à Amsterdam-Schiphol, où des milliers de panneaux ont perturbé la visibilité des pilotes et entraîné des fermetures de piste.
Les panneaux solaires, un danger pour les avions ? Un collectif alerte l’État

Un incident européen qui a fait basculer le débat
En mars 2025, l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol a été contraint de fermer sa piste Polderbaan entre 10 h et 12 h chaque matin ensoleillé. Des dizaines de pilotes avaient signalé un éblouissement sévère lors des phases d’approche, provoqué par les reflets de milliers de panneaux solaires installés dans le parc Groene Energie Corridor, situé à proximité. Les autorités néerlandaises ont dû prendre une mesure d’urgence, redirigeant les vols vers d’autres pistes et provoquant une hausse des nuisances sonores pour les riverains. Selon les services de contrôle aérien, jusqu’à 85 vols par jour ont été déplacés, illustrant l’ampleur de la perturbation.
Les solutions techniques se sont révélées complexes à mettre en place à court terme. La municipalité de Haarlemmermeer a envisagé de modifier l’inclinaison des panneaux solaires ou de recourir à des films anti-reflets, mais l’échelle du problème, avec un parc de 100 hectares, a limité la réactivité. Finalement, environ 5 000 panneaux ont été démontés au printemps pour réduire le phénomène.
Quelques mois plus tard, en juillet 2025, un tribunal a ordonné le retrait de 78 000 panneaux supplémentaires, jugeant la gêne dangereuse pour la sécurité aérienne. « Fermer une piste à cause d’une chose pareille est inacceptable », avait dénoncé le député néerlandais Daniël van den Berg, tandis que l’Association des pilotes de ligne appelait à « une solution structurelle dans les plus brefs délais ».
La naissance d’un collectif français
C’est dans ce contexte qu’est né en juin 2025 le Bureau Prévention & Vigilance – Risques d’Éblouissement Solaire sur le Transport (PV-REST). Basé à Paris, ce collectif regroupe environ 200 membres, parmi lesquels des pilotes de ligne, des contrôleurs aériens, des développeurs photovoltaïques, mais aussi des avocats et des assureurs. Leur objectif : alerter sur un danger jusqu’ici sous-estimé et obtenir le rétablissement des études d’éblouissement systématiques autour des aérodromes. « Ce risque dû à l’éblouissement par des panneaux solaires est bien réel et devrait être pris en considération par la DGAC », souligne Anthony Madern, pilote et porte-parole de PV-REST.
Les membres rappellent qu’en octobre 2024, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a supprimé cette obligation, en vigueur depuis plus de quinze ans. Présentée comme une simplification administrative, cette décision a été prise sans concertation avec les acteurs du secteur. « Cette décision prise sans consultation des parties prenantes est totalement injustifiée », affirme l’avocat François Versini-Campinchi, spécialiste des énergies renouvelables. Le collectif estime que la France a pris un risque disproportionné dans l'installation des panneaux solaires, à rebours des recommandations de l’Agence européenne de la sécurité aérienne et de l’Organisation de l’aviation civile internationale.
Des enjeux techniques et économiques sensibles
L’argument avancé par la DGAC tenait à l’accélération du développement des énergies renouvelables et au souhait de réduire les délais administratifs pour l'installation des panneaux solaires. Mais la suppression de ce contrôle fait désormais peser l’entière responsabilité sur les développeurs photovoltaïques. En vertu du Code des transports, toute installation créant un danger aéronautique engage juridiquement son exploitant. « La DGAC a fait le choix d’aller à contresens du principe de précaution », déplore Marceau Leroux, directeur France d’Enerparc et membre du collectif. Pour les acteurs de la filière, l’absence de cadre clair pourrait fragiliser la crédibilité du solaire en cas d’incident grave.
Les solutions techniques existent, mais elles ne sont ni simples ni toujours rentables. Les panneaux solaires à verre texturé profond, capables d’absorber la lumière plutôt que de la réfléchir, restent rares et engendrent un surcoût allant jusqu’à 50 % selon le marché. Des films biomimétiques adhésifs ont été développés pour limiter les reflets, mais ils s’adaptent mal aux grandes surfaces. Une alternative consiste à ajuster l’inclinaison des modules pour limiter l’éblouissement. Or, sans étude préalable, ces ajustements deviennent difficiles, voire impossibles, une fois l’installation réalisée. C’est précisément pour cette raison que PV-REST plaide pour le retour d’une évaluation obligatoire.
Une demande de rétablissement des études d’éblouissement
Les études d’éblouissement représentent un investissement limité au regard de leurs bénéfices. Selon PV-REST, une telle analyse coûte environ 3 500 euros et dure deux semaines, contre près de 100 000 euros et plusieurs années pour une étude d’impact environnemental classique. Ces simulations permettent de cartographier les rayons réfléchis en fonction des saisons et des angles d’approche, identifiant les périodes critiques d’exposition. Elles offrent aux développeurs la possibilité d’optimiser l’implantation des panneaux solaires et d’éviter des investissements coûteux ou des démantèlements ultérieurs.
Le collectif a adressé début septembre une lettre au ministre des Transports, à la DGAC, aux commissions parlementaires et aux institutions européennes. « Un seul incident grave pourrait lourdement affecter tout le secteur », alerte PV-REST. L’appel vise à harmoniser les pratiques au niveau européen, dans la lignée des pays voisins qui imposent déjà des études systématiques lors de l'installation de panneaux solaires autour des aéroports, de l’Allemagne à l’Espagne en passant par le Royaume-Uni. « L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale recommande explicitement qu’aucune installation située à proximité d’un aérodrome ne génère de reflets », rappelle le collectif, en s’appuyant sur l’Annexe 14 de la Convention relative à l’aviation civile internationale.
Une bataille entre transition énergétique et sécurité aérienne
Le dossier illustre la complexité de la transition énergétique. D’un côté, les pouvoirs publics encouragent l’essor des panneaux solaires pour répondre aux objectifs climatiques et à la demande croissante en électricité verte. De l’autre, les infrastructures critiques comme les aéroports se retrouvent exposées à des risques inattendus. L’incident de Schiphol a mis en lumière un paradoxe : la quête de durabilité peut, si elle est mal encadrée, menacer directement la sécurité. Cette tension interroge le principe de précaution, pourtant au cœur des réglementations européennes.
Pour les promoteurs des panneaux solaires, concilier impératifs climatiques et sécurité aérienne passe par une régulation plus fine. L’absence de consultation de la filière lors de la décision de la DGAC reste incomprise. Les développeurs craignent désormais de se retrouver juridiquement seuls face aux risques. À l’inverse, les professionnels de l’aviation jugent la menace trop sérieuse pour rester sans garde-fous. Le collectif PV-REST entend donc maintenir la pression, afin que les autorités françaises et européennes réintroduisent rapidement un cadre contraignant et concerté.
