Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer ce mercredi 26 novembre sur une demande de suspension temporaire (trois mois) de la plateformeShein. Alors qu’un Français sur trois est client régulier de l’enseigne, cette décision pèserait sur le budget des ménages à l’approche de Noël – un budget moyen de 491 euros par Français, au plus bas depuis 2017.
Au plus bas depuis 2017, le budget Noël des Français victime collatérale de la lutte anti fast-fashion ?

Une première. À ce jour, aucun autre État membre n’a engagé de procédure équivalente, même si plusieurs pays (Allemagne, Italie, Belgique) ont notifié à Shein des manquements similaires et exigé des retraits. La Commission européenne, dans le cadre du Digital Services Act, a ouvert une enquête préliminaire sur Shein et Temu, mais privilégie pour l’instant des mesures graduelles : demandes de renseignements, plans d’action, amendes éventuelles. La voie française – blocage total du site via une ordonnance sur requête – se veut, de fait, beaucoup plus radicale.
D’autres plateformes ont connu des rappels massifs sans être suspendues ou menacées de suspension pour autant : Amazon a retiré plusieurs centaines de milliers de références dangereuses ou inappropriées ces dernières années, dont, là-aussi, des « poupées sexuelles », AliExpress et Wish ont été épinglés à de multiples reprises. Le parquet, soutenu par Bercy, reproche à la marque chinoise de ne pas avoir retiré assez rapidement des produits manifestement illicites.
Mais la polémique à propos du géant chinois dépasse largement le seul volet juridique. L’arrivée de Shein (et de Temu) a ravivé le débat sur la compétitivité du textile et de l’industrie européenne. Le secteur français a perdu près de 90 % de ses emplois depuis les années 1960, essentiellement à cause de la mécanisation, de la concurrence d’autres pays européens puis asiatiques (Turquie, Bangladesh, Vietnam), bien avant l’entrée massive de la Chine sur le marché mondial à la fin des années 1990.
Prix cassés pour pouvoir d’achat en miettes
Les prix ultra-bas de Shein ne proviennent pas de subventions étatiques, mais d’économies d’échelle considérables, d’une supply-chain optimisée et d’un modèle « real-time fashion » reposant sur l’IA et des séries limitées lancées quotidiennement. Ce modèle exerce une pression évidente sur les acteurs européens, déjà fragilisés par le coût du travail, la fiscalité et un euro qui reste élevé face au dollar depuis vingt ans.
Mais surtout, pour des millions de ménages français, Shein représente un accès à des vêtements à très bas prix dans un contexte d’inflation persistante. Alors que le budget moyen des Français pour Noël n’a jamais été aussi faible depuis 2017, et que le budget médian dévisse quant-à-lui de 50 euros par rapport à 2024, priver les 23 millions de clients de la marque de vêtements bon marché à l’approche des fêtes reviendrait, ni plus ni moins, à leur refuser une option privilégiée pour se vêtir et offrir des cadeaux à petits prix – ceci alors que 6 Français sur 10 consacrent moins de 200 euros par an à l’achat de vêtements neufs.
Enfin, une suspension, même temporaire, aurait pour effet mécanique de rediriger la demande vers d’autres plateformes ou enseignes plus chères, et donc de nuire encore au pouvoir d’achat des ménages. Les défenseurs de la mesure estiment quant à eux qu’une tolérance trop longue à l’égard des produits non conformes met en danger la santé publique et banalise des contenus choquants.
La France se trouve ainsi dans une position délicate : appliquer strictement les règles européennes (et ses propres normes plus sévères encore) sans tomber dans un protectionnisme déguisé qui serait contraire au marché unique. Une suspension pure et simple risquerait d’ailleurs d’être censurée par le juge européen, à qui elle pourrait apparaitre disproportionnée.
