Le cours du Bitcoin s’est redressé depuis quelques semaines, est-ce purement conjoncturel ou alors cette hausse indique-t-elle quelque chose de plus profond ?
Le Bitcoin à 100.000 dollars au printemps 2024 ?
Le modèle stock/flux (stock to flow en anglais) a été inventé pour l’or, donc bien avant le Bitcoin, pour comprendre ce qui fait sa valeur monétaire. En effet, retracer les évolutions de l’offre et de la demande s’avère bien sûr important pour appréhender les variations de son cours, mais il s’agit d’un point de vue partiel car la principale fonction de l’or est la thésaurisation. Il importe donc de s’intéresser au stock total, et de voir à quel rythme il est renouvelé, c’est l’objet du rapport stock/flux. Et ce ratio est très élevé : nous avons un stock estimé dans le monde de 185.000 tonnes (bijoux, pièces, lingots), et un flux (l’or extrait des mines tous les ans) de 3000 tonnes environ, ce qui donne un ratio de 185.000/3000 = 62. Pour l’argent métal, ce rapport est de : 550.000/25.000 = 22, ce qui explique qu’il est encore considéré aujourd’hui comme une réserve de valeur, même si son ratio est du tiers de celui de l’or (ce qui n’est pas terrible, nous le déconseillons comme investissement).
L’auteur du livre de référence L’étalon Bitcoin (The Bitcoin Standard en anglais), Saifedean Ammous, explique qu’une augmentation du prix de l’or ne fait pas augmenter, ou très peu, sa production, étant donné qu’il est difficile à trouver et coûteux à extraire. En conséquence, cela en garantit la valeur. C’est précisément pour cette raison qu’on le choisit comme monnaie car on est assuré qu’il gardera sa valeur avec le temps, étant donné que sa production ne peut pas significativement augmenter au point de la diluer. C’est ce qui explique ce ratio stock/flux élevé. Alors que face à une hausse du prix du cuivre, les producteurs peuvent aisément en augmenter la production, ce qui en ferait chuter le prix. Les monnaies en cuivre (au Moyen Âge) étaient touchées par l’érosion monétaire, l’inflation, elles servaient juste à l’échange mais jamais à la thésaurisation. Les monnaies papier d’aujourd’hui, que ce soit le dollar, l’euro, le yen ou le yuan, etc. sont de ce type puisque leur coût de production est nul, ce ne sont que des lignes de code informatique sur les ordinateurs des banques centrales...
Et pour le Bitcoin, nous avons également un ratio stock/flux élevé : le « flux » est strictement contrôlé, il est déterminé par l’algorithme. Calculons-le, en nous appuyant sur les articles de PlanB (son Twitter : @100trillionUSD). Quel était ce ratio stock/flux jusqu’en mai 2020 ? Nous avions 18 millions de bitcoins en circulation, 12,5 bitcoins étaient créés toutes les 10 minutes (la récompense pour les mineurs), soit 1.800 par jour (24 heures fois 6 fois 12,5), et donc 657.000 par an (1.800 fois 365). Ce qui nous fait un ratio de 18.000 000/657.000 = 27 (proche de l’argent métal, 22). Mais ce ratio a précisément changé au mois de mai 2020 avec le halving qui a passé la récompense de 12,5 à 6,25 bitcoins. Le flux se tarit, il est divisé par deux (900 bitcoins créés par jour au lieu de 1.800), et le ratio passe d’un coup à 52. À ce niveau, il est très proche de celui de l’or (62). Et avec le prochain halving, qui se produira au printemps 2024, ce ratio dépassera nettement celui de l’or en s’établissant à plus de 100 (113 exactement), soit le double de l’or !
On comprend ainsi qu’un actif dont le ratio stock/flux est élevé va être demandé comme réserve de valeur, et que si ce ratio augmente, sa demande va elle aussi augmenter, et donc son cours. Autrement dit, sa fonction de valeur refuge suscite de plus en plus de demande, mais comme sa rareté augmente, son cours progresse. Voici le scénario pour le Bitcoin.
Cela est-il mesurable ? L’augmentation du ratio, à chaque halving (récompense de 50 bitcoins en 2009, 25 en 2012, 12,5 en 2016, 6,25 en mai 2020, 3,125 en 2024, etc.), se traduit-il par une augmentation de son prix ? Cette évolution peut être représentée par le graphique ci-après où l’on compare le ratio stock/flux à la capitalisation (la valeur totale) :
Il s’agit d’un graphique logarithmique (l’écart entre 1.000 et 10.000 est le même qu’entre 1 milliard et 10 milliards) afin de représenter les petites valeurs, qui autrement seraient « écrasées ».
Le gros point jaune en haut représente l’or (ratio de 62 sur l’axe des abscisses, 9.000 milliards de dollars sur l’axe des ordonnées), le gros point gris l’argent. La multitude des petits points représente le Bitcoin sur tous les mois entre décembre 2009 et février 2019. Au début, le BTC est en bas à gauche (ratio faible, à l’époque d’une récompense de 50 BTC sur un nombre existant faible), puis il grimpe progressivement sur la droite pour se trouver au niveau de l’argent. Depuis le halving de mai 2020, le Bitcoin se trouve très proche de l’or. Les différentes couleurs représentent l’écart par rapport à la date du halving : les points bleus, proches du halving (2012 et 2016), sont sur la droite, et quand on s’éloigne de cette date, on s’écarte un peu (points rouges). Globalement, on constate une remarquable régularité entre le ratio et le prix (le coefficient de corrélation est de 94,7%).
L’équation de cette droite de régression est :
Ln(y) = 3,31954 ln(x) + 14,6227
Plus facile à manier, on peut en déduire cette équation qui donne le prix du Bitcoin en fonction de son ratio stock/flux :
y (USD) = exp(-1,84) * SF ^ 3,36
avec :
exp(-1,84) = 0,1588 (exponentielle de -1,84)
SF (ratio, ici 27) exposant 3,36 = 64.473
Ce qui donne, juste avant le halving de juin 2020, un cours de 10.238 dollars, soit assez proche du cours de l’époque (9.467 dollars le 1er juin). Depuis le halving de mai 2020, le ratio stock/flux est passé à 52 et en refaisant ce calcul, on obtient un cours de 92.602 dollars, qui devrait donc être le cours moyen pour la période 2020-2024. Et après le halving de 2024, le ratio passe à 113 et on obtient un BTC à 1,2 million de dollars l’unité (soit environ 25.000 milliards de dollars de capitalisation), il aura ainsi dépassé l’or (10.000 milliards de dollars en 2020).
Presque 100.000 dollars de cours d’équilibre sur la période 2020-2024, nous en sommes loin ! Nous avons fait au mieux 70.000$ en novembre 2021, rappelons-le. Une autre façon de représenter ce ratio est le graphique suivant (en échelle logarithmique), le trait noir représente le cours « théorique » du Bitcoin d’après le ratio stock/flux, et la ligne colorée le cours effectivement réalisé :
Nous voyons que le cours décroche sérieusement du modèle à partir d’avril 2021. Cela veut-il dire qu’il n’est plus significatif ? Il trop tôt pour en décider selon nous, il y a aussi eu d’importants écarts, surtout à la hausse il est vrai (2011, 2014, décembre 2017), pourquoi pas à la baisse cette fois ? On voit cependant qu’à chaque halving (indiqués par les lignes verticales), le cours rejoint le prix estimé par le modèle (fin 2012, mi-2016, mi-2020), en sera-t-il de même pour le prochain ? Si le cours du Bitcoin approche les 100.000 dollars au printemps 2024, nous pourrons dire que le modèle est vérifié, attendons en croisant les doigts… Ce serait une formidable nouvelle, parce que l’étape d’après, c’est le million de dollars !
Et justement, avec la faillite de la Silicon Valley Bank le 10 mars dernier, et la crainte qui touche depuis un grand nombre de banques américaines et européennes, le cours du Bitcoin a bondi (tout comme l’or d’ailleurs), alors que les indices boursiers plongeaient. Depuis longtemps le cours du Bitcoin était corrélé à celui des indices boursiers, du Nasdaq particulièrement, la cryptomonnaie étant vue comme un actif technologique. C’est vrai mais pas uniquement, c’est aussi une protection contre les faillites bancaires (quand vous possédez en propre les clés privées de vos BTC) et contre l’inflation (« l’or numérique »). Les investisseurs commencent à le comprendre, c’est un point d’inflexion, comme je le signalais dans ce tweet, très prometteur pour le futur…
Dans ce cadre, atteindre les 100.000 dollars au printemps 2024 n’a rien d’utopique. On ne peut pas se fier aveuglément au modèle stock to flow, certes, mais rien ne permet de décider qu’il est invalidé. Il a très bien fonctionné jusqu’ici, il a connu plusieurs écarts importants, mais gardons-le à l’esprit, et il nous dit que Bitcoin est en ce moment sous-évalué, un signal d’achat.
(Extrait de mon livre sur le Bitcoin et de la Lettre de mars 2023 que je rédige pour le Groupe Vauban.)