Cultiver la résilience: des chercheurs protègent le café et le chocolat des menaces climatiques

Que ce soit par la sécheresse ou les maladies, le café et le chocolat sont menacés, mais des scientifiques et des agriculteurs collaborent pour que ces plaisirs quotidiens restent sur nos tables.

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By Horizon Published on 28 octobre 2025 5h00
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Cultiver la résilience: des chercheurs protègent le café et le chocolat des menaces climatiques - © Economie Matin
37%Le prix du café a augmenté de 37% en un an

Dans les collines dominant Matagalpa, au Nicaragua, Juan Pablo Castro se consacre à la culture du café depuis 25 ans. Son exploitation de deux hectares, parsemée de citronniers, est représentative des petites propriétés qui alimentent une large part du marché mondial du café. Mais en 2023, il a constaté les premiers effets directs du changement climatique sur ses cultures.

«À cause de la sécheresse, nous avons récolté des grains qualifiés de 'vains'», raconte son fils, Jeffry Castro. «Normalement, chaque cerise contient deux graines, mais maintenant, la gousse est vide ou ne contient qu'une graine mal formée.» 

Ces grains plus légers et défectueux remontent à la surface lors du lavage et peuvent altérer la saveur et l'arôme du café arrivant dans la tasse.

Un autre souci d'ordre climatique est l'incidence croissante de la rouille du caféier. Cette maladie fongique (Hemileia vastatrix) provoque l'apparition de taches jaune-orange sur les feuilles, affaiblit les plantes et représente un risque majeur pour la production mondiale de café.

Aujourd'hui, Jeffry travaille en tant que technicien dans une station expérimentale dirigée par la fondation Nicafrance, une organisation nicaraguayenne de développement qui collabore avec des chercheurs soutenus par l'Union européenne pour sécuriser l'avenir du café et du cacao.

Vers un café et un chocolat adaptés au changement climatique

Les cours du café et du cacao atteignent des sommets, en partie à cause des aléas météorologiques qui diminuent les rendements. Cette situation pénalise non seulement les agriculteurs comme les Castro, mais aussi les consommateurs européens.

L'Europe est l'un des principaux consommateurs de café et de cacao dans le monde. Elle représente environ un tiers de la consommation mondiale de café et légèrement moins de la moitié de la consommation mondiale de cacao. Le changement climatique se fait déjà sentir à travers l'augmentation du prix d'un expresso matinal ou d'une tablette de chocolat.

«Si nous voulons continuer à manger du chocolat et à boire du café, nous devons unir nos efforts au niveau mondial», explique Sophie Léran, spécialiste en biologie végétale et chercheuse au Centre français de recherche agronomique pour le développement international. 

Mme Léran coordonne BOLERO, une initiative financée par l'UE qui regroupe une équipe internationale mettant au point de nouvelles variétés de café et de cacao capables de résister aux sécheresses, aux parasites et aux températures extrêmes.

«Nous devons adopter de nouvelles méthodes de culture. Les plantes doivent devenir plus robustes pour résister au changement climatique», affirme-t-elle.

Cultiver des variétés résistantes grâce à l'approche de BOLERO

L'équipe de BOLERO est constituée de spécialistes européens, des instituts de recherche nationaux de trois pays producteurs (Nicaragua, Ouganda, Vietnam) ainsi que de partenaires industriels. Son travail se focalise sur la sélection de variétés de café et de cacao plus résistantes et moins dépendantes d'intrants externes comme les engrais.

Les efforts des chercheurs portent notamment sur le greffage, qui consiste à combiner les parties aériennes de plants de café et de cacao avec des racines ou des porte-greffes plus résistants, souvent issus de variétés de café sauvage ou de robusta

Pourquoi opter pour le greffage? Car la sélection traditionnelle des plantes est tout simplement trop lente. En effet, développer une nouvelle variété par pollinisation croisée et par des années de croissance nécessite entre 20 et 30 ans, ce qui est bien trop lent au regard de l'évolution du climat.

«Nous prenons des variétés déjà mises au point, qui ont été testées et approuvées, et nous les greffons sur des porte-greffes adaptés, par exemple à la sécheresse», explique Mme Léran. «C'est une approche beaucoup plus rapide pour faire face au changement climatique.»

Pour les cultivateurs, cela signifie qu'ils peuvent continuer à cultiver les grains qu'ils connaissent, mais qu'ils obtiennent des plants plus robustes en seulement quelques années, et non au bout de plusieurs décennies. Jeffry voit le potentiel de cette démarche. 

«Grâce aux plants greffés, nous pouvons conserver nos variétés favorites tout en leur permettant de s'adapter rapidement aux changements climatiques. Une plante avec des racines résistantes à la sécheresse vivra plus longtemps et limitera les baisses de production».

Travailler avec les agriculteurs et l'industrie

L’inconvénient du greffage est son coût plus élevé par rapport à une culture issue de graines. C’est pourquoi l’équipe de BOLERO collabore avec de grandes sociétés agricoles comme ECOM et Agromillora pour augmenter les volumes de production et faire baisser les prix.

Les experts innovent également en menant une étude approfondie sur les systèmes racinaires et en mettant au point des modèles informatiques pour obtenir les meilleures combinaisons de plantes et de racines.

Certaines plantes issues du greffage pourraient être mises à la disposition des agriculteurs dans un délai de cinq ans. Les dégustations réalisées avec des entreprises comme Nestlé, Illy et Lavazza indiquent que ces produits préservent la saveur et l’arôme recherchés par les consommateurs de café.

«Nous avons évalué la qualité de la tasse, ce qui inclut le goût et l’arôme du café», a expliqué Mme Léran. «C’est essentiel pour pouvoir exporter ces plantes dans le monde entier.»

Du laboratoire au terrain

Habituellement basée en France, à Montpellier, Mme Léran a déménagé au Nicaragua pour collaborer directement avec les agriculteurs des hauts plateaux. Dans la ferme expérimentale, de nouvelles variétés sont testées en conditions réelles, incluant diverses doses d’engrais, degrés d’ombrage et expositions à la sécheresse.

«Nous menons de nombreuses expériences», a affirmé Mme Léran. «Certaines plantes reçoivent la moitié de la dose d'engrais normalement utilisée. D’autres sont cultivées sous des arbres pour tester leur croissance dans des conditions ombragées. Et, naturellement, nous analysons leur tolérance à la sécheresse.»

Habituée à travailler en laboratoire, Mme Léran reconnaît que le changement a été difficile au début mais qu’elle a fini par l'apprécier. «Aller sur le terrain et apprendre des agriculteurs et des techniciens a été pour moi une nouvelle expérience. Dans la plupart des cas, c’est moi qui apprends.»

Des efforts au niveau mondial

Les défis rencontrés ne sont pas propres à l’Amérique centrale. Dans la province vietnamienne de Dong Nai, située près de Ho Chi Minh Ville, l’agriculteur Nguyen Quy Tuan cultive environ 1 500 cacaoyers.

«Nous devons les arroser davantage», a-t-il rapporté. «Nous sommes aussi confrontés à une recrudescence de ravageurs et de maladies. Cela entraîne des dépenses supplémentaires pour les pesticides et les fongicides, ainsi que pour l’électricité nécessaire à l’irrigation.»

Au Vietnam, le réseau BOLERO collabore avec ECOM, un grand négociant et producteur de matières premières, pour tester de nouvelles variétés de cacao. 

«Les sécheresses deviennent plus fréquentes», a indiqué Laurent Bossolasco, directeur du développement durable de l’entreprise. «En avril dernier, nous en avons subi une particulièrement grave qui a fait grimper les prix du café à des niveaux records».

L’espoir est que de nouvelles plantes plus résistantes pourront aider les agriculteurs à s’adapter et à stabiliser les prix. «Lors de ma dernière visite en France, j’ai été choqué par les prix du café», a-t-il déclaré.

«Nous observons d'importantes fluctuations de prix, en partie à cause du changement climatique. Évidemment, nous ne pouvons pas stopper le changement climatique seuls, mais nous pouvons aider les agriculteurs à y faire face.»

Effet d’entraînement

Les travaux menés sont déjà mis en application dans les campagnes vietnamiennes, où les agronomes collaborent avec les agriculteurs et les instituts agricoles pour tester de nouvelles variétés de plantes.

Nguyen est impatient d'obtenir les nouvelles graines de cacao. «En collaboration avec les techniciens, nous avons déjà identifié les variétés qui nous conviennent le mieux», a-t-il affirmé. «Il faudra enrichir les nutriments présents dans le sol de notre exploitation. Espérons que cela suffira.»

Alors que l’initiative entre dans sa dernière année, l’accent est mis sur la transformation des expérimentations en graines et plantes utilisables. Si elle aboutit, elle préservera les moyens de subsistance des agriculteurs et garantira que des produits de base, comme un expresso matinal ou un carré de chocolat, continueront de faire partie de notre quotidien.

«Nous devons nous assurer que ces précieuses cultures puissent perdurer dans un climat en mutation rapide», a expliqué Mme Léran.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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