Le moteur cale, les freins grincent, et les amortisseurs de la politique économique semblent usés jusqu’à la corde. Pourtant, dans ce décor morose, une infime lueur de mouvement émerge dans les rouages de la croissance française. Mais faut-il vraiment y voir autre chose qu’un sursaut statistique ?
Croissance française : sursaut technique au T1 mais avenir sombre

Le 30 avril 2025, l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) a publié ses premières estimations concernant la croissance française au premier trimestre 2025. Résultat : une timide progression du produit intérieur brut (PIB) de +0,2 %. Un chiffre à manier avec des pincettes tant il masque des déséquilibres profonds et une reprise plus illusoire que réelle. Derrière ce rebond en apparence modeste se cache une série de signaux contradictoires qui méritent d’être scrutés à la loupe pour comprendre la trajectoire réelle de l’économie française.
Croissance au T1 2025 : un regain ou un mirage ?
Selon les dernières données publiées par l’Insee, le PIB a progressé de +0,2 % au cours des trois premiers mois de l’année. Un chiffre en apparence rassurant après la stagnation observée au quatrième trimestre 2024, mais qui ne repose sur aucune dynamique réelle de l’économie productive.
En réalité, la croissance est portée par des variations de stocks – autrement dit, par des ajustements comptables liés à l’accumulation de marchandises non écoulées. L’Institut précise : « La contribution des variations de stocks est positive de 0,5 point », tandis que la demande intérieure finale est en retrait. Sans cet effet de stockage, le PIB serait en recul de -0,3 %. Autant dire que l’économie réelle patine.
La consommation des ménages, moteur habituel de l’activité, reste anémique (+0,1 %), freinée par l’inflation persistante des services et la désorganisation des politiques de soutien à la consommation. Le cabinet Asterès le résume crûment dans une note transmise le 30 avril : « Cette progression reste trop faible pour enclencher un véritable redémarrage ».
Des moteurs de croissance à bout de souffle
L’analyse sectorielle confirme la fragilité du mouvement. L’investissement des entreprises (FBCF, formation brute de capital fixe) n’a progressé que de +0,3 %, malgré une légère détente sur les taux d’intérêt. Dans la construction, l’activité recule encore de -0,5 %. L’Insee signale que « le secteur des équipements électriques enregistre une baisse de -0,8 % », tandis que le raffinage chute de -3,2 %.
Le commerce extérieur, loin de compenser ces faiblesses, contribue négativement à la croissance (-0,4 point), pénalisé par un recul des exportations (-0,7 %) et une reprise des importations (+0,4 %). Les effets escomptés d’un redémarrage mondial post-pandémie tardent à se matérialiser. L’économie française reste embourbée dans une atonie structurelle, renforcée par une compétitivité à la peine.
Dans son bulletin de février 2025, la Banque centrale européenne (BCE) souligne : « L’activité économique reste fragile. L’inflation intérieure demeure élevée, notamment dans les services, tandis que les salaires continuent d’absorber les tensions passées » . Autrement dit, les entreprises peinent à dégager des marges suffisantes pour réinvestir, et les ménages ajustent leur consommation au centime près.
Une économie bridée par des tensions externes et internes
Malgré la baisse des taux directeurs de la BCE de 25 points de base fin janvier 2025, les conditions de financement demeurent restrictives. La Banque de France relève dans ses projections intermédiaires de mars : « Les entreprises restent prudentes face à un environnement monétaire encore contraint, et la consommation des ménages ne redémarre que lentement malgré une progression des revenus réels » .
L’environnement géopolitique n’aide pas. La Banque centrale évoque « des risques accrus liés aux tensions commerciales internationales, aux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, susceptibles d’alimenter des pressions inflationnistes persistantes » . Autant de menaces qui freinent le commerce mondial et pèsent sur les anticipations économiques.
Les prix de l’énergie demeurent volatils, le Brent ayant progressé de +4,7 % entre décembre et janvier, et le gaz européen de +14,6 % sur la même période. Quant aux matières premières alimentaires, leur envolée (+5,9 % pour le maïs et le cacao) pourrait fragiliser davantage le pouvoir d’achat dans les mois à venir.
Quelles perspectives pour les prochains trimestres ?
La Banque de France table sur une croissance annuelle de +0,7 % en 2025, bien en deçà du potentiel de l’économie française, tout comme le gouvernement. Pour y parvenir, il faudra un réveil progressif de la consommation et une stabilisation du contexte international. Mais rien n’est garanti.
Les économistes d’Asterès se montrent prudents : « Les politiques budgétaires ne produisent pas encore les effets escomptés et la réindustrialisation tarde à se concrétiser dans les chiffres ». Le gouvernement reste silencieux, misant sur l’inertie d’une reprise européenne à venir. Mais cette stratégie de l’attente pourrait bien s’avérer coûteuse si le crédit reste cher et si les ménages continuent de thésauriser.
La réalité est simple : sans relance ciblée, sans réformes de productivité, et sans vision industrielle cohérente, la croissance française risque de continuer à jouer les mirages statistiques. Et pendant ce temps, le chômage structurel, l’investissement atone et la stagnation des salaires progressent lentement mais sûrement dans l’ombre des indicateurs macroéconomiques.
