Personne ne s’attendait à ce que quelques jours fériés suffisent à désorganiser tout un système énergétique. Alors que les Français profitaient de longues pauses printanières, une onde de choc a secoué le marché de l’électricité.
L’électricité à prix négatif : les ponts de mai font disjoncter le marché

Le vendredi 10 mai 2025, un seuil symbolique a été franchi : le prix de l’électricité sur le marché de gros français est passé sous la barre du zéro euro, atteignant -1,05 euro par mégawattheure (MWh), d'après Les Echos. Un phénomène rarissime, qui n’avait plus été observé depuis juillet 2024. Cette dégringolade tarifaire n’est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence directe d’une conjonction de facteurs liés aux « ponts de mai », à une météo solaire excessive et à un déséquilibre structurel persistant du réseau électrique.
Électricité : le jour où le mégawattheure est devenu une charge
C’est une aberration économique difficile à justifier d’un point de vue intuitif : le vendredi 10 mai 2025, les producteurs d’électricité ont payé pour écouler leur production. En cause, une combinaison explosive : des jours fériés multipliés (1er, 8 et 9 mai), un ensoleillement exceptionnel, et une demande en berne. Résultat : « le tarif journalier moyen s’est établi à -1,05 euro par mégawattheure (MWh), plaçant la France au plus bas des grands marchés européens ». Ce n’était pas un accident de quelques heures, mais bien une moyenne quotidienne négative, touchant le marché, celui où l’on vend et achète l’électricité pour le lendemain. Une première depuis dix mois. Le système, sursaturé de courant non consommé, a réagi de manière brutale : faire payer les producteurs pour injecter leur électricité. Le site Eurelectric l’explique sans détour : « En période de faible demande et d’offre élevée, des prix de l’électricité extrêmement bas, voire négatifs, peuvent survenir. Cela signifie que les producteurs doivent payer pour injecter leur électricité dans le réseau. ».
Quand la surproduction devient un poison pour le marché électrique
L’Agence de régulation (CRE) ne cache plus son inquiétude. Dans son rapport publié fin 2024, elle dénombrait déjà 359 heures de prix négatifs sur l’année, soit 4,1 % du temps total annuel, contre seulement 102 heures en 2022. Autrement dit : ce n’est plus un phénomène marginal, c’est une tendance lourde. Le coupable ? Un modèle de soutien aux énergies renouvelables qui, s’il permet leur développement, empêche aussi toute régulation fine. Certaines centrales photovoltaïques ou éoliennes, soutenues par un tarif de rachat garanti, ne sont pas incitées à réduire ou suspendre leur production quand le marché s’effondre. Ce qui aggrave encore la saturation. La conséquence économique est immédiate : selon la CRE, les pertes cumulées par les producteurs d’électricité liés à ces heures de prix négatif atteindraient 80 millions d’euros sur le seul premier semestre 2024. Et avec l’objectif de 5 GW de capacités solaires supplémentaires pour 2025 (prévision Bloomberg), le déséquilibre pourrait s’accentuer. La tension sur le réseau n’est pas qu’un problème conjoncturel ; elle devient structurelle.
Ponts de mai et énergie : un cocktail explosif pour le marché
En surface, on pourrait croire à une bonne nouvelle pour le consommateur. Mais pas forcément. Les prix négatifs sur le marché de gros ne se répercutent pas sur la facture des ménages, rappelle l’article de L’Express. Car ce marché n’est qu’un rouage du système. L’électricité y est échangée entre fournisseurs, distributeurs et opérateurs avant d’être livrée à l’utilisateur final. Or, la consommation n’a pas redémarré franchement depuis la crise du gaz de 2022, comme l’indique Julien Teddé, directeur général du courtier Opéra Énergie, dans Les Échos : « Malgré la volonté d’électrifier les usages, la consommation d’électricité n’a pas redémarré franchement depuis la crise du gaz et la flambée des prix de l’énergie en 2022. » En résumé, nous produisons toujours plus, pour des besoins stagnants, voire déclinants. Et le printemps, avec ses journées fériées à répétition, met cette absurdité sous les projecteurs. Un exemple frappant : le samedi 10 mai, la production solaire devait frôler les 14 gigawatts, soit à peine 4 GW sous le record absolu. Le paradoxe est cruel : une abondance énergétique, mais une valeur négative.
Vers une instabilité chronique du marché de l’électricité ?
Le danger ne vient pas seulement des ponts de mai. Il est structurel. Une baisse chronique de la demande couplée à une accélération de la production verte non flexible risque de transformer ces épisodes en habitude. Les prix horaires négatifs deviennent désormais un symptôme d’un système qui déborde. Derrière les apparences, ce sont les producteurs et l’équilibre du marché qui vacillent. La Commission de régulation de l’énergie le souligne dans ses données accessibles en avril 2025 : le système est sous tension dès que la consommation fléchit et que les conditions météo favorisent la production solaire.
