Une entreprise canadienne mise sur les fonds marins pour lancer un nouveau modèle minier

Les fonds marins deviennent une cible. Entre rêves industriels, ambitions géostratégiques et alarmes écologiques, l’océan profond entre dans l’ère de l’extraction minière.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 30 avril 2025 9h26
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300 milliards de dollarsLe gouvernement américain promet 300 milliards de dollars de PIB supplémentaire sur dix ans.

Le 29 avril 2025, The Metals Company (TMC), société minière basée à Vancouver, a déposé une demande officielle d’exploitation minière des fonds marins dans les eaux internationales. Cette première mondiale se déroule sous l’impulsion d’un décret du président américain Donald Trump. En s’affranchissant de l’autorité onusienne censée réguler ces activités, le Canada et les États-Unis redessinent un pan entier du droit maritime international.

Exploitation minière : l’eldorado des abysses sous pavillon canadien et décret Trump

La filiale TMC USA cible une surface de plus de 25 000 kilomètres carrés dans la zone Clarion-Clipperton, au cœur du Pacifique. Cette région, connue des géologues, recèle une profusion de nodules polymétalliques, sortes de galets tapissant les fonds océaniques, riches en nickel, cuivre, cobalt et manganèse. Ces métaux sont indispensables à la fabrication des batteries, circuits électroniques, câbles haute tension ou véhicules électriques, et donc à l’économie dite verte.

TMC mise sur des volumes colossaux : selon ses propres estimations, ses deux zones en cours d’étude contiendraient 15,5 millions de tonnes de nickel, 12,8 millions de tonnes de cuivre, 2 millions de tonnes de cobalt et 345 millions de tonnes de manganèse. Initialement, l’entreprise prévoyait de soumettre sa demande d’exploitation à l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) en juin 2025. Mais, invoquant la lenteur de l’organisation à adopter un code minier définitif, elle a opté pour un raccourci légal : s’adresser directement à Washington, qui n’est pas lié par les règles de l’AIFM, les États-Unis n’ayant jamais ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Trump propulse l’exploitation des fonds marins hors cadre international

Le 24 avril 2025, Donald Trump a signé un décret présidentiel exigeant l’accélération des procédures de délivrance de permis miniers dans les zones situées « au-delà des juridictions » américaines. Le texte s’appuie sur une loi datant de 1980 autorisant l’extraction dans les eaux internationales via la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Ce décret incarne une rupture assumée avec les accords multilatéraux, motivée par la volonté de sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques et de relancer une base industrielle jugée défaillante.

Le gouvernement américain promet des résultats tangibles : 300 milliards de dollars, soit environ 264 milliards d’euros,  de PIB supplémentaire sur dix ans, et la création de 100 000 emplois industriels. Ces chiffres sont brandis comme un argument imparable face à une dépendance persistante à la Chine, acteur majeur de l’extraction et du raffinage des terres rares.

Le président justifie cette démarche en ces termes : « Les États-Unis font face à un défi économique et de sécurité nationale sans précédent, à savoir la sécurisation de leurs approvisionnements en minéraux critiques sans en passer par des adversaires étrangers ». Le patron de TMC, Gerard Barron, célèbre un tournant historique : « Aujourd'hui marque une étape majeure, non seulement pour TMC USA, mais pour l'indépendance en minerais et la résurgence industrielle de l'Amérique » (Radio-Canada).

Une exploitation décriée par les ONG et les scientifiques du monde entier

Mais l’enthousiasme entrepreneurial a rencontré une levée de boucliers quasi immédiate. Les critiques, portées par une large coalition d’ONG environnementales, scientifiques et États, convergent autour d’un même grief : le saccage programmé d’écosystèmes méconnus. Greenpeace, Ocean Conservancy, Oceana, Center for Biological Diversity alertent sur les conséquences d’une industrialisation sans garde-fou des grands fonds marins.

Emily Jeffers, avocate du Center for Biological Diversity, accuse frontalement : « Trump est en train d’exposer l’un des écosystèmes les plus fragiles et méconnus à l’exploitation industrielle incontrôlée » (Le Monde). Même tonalité chez Greenpeace : « L’annonce de TMC restera dans les mémoires comme un acte de mépris total pour le droit international et le consensus scientifique », déclare Ruth Ramos (Radio-Canada).

Les opposants rappellent que les nodules convoités se forment lentement, sur des millions d’années, et servent de refuge à des organismes encore non identifiés. Leur extraction pourrait provoquer des nuages de sédiments destructeurs, perturber les courants marins et affecter les chaînes trophiques à des profondeurs allant jusqu’à 5000 mètres.

Vers une guerre géopolitique des abysses ?

Cette opération canadienne légitimée par l’administration Trump ne constitue pas seulement une expérimentation industrielle. Elle installe une ligne de fracture géopolitique dans les relations internationales. La Chine, par la voix de Guo Jiakun, porte-parole de son ministère des Affaires étrangères, a dénoncé une « violation du droit international » et un geste qui « nuit aux intérêts de la communauté internationale dans son ensemble » (Le Monde).

La démarche de TMC, si elle fait école, pourrait encourager d’autres puissances à s’affranchir du cadre multilatéral, accélérant ainsi une forme de course aux abysses. Le Japon, les îles Cook ou encore l’Inde ont déjà attribué des licences d’exploration dans leurs zones économiques exclusives. À ce jour, cependant, aucune exploitation minière commerciale des fonds marins n’a encore démarré.

TMC semble vouloir forcer l’Histoire. Le PDG Gerard Barron affirme : « Avec le ferme soutien de Washington [...], nous sommes impatients de fournir le premier projet mondial d’extraction commerciale de nodules » (Radio-Canada). Ce projet, s’il aboutit, marquera une bascule historique : celle d’un océan autrefois protégé, devenu territoire convoité, prospecté, et potentiellement exploité.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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