Identification des poulets mâles avant éclosion: vers un élevage plus éthique

En identifiant le sexe des poussins dans l’œuf, des technologies financées par l’UE pourraient aider à empêcher le massacre de millions d’oiseaux chaque année.

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Par Horizon Publié le 17 mai 2023 à 5h30
Poulet Male Detection Oeuf

Wil Stutterheim s’est fixé une mission: mettre un terme à l’abattage chaque année de milliards de poussins d’un jour dans l’industrie mondiale de la volaille.

Du fait qu’ils ne pondent pas d’œufs et produisent moins de viande que les femelles, les poussins mâles sont, en effet, jugés dans une large mesure comme inutiles par les aviculteurs. En conséquence, rien que dans l’UE, environ 330 millions de poussins mâles sont tués chaque année presque immédiatement après leur naissance.

Un duo déterminé

Parallèlement aux protestations des groupes de défense des animaux, plusieurs États membres ont appelé à interdire cette pratique dans toute l’UE, déjà prohibée en Allemagne et en France. Depuis 2011, M. Stutterheim, un chef d’entreprise néerlandais, s’est fixé pour objectif de sauver les poussins mâles.

Il a cherché, avec Wouter Bruins, étudiant en biomédecine à l’Université de Leyde aux Pays-Bas, à résoudre différents problèmes épineux afin de tester leur activité entrepreneuriale naissante. C’est en discutant avec des éleveurs de poulets que M. Bruins a eu le déclic.

« Un de ces éleveurs lui a confié que, pour chaque poule de son poulailler, un poussin mâle avait été tué », a déclaré M. Stutterheim.

Cette prise de conscience a incité le duo, en 2013, à créer la société In Ovo, dédiée à la recherche d’approches plus humaines pour le secteur de la volaille. Tous deux ont réalisé une découverte majeure en 2016, en identifiant un biomarqueur unique permettant d’identifier le sexe des œufs, rapidement et en masse.

Grâce au financement de l’UE dont a bénéficié leur projet InOvotive, qui a débuté en 2020 et s’est achevé l’an dernier, MM. Stutterheim et Bruins ont mis au point et développé à grande échelle un système qui empêche l’abattage de millions de poussins mâles chaque année.

Identification du sexe

La solution high-tech proposée par le projet In Ovo de Leyde, s’intitule «Ella», le prénom de la fille de l’ingénieur en chef et qui signifie « elle » en espagnol.

Des plateaux contenant des centaines d’œufs passent dans une machine qui identifie le sexe des poussins à naître, en moins d’une seconde.

« Nous faisons un petit trou dans les œufs avec une petite aiguille, puis nous en retirons un peu de liquide que nous analysons au moyen d’une méthode de dépistage très rapide », a déclaré M. Stutterheim.

Dans chaque échantillon, un biomarqueur naturel indiquant le sexe de l’embryon est recherché. Les œufs sont ensuite marqués et triés. Aucune modification génétique n’est nécessaire.

Si c’est une femelle, l’œuf reste au chaud dans le couvoir jusqu’à la naissance du poussin. Si c’est un mâle, l’œuf n’est pas incubé, ce qui permet d’éviter des frais inutiles. Il peut alors être utilisé dans la fabrication d’aliments destinés aux animaux de compagnie et d’élevage, de produits pharmaceutiques ou cosmétiques.

Empêcher la naissance de poussins mâles permet également d’économiser le coût induit par l’élevage de poulets mâles pour la viande. Ceux-ci grandissant beaucoup plus lentement que les femelles, ils doivent être élevés et nourris plus longtemps.

Le système est utilisé dans un couvoir commercial néerlandais depuis 2020 et sera aussi mis en place en Belgique d’ici peu. L’objectif est d’étendre le système à d’autres régions du monde.

Des éleveurs de volailles de pays aussi divers que la Suisse, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et des pays d’Amérique du Nord et du Sud, ont exprimé leur intérêt pour ce système.

« L’objectif d’In Ovo est de fournir une solution au plus grand nombre de marchés possible, car nous voulons mettre définitivement un terme à la pratique de l’abattage des mâles dans le secteur de la volaille », a déclaré M. Stutterheim.

Il se dit convaincu que cette évolution est inévitable car les consommateurs veulent pouvoir manger des œufs sans se sentir coupables.

« C’est un important problème d’éthique et de bien-être animal et c’est pourquoi nous y travaillons », a déclaré M. Stutterheim.

Inspiration issue de souvenirs d’enfance

Il n’est pas le seul à vouloir agir pour améliorer le sort des poussins mâles. Inspiré par ses souvenirs d’enfance, à l’époque où il aidait ses grands-parents dans leur élevage de poulets, Yehuda Elram, avocat, a également aidé à développer un moyen de mettre fin à la pratique de l’abattage des poussins.

Lorsque Dani Offen, professeur de neurosciences à l’Université de Tel Aviv, a parlé à M. Elram du potentiel offert par une nouvelle technologie d’édition génomique nommée CRISPR, il a sauté sur l’occasion. M. Offen a qualifié ce nouveau système de «révolutionnaire».

Il a conduit à la création de eggXYt, une startup israélienne ayant pour mission de mettre au point un scanner capable de détecter rapidement le sexe des embryons de poulet à l’intérieur des œufs au moyen d’un scanner optique non invasif.

En octobre 2019, l’UE a apporté son soutien à cette entreprise en finançant un projet de 30 mois du même nom afin de faire progresser la technologie.

« C’est une solution parfaite, simple et géniale », a déclaré M. Elram, cofondateur et PDG d’eggXYt.

Offen voulait trouver un moyen de voir à travers la coquille de l’œuf pour déterminer si l’embryon était mâle ou femelle sans endommager l’œuf.

Le CRISPR permet de le faire en éditant avec précision les gènes des poules pondeuses et en ajoutant un morceau d’ADN qui attribue un biomarqueur fluorescent à leurs embryons mâles. Celui-ci fait briller les œufs mâles sous le scanner, ce qui leur permet d’être facilement séparés des œufs femelles.

En scannant l’œuf à travers la coquille, eggXYt évite non seulement l’incubation inutile et la mort rapide des poussins mâles, mais il permet également à l’industrie avicole d’économiser des milliards en frais d’incubation et de sexage manuel. Comme avec InOvotiv, les œufs mâles non incubés sont réutilisés pour éviter le gaspillage.

Toutes les conditions sont réunies pour que la technologie soit prochainement commercialisée sur des marchés stratégiques d’Europe et d’Asie.

Prochain objectif, la grippe aviaire?

L’équipe d’EggXYt pense qu’en plus d’éviter l’abattage des poussins mâles le système CRISPR pourrait apporter la solution à une autre problème auquel le secteur avicole est confronté avec la grippe aviaire.

Basé sur l’édition génomique, le système CRISPR offre la possibilité de modifier l’ADN des poulets pour les empêcher d’attraper la grippe aviaire. L’idée est essentiellement de supprimer une portion de l’ADN du poulet pour empêcher le virus de se développer dans les cellules.

La grippe aviaire peut être transmise aux volailles domestiques par les oiseaux sauvages. Elle tue généralement les poulets et les dindes qu’elle infecte tandis que les oiseaux d’eau infectés qui survivent continuent de propager le virus. Cette maladie respiratoire entraîne des milliards de pertes pour l’industrie de la volaille, et contraint les éleveurs à abattre leurs volailles.

Ce sont ces conséquences désastreuses qui ont poussé EggXYt à chercher également un moyen d’immuniser les poulets contre la grippe aviaire.

« L’enjeu est important », a déclaré M. Elram. «Le CRISPR pourrait aussi aider à résoudre cet autre problème insoluble.»

Par PIETER DEVUYST

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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