Lula remporte la présidence brésilienne et devra faire face à un Congrès divisé

Luiz Inàcio Lula da Silva a remporté le scrutin présidentiel au Brésil ayant promis des investissements publics, une réforme fiscale et l’éradication de la faim dans le cadre d’un programme qui dépend de la formation d’alliances au sein d’un Congrès divisé.

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Par Stéphane Monier Publié le 4 novembre 2022 à 5h22
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1%Le Brésil pourrait voir son taux de croissance passer sous la barre des 1% en 2023.

En obtenant 50,9% des voix, Lula dispose d'une marge plus étroite que ne l'indiquaient les sondages. Sa victoire a été confirmée par le Tribunal supérieur électoral du Brésil.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, le président Jair Bolsonaro, candidat sortant de droite, n'a toujours pas concédé sa défaite. Durant toute la campagne électorale, il a remis en question l'intégrité du Tribunal électoral et la fiabilité des urnes électroniques brésiliennes. Alors que les institutions politiques brésiliennes et la communauté internationale ont approuvé le résultat des élections, le risque de troubles politiques ne peut être écarté. Les marchés surveillent de près la réaction de M. Bolsonaro.

Les investisseurs seront particulièrement attentifs à la liste des ministres nommés par Lula pour son troisième mandat présidentiel, ainsi qu'aux négociations avec les autres partis afin de constituer une majorité de travail au Congrès, avant son entrée en fonction le 1er janvier 2023. Il a déjà annoncé qu'il nommerait au poste de vice-président l'ancien gouverneur de Sao Paulo Geraldo Alckmin, considéré comme favorable aux entreprises et aux marchés. Les élections du 2 octobre 2022 à la Chambre des députés et au Sénat ont produit un Congrès encore plus divisé et orienté à droite, avec davantage de sièges pour les alliés de Jair Bolsonaro, ce qui compliquera la mise en œuvre du programme de Lula. Le nouveau Président aura besoin du soutien de l'influent bloc centriste pour déjouer toute procédure de destitution et faire passer de nouvelles lois. Modifier la Constitution sera encore plus difficile pour Lula et ses alliés au sein du nouveau Congrès, car cela nécessitera l'appui d'une partie des partis de droite qui ont soutenu Jair Bolsonaro.

Avant même que le nouveau gouvernement n'entre en fonction, l'administration Bolsonaro et le Congrès doivent travailler ensemble pour apporter de nouvelles modifications au plafond constitutionnel des dépenses, afin de pouvoir continuer à verser aux ménages les allocations sociales de 600 BRL (113 USD) par mois. Alors que l'extension de ces paiements, appelés « Auxilio Brasil », bénéficie d'un large soutien au Congrès, le Parti des travailleurs de Lula (Partido dos Trabalhadores ou « PT ») pourrait recourir à des solutions de contournement provisoires, comme le report du budget final de 2023. Sans ces mesures, les prestations sociales retomberaient à 400 BRL, plaçant Lula dans une position politique délicate dès le début de son nouveau mandat.

Lula, qui a rempli deux mandats présidentiels jusqu'en 2010, a critiqué le plafonnement des dépenses, pourtant largement considéré par les investisseurs comme rassurant sur le plan économique, car il limite la réponse budgétaire du gouvernement en cas de crise. Il n'a pas précisé comment il entendait financer sa politique. Il pourrait envisager d'établir une fourchette en termes d'excédent budgétaire comme alternative au plafonnement. La question de savoir si le Congrès soutiendra un tel amendement constitutionnel reste ouverte.

Désinflation et indépendance de la Banque Centrale du Brésil

Malgré un taux directeur punitif de 13,75% depuis août, soit environ 6% en termes réels, le Brésil devrait connaître en 2022 une deuxième année consécutive de croissance supérieure à 2% grâce au boom mondial des matières premières et à une consommation solide soutenue par les allocations sociales. En 2023, le ton va changer. Avec l'impact négatif des taux réels élevés qui filtre dans l'économie et le ralentissement de la demande mondiale de matières premières, le Brésil pourrait voir son taux de croissance passer sous la barre des 1% en 2023.

Ce ralentissement conjoncturel devrait contribuer à une désinflation substantielle. L'inflation des prix à la consommation a décéléré, passant de 12,1% en avril à 7,2% en septembre, fortement impactée par la baisse de l'inflation des carburants. Nous pensons que cette tendance se poursuivra en 2023, ce qui devrait ramener l'inflation dans la fourchette cible de la Banco Central do Brasil (BCB) de 3%, plus ou moins 1,5%. Si cela se produit, le Brésil sera l'un des rares pays émergents à atteindre son objectif d'inflation.

La marge d'erreur en matière de politique monétaire nous paraît limitée. Le renforcement des dispositions légales relatives à l'indépendance de la BCB signifie que Lula ne peut pas nommer de nouveaux directeurs pendant les deux premières années de son mandat, laissant à l'actuel président de la banque centrale, Campos Neto, toute latitude pour défendre son objectif d'inflation jusqu'en 2024. Et même à ce moment-là, la marge de manœuvre économique limitée et l'emprise fragile de Lula sur le Congrès entraveront les nominations. Nous restons donc prudents quant au rythme adopté par la BCB pour réduire son taux directeur ou « Selic » l'année prochaine. Des baisses graduelles à partir du deuxième trimestre de 2023 seraient en ligne avec le consensus du marché, surtout si le Congrès accepte de poursuivre la distribution de l'allocation « Auxilio Brasil ».

Le risque budgétaire en point de mire

Les marchés suivront de près le risque budgétaire. Après avoir imposé en 2016 un strict plafond constitutionnel de dépenses, le Congrès brésilien l'a progressivement assoupli dans le sillage de la pandémie de Covid. En dépit de ces modifications, la dette publique brute a diminué en part du produit intérieur brut, grâce aux exportations de matières premières qui ont augmenté les revenus des collectivités locales.

Lula a promis de s'attaquer au logement, d'améliorer les infrastructures publiques, de réformer la fiscalité et d'éradiquer la faim, dans un pays où, selon les Nations unies, plus d'un quart de la population est confrontée à la malnutrition. Avec l'augmentation des dépenses prévue après les élections et la baisse des revenus des matières premières, l'excédent budgétaire pourrait baisser. En conséquence, nous voyons le ratio dette publique/PIB, qui a culminé à près de 99% en 2020, atteindre son point le plus bas en 2022 avant de se redresser progressivement à partir de 2023. Le Fonds monétaire international s'est récemment fait l'écho de ces perspectives en prévoyant un rebond du ratio dette/PIB ces prochaines années. Nous nous attendons à ce que les partis centristes du Congrès restreignent la politique budgétaire de Lula, l'empêchant de réformer en profondeur le plafond des dépenses ou le régime fiscal.

En quête de clarté politique

Les incertitudes politiques à court terme et l'érosion de la discipline budgétaire à moyen terme légitiment notre posture neutre sur les actifs brésiliens. Nous avons initié une exposition à la dette brésilienne en devise locale fin février, en nous fondant sur sa position avancée dans le cycle monétaire et sur son avantage consistant à bénéficier de prix des matières premières plus élevés avec des risques géopolitiques plus faibles, conjugué à une monnaie sous-évaluée. Toutefois, à l'approche du scrutin présidentiel, nous avons pris nos bénéfices sur la dette gouvernementale brésilienne.

Nous maintenons une position neutre sur la dette des pays émergents en devises fortes en général, ainsi que sur la dette d'Amérique latine, où nous préférons les obligations d'entreprise aux emprunts souverains. Compte tenu d'une situation politique toujours polarisée et d'une marge de manœuvre réduite pour des changements radicaux en matière de dépenses budgétaires, nous attendons de voir si les perspectives de la dette gouvernementale brésilienne s'améliorent, ce qui dépendra largement de l'évolution des prix des matières premières.

Le real brésilien reste soutenu par une balance extérieure saine, des valorisations attractives et une dynamique économique solide. Toutefois, la demande chinoise pour les matières premières brésiliennes reste essentielle. Nous estimons que l'USD/BRL devrait se négocier dans une fourchette comprise entre 5,10 et 5,40 durant ces trois prochains mois.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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