Les marchés déposent les armes devant la Fed

Les chiffres économiques remettent en cause les scénarios élaborés par les marchés. Les attentes concernant le ralentissement de l’économie américaine ont été démenties par une activité qui demeure robuste, tandis que l’inflation baisse plus lentement que les investisseurs ne l’avaient espéré.

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Par Stéphane Monier Publié le 1 mars 2023 à 5h33
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3%La croissance mondiale devrait être supérieure à 3% en 2022.

Une trajectoire volatile vers une inflation plus faible nous paraît inévitable et des épisodes récessifs restent probables. Il convient donc de faire preuve de patience et de maintenir un positionnement de portefeuille équilibré, tout en restant prêts à acheter des actifs risqués en cas d'accès de faiblesse des marchés.

Au cours des six premières semaines de 2023, les marchés ont progressé dans l'idée que la Réserve fédérale (Fed) pourrait ralentir ses hausses de taux à mesure que l'économie américaine faiblit. Cependant, selon les données les plus récentes, celle-ci fait preuve de résilience. Elle a créé plus d'un demi-million de nouveaux emplois en janvier. Les ventes au détail ont connu leur plus forte augmentation depuis deux décennies et les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise indiquent que leur sentiment s'améliore par rapport à des niveaux pessimistes. En parallèle, l'inflation reste obstinément élevée. Hors les secteurs de l'alimentation et de l'énergie, l'inflation des prix à la consommation a connu une hausse de 0,4% en janvier par rapport à décembre, renversant ainsi trois baisses mensuelles consécutives. La jauge de l'inflation préférée de la Fed – l'indice des dépenses de consommation personnelle – a également augmenté en janvier par rapport au mois précédent. Les investisseurs envisagent désormais un scénario de croissance continue et d'inflation supérieure à la tendance, et ont intégré des taux d'intérêt plus élevés. Les contrats à terme sur les fonds fédéraux suggèrent désormais que les taux directeurs atteindront un pic autour de 5,5% et qu'ils s'y maintiendront plus longtemps, ce qui est plus conforme à l'orientation de la Fed et à notre opinion de longue date selon laquelle les baisses de taux concerneront essentiellement l'année 2024.

Le scénario de la désinflation a-t-il pris fin aux États-Unis? Nous ne le pensons pas. Les indices des loyers basés sur le marché s'orientent à la baisse, et nous nous attendons à ce que l'inflation des services suive dans les mois à venir, prenant le relais de l'inflation des biens (dorénavant normalisée) comme principal vecteur de désinflation. Toutefois, pour remédier à un marché de l'emploi tendu et à la forte croissance des salaires, la Fed devra redoubler d'efforts. Ses outils monétaires sont moins efficaces dans les domaines où l'offre de main-d'œuvre et la concurrence pour attirer les travailleurs constituent des facteurs clés. Nous nous attendons à ce que la banque centrale américaine poursuive son relèvement des taux d'intérêt en mars, mai, et peut-être même juin, pour atteindre un pic de 5,5% environ. Le maintien des taux directeurs en territoire restrictif devrait ramener l'inflation à environ 3% d'ici fin 2023. Une éventuelle remontée des prix des matières premières – liée à la guerre en Ukraine ou à la hausse de la demande chinoise – constitue un autre risque externe pour les perspectives d'inflation.

Une résilience à toute épreuve?

La croissance américaine restera-t-elle robuste en 2023, malgré le durcissement des conditions financières? L'une des explications possibles de la solidité des données récentes est que le ralentissement anticipé se trouverait déjà derrière nous, après deux trimestres consécutifs de légère contraction de l'économie. Les secteurs boursiers qui ont enregistré les meilleures performances au début de 2023 sont ceux qui, habituellement, surperforment pendant les phases de reprise économique, comme les biens de consommation discrétionnaire, les matériaux ou les services de communication.

« Vous ne voulez pas parier contre les consommateurs américains », a déclaré Ed Yardeni, de Yardeni Research, à Bloomberg la semaine dernière. « Quand ils sont heureux, ils dépensent et quand ils sont déprimés, ils dépensent encore plus. »

Nous ne souscrivons pas à cette explication. Les températures clémentes de l'hiver ont probablement contribué aux données de ce début d'année, car les gens n'ont pas été dissuadés de faire des achats ou de travailler à l'extérieur. Un jour ou l'autre, l'épargne excédentaire accumulée par les consommateurs pendant la pandémie s'épuisera. Les banques américaines ont durci leurs exigences de prêts et resserré les normes de crédit. Les secteurs économiques sensibles aux taux, tels que les mises en chantier, les demandes de prêts hypothécaires, les prêts aux entreprises et les investissements se sont déjà nettement affaiblis. Nous prévoyons toujours des épisodes récessifs cette année, à mesure que l'investissement privé se contractera et que la croissance de l'emploi ralentira.

2023 place la barre bas pour les bénéfices

Les bénéfices des entreprises reflètent également le recul de la demande. Les résultats du quatrième trimestre de 2022 se sont avérés médiocres, mais la réduction progressive des estimations de bénéfices a ramené les attentes à un niveau plus conforme à notre scénario de base. La plupart des analystes s'attendent désormais à ce que les bénéfices des entreprises du S&P500 restent globalement stables en 2023. Ce qui reste assez bénin pour une récession, même légère, mais s'avère plus proche de nos estimations et place la barre potentiellement bas si la situation devait s'améliorer. Un autre risque réside dans les valorisations, où des taux d'intérêt plus élevés que prévu pourraient plafonner les multiples des bénéfices. La dynamique du marché du travail demeure essentielle à cet égard. Pour la Fed, la croissance des salaires reste un facteur décisif des perspectives d'inflation, tandis que pour les entreprises, la hausse des salaires – et pour certaines les recrutements en cours – laissent entrevoir une compression des marges en 2023, la baisse des revenus coïncidant avec l'augmentation du coût de la main-d'œuvre.

Dans le meilleur des scénarios – où le pire du ralentissement conjoncturel se trouverait derrière nous et les entreprises pourraient augmenter leurs revenus d'environ 5% cette année, maintenir leurs marges à des niveaux record et les ratios cours/bénéfice aux niveaux actuels – nous pensons que l'indice S&P500 pourrait atteindre 4'500 en 2023. Toutefois, si l'inflation ne parvient pas à reculer vers 3% d'ici la fin de l'année et si la Fed se voit contrainte de relever les taux à 6% ou au-delà, le S&P500 pourrait chuter aux alentours de 3'200. Le plus probable serait que des données macroéconomiques volatiles le fassent fluctuer tout au long de l'année pour finir autour des niveaux actuels de 3'900, en réponse au ralentissement conjoncturel et à la baisse de la demande.

À la lumière de ces faits, nous privilégions un positionnement de portefeuille équilibré, avec des allocations aux actions à un niveau neutre par rapport à notre indice de référence stratégique. Nous suggérons de tirer profit des phases de faiblesse des marchés pour augmenter graduellement les expositions aux actifs risqués. Nous continuons à rechercher les actifs qui présentent des avantages en termes relatifs, notamment ceux qui sont mieux à l'abri de mauvaises surprises et qui bénéficient de meilleures perspectives de croissance.

Dans nos expositions aux actions, nous préférons le reste du monde aux États-Unis, avec un accent particulier sur les valeurs chinoises et les titres des marchés émergents qui devraient bénéficier de la réouverture de la Chine. Quant aux marchés des taux, nous privilégions les obligations de qualité telles que les bons du Trésor américain et le crédit de qualité. Si la tendance baissière du dollar pourrait temporairement marquer une pause, nous restons d'avis qu'une croissance plus forte en dehors des États-Unis devrait contrebalancer l'avantage de taux d'intérêt élevés pour le dollar, et nous tablons sur un nouvel affaiblissement de la monnaie américaine en 2023. L'inflation – et le spectre de taux élevés – reste le principal risque pesant sur les marchés financiers. Nous nous attendons à une trajectoire volatile vers la normalité, nécessitant une gestion active, alors que l'économie se rétablit après une série de chocs

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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