Marseille – Israël : Eurolinks, un maillon commercial dans l’engrenage militaire

Derrière une ligne budgétaire de 16 millions d’euros se cache une controverse à haute intensité. La chaîne économique reliant Marseille à Tel Aviv met à l’épreuve la doctrine française en matière de commerce de défense. À commencer par le rôle d’Eurolinks, désormais au centre de la tempête.

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By Amandine Leclerc Published on 12 juin 2025 12h37
Marseille Israël
Marseille – Israël : Eurolinks, un maillon commercial dans l’engrenage militaire - © Economie Matin
16 millions d’eurosSébastien Lecornu a déclassifié un document révélant 16 millions d’euros d’exportations françaises vers Israël en 2024, majoritairement composées d’équipements dits « défensifs ».

Le 11 juin 2025, une plainte déposée par la Ligue des droits de l’homme (LDH) auprès du tribunal judiciaire de Paris fait irruption dans l’économie feutrée du commerce d’armement. La société marseillaise Eurolinks, spécialisée dans les composants métalliques, est accusée d’avoir exporté vers Israël des pièces pouvant être utilisées dans l’assemblage de munitions militaires. Derrière cette affaire, se dessine un tableau économique complexe, où les exportations stratégiques croisent les contraintes du droit humanitaire, les intérêts industriels et la diplomatie commerciale.

Eurolinks : une PME au cœur d’une chaîne de valeur stratégique

Au départ, Eurolinks n’apparaît que comme un sous-traitant discret de la base industrielle et technologique de défense. Mais selon les révélations croisées de Le Monde, Disclose, et Marsactu, l’entreprise aurait vendu à IMI Systems, filiale du groupe israélien Elbit Systems, des maillons métalliques servant à relier les cartouches de fusils-mitrailleurs.

Ces transactions auraient généré une part mineure mais régulière de son chiffre d’affaires, Eurolinks évoquant 5 à 7 % de son activité annuelle à destination d’Israël. Un volume modeste en apparence, mais dont la nature soulève des interrogations juridiques et politiques majeures. D’autant que selon 20 Minutes, plusieurs expéditions similaires auraient eu lieu en avril et mai 2025.

Exportations françaises vers Israël : chiffres, catégories et flous réglementaires

Face à la montée des critiques, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a répliqué en déclassifiant un document recensant les exportations françaises d’armement vers Israël pour 2024. Selon Le Figaro, celles-ci s’élèvent à 16 millions d’euros, répartis en catégories non létales ou « à vocation défensive » : composants pour le Dôme de fer, systèmes électroniques, éjecteurs de munitions, maillons, accessoires divers et potentiomètres. La doctrine affichée ? Des exportations exclusivement autorisées pour la réexportation ou les systèmes défensifs.

Mais dans les faits, cette ligne doctrinale n’évacue pas les doutes. Le rapport de Progressive International, relayé par 20 Minutes, estime que la France livre du matériel « régulièrement et continuellement » depuis octobre 2023, y compris des composants entrant dans la fabrication de missiles, mines, grenades et bombes.

L’impact économique est non négligeable : Israël a passé 19,9 millions d’euros de commandes d’armement à la France en 2023, un chiffre relativement stable face aux 25,6 millions d’euros en 2022, mais accompagné d’un bond massif des exportations de biens à double usage (civil et militaire) à 192 millions d’euros en 2023, contre 34 millions d’euros en 2022, majoritairement dans le domaine de l’électronique.

Système de licences, secret industriel et responsabilité étatique

Ces flux ne sont pas aléatoires : ils sont encadrés par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), un organe où siègent les représentants des ministères de l’Économie, de la Défense et des Affaires étrangères. Cette structure délivre des licences individuelles d’exportation, souvent confidentielles, sans publication systématique ni débat parlementaire.

Dans ce cadre, la plainte de la LDH entend élargir les responsabilités au-delà d’Eurolinks. Elle vise également les autorités françaises, estimant que « la commission qui délivre les licences doit aussi être mise en cause ». En d’autres termes, la critique ne se limite pas à l’entreprise : elle interroge toute la chaîne économique et institutionnelle qui permet l’exportation de matériel potentiellement létal vers une zone de guerre.

Dockers, logistique et contestation sur le terrain

Les rouages économiques de l’affaire Eurolinks incluent aussi un maillon logistique devenu imprévisible : les dockers du port de Marseille-Fos. Le 4 juin 2025, ces derniers ont refusé de charger un conteneur destiné à Tel Aviv, identifié comme contenant des composants militaires. Selon Christophe Claret, secrétaire général CGT des dockers, « on a réussi à l’identifier, le mettre de côté ».

Ce refus, inédit depuis les années 2000, met en lumière une rupture de la chaîne logistique nationale sur fond d’objection de conscience professionnelle, mais aussi de prise de position économique directe contre le commerce de guerre.

Une économie d’armement sous surveillance politique

L’affaire Eurolinks expose les fragilités d’un modèle économique fondé sur la dualité entre rentabilité industrielle et neutralité politique. En permettant à une PME de livrer des composants sensibles, tout en affirmant ne vendre « aucune arme offensive », la France tente un exercice d’équilibriste.

Mais les faits économiques sont têtus. Les flux vers Israël, qu’ils soient modestes ou indirects, placent l’Hexagone dans une position inconfortable sur le marché mondial des équipements de défense. Plus encore, ils mettent en jeu sa crédibilité en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans le secteur stratégique de l’armement.

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