Les milliardaires plus puissants que les États : une obscénité mondiale

Des chiffres qui donnent le vertige. Une concentration inédite. Une dynamique qui dérange. Derrière les fluctuations des marchés et les discours de crise, une catégorie sociale continue de gravir les échelons… à une vitesse insolente : les milliardaires…

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 3 avril 2025 7h00
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@shutter - © Economie Matin
342 MILLIARDS $Elon Musk, avec ses 342 milliards de dollars, possède une fortune comparable à celle de la Finlande.

Le 2 avril 2025, Fortune a publié un constat implacable : les milliardaires de la planète détiennent désormais plus de richesses que la totalité des pays du monde à l’exception des États-Unis et de la Chine. Et le plus choquant ? Cette accumulation s’est faite dans un contexte d’effondrement boursier, de crise sociale, de précarité galopante. Pendant que des millions de personnes tentent de survivre, une poignée continue de s’enrichir avec une indécence froide.

La richesse des milliardaires explose malgré la tempête économique

Une accumulation qui défie toute logique sociale : 3 028 personnes ont aujourd’hui le statut de milliardaire, selon le classement 2025 de Forbes. C’est un record absolu, avec un bond de 2 000 milliards de dollars en un an, malgré les pertes sur les marchés financiers. Leur fortune cumulée atteint 16 100 milliards de dollars, soit près de 15 000 milliards d’euros. Un montant qui dépasse le produit intérieur brut (PIB) de toutes les nations, sauf deux, à savoir la Chine et les Etats-Unis.

Le contraste est brutal : alors que l’indice S&P 500 chute de 7 %, le Nasdaq de 10 %, et que l’économie mondiale traverse des turbulences, les plus fortunés avancent sans sourciller. Jeff Bezos a bien perdu 29 milliards de dollars entre janvier et mars 2025, Elon Musk a vu 156 milliards de dollars s’évaporer à cause de la débâcle boursière de Tesla, mais cela ne remet jamais en cause leur place au sommet.

Même les boycotts, les baisses de ventes, les sanctions politiques ou les turbulences réglementaires n’enrayent qu’en surface cette montée vertigineuse. Car le fond du système est intact : la richesse appelle la richesse. Et pour les plus fortunés, les tempêtes économiques sont des opportunités.

Une poignée d’hommes plus riches que des pays entiers

Il ne s’agit pas d’une hyperbole : Elon Musk, avec ses 342 milliards de dollars, possède une fortune comparable à celle de la Finlande. Mark Zuckerberg détient 216 milliards, davantage que le PIB de l’Algérie. Jeff Bezos, lui, avec 215 milliards, dépasse la Hongrie. À eux seuls, ces trois hommes concentrent 773 milliards de dollars.

Le phénomène est encore plus saisissant quand on regarde le « Club des 100 milliards », composé de 15 individus. Ensemble, ils détiennent 2 400 milliards de dollars. Une somme délirante, et surtout, dangereuse. Dangereuse, car elle confère à ces individus un pouvoir économique, politique et médiatique sans contrepoids démocratique.

Et ils ne sont pas seuls. En 2024, 204 nouveaux milliardaires ont été créés. Soit près de quatre par semaine, selon Oxfam. Le rythme s’accélère. À ce rythme, cinq personnes pourraient atteindre le statut de trillionnaire (mille milliards de dollars) d’ici une décennie.

Héritages, monopoles, copinage : bienvenue dans l’aristocratie moderne

Si encore cette richesse provenait exclusivement du travail ou de l’innovation… Mais non. Selon les données relayées par Fortune, 60 % de la fortune des milliardaires proviennent d’héritages, de positions monopolistiques ou de réseaux d’influence. Une caste se perpétue, s’auto-reproduit, verrouille l’ascenseur social. Dans son rapport cité par Fortune, Oxfam dénonce : « La capture de notre économie mondiale par une minorité privilégiée a atteint des sommets autrefois inimaginables », déclarait Amitabh Behar, directeur exécutif international de l’ONG.

Le message est clair : ce n’est plus seulement de l’accumulation, c’est une prédation. Un système dans lequel la fortune se construit par le capital relationnel, les optimisations fiscales extrêmes, la spéculation algorithmique, les partages d’influence et le contrôle des circuits productifs.

Pendant ce temps, les inégalités s’aggravent et la pauvreté ne se réduit pas

Pendant que certains deviennent plus riches que des États, la pauvreté reste figée depuis les années 1990. La richesse des 1 % explose. Les autres stagnent. Selon les données citées par Fortune, la majorité des Américains vit au jour le jour, sans marge de manœuvre. Le salaire médian s’effrite, les loyers explosent, l’inflation épuise les classes moyennes.

Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé : le modèle économique mondial organise la concentration du capital. En haut, les fortunes s'empilent. En bas, les besoins fondamentaux deviennent un luxe.

Le scandale d’un monde à deux vitesses : les milliardaires d'un côté, les pauvres de l'autre

Il ne s’agit pas simplement d’un écart. Il s’agit d’un écart qui tue la démocratie. D’une structure économique dans laquelle les ultra-riches peuvent faire pression sur les gouvernements, contrôler les flux médiatiques, orienter les décisions globales, tout en échappant à toute responsabilité. Le pouvoir est devenu privé, mais ses conséquences sont publiques.

Et que dire lorsque les fortunes les plus obscènes échappent largement à l’impôt ? Alors que les hôpitaux publics s’effondrent, que l’école manque de moyens, que les systèmes de solidarité sont étranglés, on apprend que certaines de ces fortunes ont été multipliées par deux en une seule année, comme celle de Donald Trump, désormais évaluée à 5,1 milliards de dollars.

Malgré les données, les alertes des économistes et des ONG, la réaction politique reste timide, voire complice. Qui ose proposer une taxation des grandes fortunes à l’échelle mondiale ? Qui remet en question la légitimité de fortunes de plusieurs centaines de milliards ?

Le rapport de force est trop déséquilibré. Car l’argent achète le temps, la visibilité, les avocats, les lobbyistes, les récits. Il modèle les récits dominants, légitime l’inacceptable, justifie l’absurde.

Inégalités : pas d’issue sans sursaut collectif

Ce n’est pas une fatalité. Mais cela exige une révolution fiscale mondiale, une remise en cause de l’impunité des très riches, un rééquilibrage des leviers de pouvoir. Sans cela, l’écart entre la richesse et la pauvreté ne sera pas comblé, il sera institutionnalisé. Pire : normalisé.

Pendant ce temps, les milliardaires avancent. En pleine crise mondiale, ils prospèrent. En pleine misère sociale, ils s’engraissent. Et pendant que les États s’endettent, eux augmentent leur fortune plus vite que jamais.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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