Peut-on gérer un État fédéral comme X/Twitter, ou pourquoi Elon Musk a échoué

Lors de son second mandat présidentiel, Donald Trump a créé le DOGE (Department of Government Efficiency), dont l’objectif affiché était d’améliorer l’efficacité gouvernementale. Le DOGE a ambitionné en un premier temps de gérer le gouvernement fédéral par l’extrême numérisation et l’hyperperformante d’où l’appel à la personnalité d’Elon Musk.

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By Pascal de Lima Published on 6 septembre 2025 9h30
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Peut-on gérer un État fédéral comme X/Twitter, ou pourquoi Elon Musk a échoué - © Economie Matin
378 MILLIARDS $La fortune d'Elon Musk est estimée à 378 milliards de dollars.

La numérisation d’un État et de ses services publics est souvent présentée comme la quintessence d’un État efficace et moderne. On peut citer deux exemples : celui de l’Estonie et celui du Danemark. Le cas estonien est paradigmatique : à la manière d’une “start-up nation” appliquée à l’appareil d’État, l’Estonie a construit dès les années 1990 une architecture numérique cohérente, reposant sur le socle X-Road, un protocole d’interopérabilité qui relie les bases de données de l’administration et du secteur privé.

Mais Elon Musk a rapidement échoué. On souhaitait d’abord appliquer les logiques de l’hyperperformance et des principes de disruption propres à la Silicon Valley. Laboratoire de gestion autoritaire, brutal, certes parfois visionnaire en façade, mais qui pousse à l’extrême les logiques d’efficience, certains modes de management peuvent faire froid dans le dos : réduction massive à distance des effectifs, façon Reagan-Thatcher ; exiger une performance constante sur un critère précis, externaliser, automatiser, travailler beaucoup, tout le temps, sans négociation, dans des logiques sacrificielles, simplification des hiérarchies et désintermédiation des services, dans un cadre de tension entre agilité et bureaucratie. Last but not Least, tout service gratuit devait être supprimé, il fallait : mieux évaluer le ROI de la justice, de l’éducation, des investissements dans les domaines innovants. Tout est soumis à l’univers de l’argent.

Cette méthode Twitter oublie les fondements mêmes des principes de fonctionnement d’un État fédéral, d’abord au service du régalien et des citoyens. L’administration n’est pas un centre de profit, ni une start-up. Dans ce cadre, la tentation est grande de confondre efficacité et légitimité. Faire payer chaque acte administratif, c’est remettre en cause le principe fondamental d’universalité. Une administration garantit un droit mais ne vend pas un service. Une administration, par définition, doit gérer une complexité et garantir des objectifs contradictoires : universalité et efficience, justice sociale et équilibre budgétaire. La performance d’un État ne se mesure pas à sa vitesse d’exécution, mais à sa capacité à garantir des droits et à délivrer un service public. Il faut aussi un consensus national, notamment dans la gestion de crise. En résumé, la légitimité démocratique est essentielle au fonctionnement d’un gouvernement fédéral, et il ne peut pas reposer uniquement sur l’agilité et l’efficacité. Cette approche de management extrême est fondamentalement incompatible avec le fonctionnement du secteur public par nature, que ce soit aux États-Unis ou en France. Le secteur public a une logique différente de celle du privé. Il se légitime à travers des missions qui ne visent pas la rentabilité. Ce simple fait signifie que l’état d’esprit des agents publics n’est pas compatible avec un management aussi directif et brutal, c’est une tentative de privatiser l’âme de l’État. Ce que Musk veut faire du gouvernement, c’est ce que l’on fait d’un moteur : qu’il consomme moins, qu’il aille plus vite, qu’il coûte moins cher. Mais une nation n’est pas une machine.

Sans oublier que cette promesse d’un Etat numérique se heurte aussi à des impasses comme le projet Louvois en France censé automatiser la paie des militaires, tout comme au Royaume-Uni, l’échec du projet de centralisation des dossiers médicaux du NHS.

On aurait peut-être pu faire autrement : l’histoire contemporaine regorge d’exemples d’États qui ont réussi leur réforme sans brutalité, sans nihilisme technocratique, mais en s’appuyant sur le tissu institutionnel, sur la concertation, sur la culture politique du compromis. Pensons à : La Suède dans les années 1990, qui a combiné rigueur budgétaire et renforcement de l’État-providence, en réformant sa fiscalité, ses retraites, son marché du travail, tout en préservant ses amortisseurs sociaux. L’Allemagne, avec l’Agenda 2010 sous Schröder : des réformes du marché du travail (Hartz) qui, tout en étant controversées, ont été encadrées par un État fédéral fort, avec des dispositifs d’accompagnement, et surtout sans renoncer à la vocation sociale du modèle rhénan. Le Canada dans les années 1990, confronté à une crise budgétaire majeure, mais qui a redressé ses finances sans exploser l’État social, grâce à une stratégie d’équilibre budgétaire mesurée et à une décentralisation intelligente.

Ce que révèle la méthode Elon Musk, à travers ses interventions dans la sphère publique et notamment via le DOGE, ce n’est pas une vision innovante de l’État : c’est une régression autoritaire masquée sous les traits séduisants de la technologie et de la vitesse. Musk ne réforme pas, il fracture. Il ne corrige pas, il efface. Il ne construit pas, il remplace.

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Chef économiste, Economiste de l'innovation, knowledge manager des cabinets de conseil en management (20 ans). Essayiste et conférencier français spécialiste de prospective économique, mon travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Responsable de l'offre "FUTURA : Impacts des innovations sur les métiers de demain". Vision, Leadership, Remote of Work, Digital as Platforms...secteurs Banque Finance Assurance, PME TPE, Industrie et Sport du Futur. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Consultant et Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'Altran - dont un an auprès d'Arthur D. Little...), je fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, je deviens en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management. En 2022, je deviens Chef économiste de CGI et Directeur de CGI Business Consulting. Intervenant en économie de l'innovation à Aivancity, Sciences po Paris, ESSEC, HEC, UP13, Telecom-Paris... et Conférenciers dans le secteur privé, DRH, Directions Métiers... J'ai publié plus de 300 tribunes économiques dans toute la presse nationale, 8 livres, 6 articles scientifiques dans des revues classées CNRS et j'interviens régulièrement dans les médias français et internationaux. Publication récente aux éditions FORBES de « Capitalisme et Technologie : les liaisons dangereuses – Vers les métiers de demain ». Livre en cours : "La fin du travail" Site personnel : www.pascal-de-lima.com

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