Le diable ne s’habille plus en Prada

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Par Emmanuel Toniutti Publié le 19 février 2015 à 5h00
Argent Pouvoir Hommes Richesse Bonheur

Vous souvenez-vous de cette comédie dramatique américaine réalisée par David Frankel à partir du livre de Lauren Weisberger "Le diable s’habille en Prada" ? Il raconte l’histoire d’Andrea Sachs, l’assistante de Miranda Priestly, rédactrice en chef du célèbre magazine de mode Runway.

Miranda Priestly, remarquablement interprétée dans le film par Meryl Streep, est un leader aux demandes hyper capricieuses et aux comportements tyranniques. Elle incarne le pouvoir, l’avidité, la démesure mais plus encore, selon Lauren Weisberger, elle est le diable.?

Qu’est-ce que le diable ?

Du point de vue philosophique, il est le non-être. Du point de vue théologique, il est le tentateur. Du point de vue spirituel, il est le démonique. Le diable se reconnaît au travers de ses vices. Il se veut omnipotent ; il croit qu’il est immortel. Il se veut tout sachant ; il croit que dans toute situation il sait distinguer, seul et avec certitude, le bien du mal. Il fait et défait à sa guise. Il manipule en vue d’instaurer son propre pouvoir. Il légitime l’égocentrisme. Il met en scène sa propre démesure. Il rend les autres esclaves du pouvoir et du besoin d’être aimé. Il promet aux plus incrédules l’immortalité. Sa particularité : il ne se cache pas, il œuvre à visage découvert. A force de le voir constamment autour de nous, nous avons oublié qu’il est le diable.?

Si le diable ne s’habille plus en Prada, c’est donc qu’il a changé de tailleur

Ce dernier a non seulement modifié son nom mais également son adresse. Quel nom et quelle adresse pourraient incarner aujourd’hui selon vous l’obsession de l’argent ? La recherche incessante du pouvoir ? Le sentiment exacerbé de la jalousie ? La domination excessive de l’égocentrisme ?? Son nom : le divin marché. Son adresse : les marchés financiers du monde entier. Le diable a tissé sa toile en réseaux. Le divin marché est l’idée selon laquelle les marchés n’ont pas besoin d’être régulés, ils s’auto régulent d’eux-mêmes. Pourquoi Georges W. Bush avait-t-il donc été obligé de faire voter par le congrès le 3 octobre 2008 un plan de sauvetage de plus de 700 milliards de dollars de l’économie américaine ? Parce qu’il n’existait aucune main invisible qui régulait naturellement le marché. Pourquoi la Chine veut-elle faire de Shanghai le plus grand centre financier du monde pour l’avenir ? Parce qu’elle-même, contaminée par le virus, a décidé de devenir le centre névralgique du divin marché ; plus d’argent, toujours plus d’argent…mais pour quoi faire ?

Le diable s’habillerait-il donc désormais en Mammon ( Dieu de l’argent ) ?

Ce serait bien trop facile de donner une telle interprétation de l’histoire humaine. Le diable s’habille en dieu de l’argent depuis les débuts de l’histoire de l’humanité. Si nous observons cette histoire, nous y voyons que l’ensemble de la décadence des sociétés humaines provient toujours de trois éléments répétitifs régressifs : l’argent, le pouvoir et le sexe. (3) Qui donc est le diable ? L’être humain lui-même. C’est bien ce que laisse supposer Lauren Weisberger elle-même dans son livre. En réalité, nous sommes notre propre ennemi à nous-mêmes. Nous créons les idées de notre monde, nous les mettons en application. Nous créons des idéologies, nous les imposons. Nous définissons de belles valeurs et nous ne les mettons pas en œuvre. Nous visons des idéaux que nous n’atteignons finalement pas. Pourquoi ne pas faire définitivement la vérité avec nous-mêmes ? Nous sommes le diable, le non-être, le tentateur, le démonique.?

Et qui met en œuvre les idées que nous créons ?

Les leaders. C’est-à-dire ceux qui ont en eux-mêmes la capacité à faire croire aux autres en leurs idées, la capacité à faire adhérer les autres à leurs projets. C’est pourquoi je voudrais vous suggérer une distinction toute personnelle entre le leader et le leader responsable. Le leader est à son propre service. Le leader responsable est au service des autres. Le leader a un besoin de reconnaissance surdimensionné qui le conduit à ne voir que son intérêt personnel. Le leader responsable n’a pas besoin d’être reconnu, il est là pour accomplir une mission pour le bien commun ; maintenir la confiance et le partage de valeurs humaines fortes ; transmettre du sens à ses équipes afin d’atteindre ensemble les résultats financiers, en faisant de la relation humaine le premier facteur clé de réussite de l’entreprise.?

L’être humain se pense immortel

Il veut être aimé de manière narcissique et il impose alors aux autres les délires de son propre fantasme. Nous constatons simplement où nous conduit ce modèle : à l’enrichissement surdimensionné des uns aux dépends des autres ; à l’hyper pouvoir d’un petit groupe d’individus (ceux qui créent les idées et les mettent en œuvre) sur l’ensemble de la masse ; à des crises successives dont nous ne savons pas gérer les conséquences.? Soyons réalistes. Nous sommes mortels et nous disparaîtrons tous. Un jour viendra, où dans nos dernières heures, nous ferons le bilan de notre vie ; pour nous mettre en cohérence avant de nous en aller définitivement ; pour savoir ce que nous laisserons à nos enfants, à l’humanité à laquelle nous appartenons. Car les leaders ont oublié un élément essentiel de leur responsabilité : ils ont à servir une humanité qui leur ressemble, ils ont à conduire des femmes et des hommes dont le reflet de leur propre visage est, chaque jour, leur propre humanité.

Mais alors si nous sommes le diable, existe-t-il au fond de nous-mêmes quelque chose qui pourrait nous sauver ?

Oui, la part de Dieu qui est en nous (5). Qu’est-ce que Dieu ? Du point de vue philosophique, il est l’Être. Du point de vue théologique, il est le Père ou le Tout-Puissant. Du point de vue spirituel, il est l’Inconditionné, le pouvoir des origines qui a donné naissance à toute chose. C’est à nous de découvrir la part d’être qui est en nous, la part de nous-mêmes qui nous relie tous les uns aux autres. La responsabilité est la prise de conscience que nous n’existons jamais sans les autres. Cela nous appelle donc à développer de nouveaux modèles de leadership responsable. Personnellement, je crois en ce que j’appelle le modèle du leadership de l’amour. Deux passages me semblent révélateurs de ce modèle.?

L’un provient du livre de la voie et de la vertu : "Pourquoi la mer est-elle la reine des cent fleuves ? Parce qu’elle se trouve au-dessous d’eux. Le sage agit avec humilité et respect des personnes. Parce qu’il n’est en conflit avec personne, personne n’est en conflit avec lui." L’autre provient du livre de l’ecclésiaste : "Heureux l’homme qui médite sur la sagesse, qui raisonne avec intelligence et réfléchit dans son cœur". ?Cet amour dont je parle n’est pas n’importe quel amour mais celui qui respecte la différence de l’autre, celui qui prend en compte le besoin des autres, celui qui répond de manière absolue au bien commun en ne se souciant plus de son intérêt égoïste personnel. Un autre monde me direz-vous ? Oui un autre monde, une autre vision pour le monde et pour le monde des affaires en particulier. N’en va-t’il pas du salut de notre espèce ?

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Emmanuel Toniutti est conseil en management auprès de chefs de grandes entreprises, et candidat à l’élection présidentielle de 2017.

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