Autoroutes : faut-il renationaliser ?

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Par Daniel Rolland Modifié le 26 août 2019 à 17h09
Iss 3050 00830
50 milliardsUne renationalisation des autoroutes pourrait coûter jusqu'à 50 milliards d'euros

La privatisation d’ADP relance la question de la renationalisation des autoroutes. Le Sénat et le gouvernement refusent. Dans les faits, malgré les critiques, les concessions privées ont fait des autoroutes françaises une référence en termes de prestations et de sécurité, construites avec des fonds dont ne dispose pas l’État. Mais surtout, où l’Etat trouverait-il les 30 à 50 milliards d’euros nécessaires à un rachat ?

La privatisation des autoroutes de 2006 reste critiquée. La contestation des Gilets Jaunes a renforcé la médiatisation de ce mécontentement en inscrivant la renationalisation dans les cahiers de doléances et par des opérations « péage gratuit » (1). Plus récemment, les débats autour de la privatisation d’ADP ont fait appel au précédent des autoroutes pour refuser la concession des aéroports à un opérateur privé. Cette somme de faits devrait en toute logique pousser les opérateurs privés vers la sortie. Pourtant, le 7 mars 2019, le Sénat a refusé une proposition visant à renationaliser les autoroutes. Le gouvernement tient la même position. Au-delà des critiques, les concessions ont en effet renforcé la sécurité des autoroutes et allégé la dette publique.

« Qualité et confort » : les fruits du privé ?

En s’appuyant sur le contexte des critiques émises par les Gilets Jaunes, plusieurs sénateurs ont déposé le 16 janvier 2019 une proposition de loi « relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France » (2). Le texte a toutefois été rejeté dès sa première lecture par 248 voix contre 93. L’argument principal retenu par le Sénat vise la spécificité de cette privatisation. Le régime de la concession serait le seul moyen de conserver un réseau routier « de qualité et de confort en Europe ». La sécurité en fait partie, et à ce titre les autoroutes françaises sont considérées, dans la durée, comme les plus sûres d’Europe. En 2010, une étude EuroRAP avait placé notre pays au premier rang, une place confirmée par le site spécialisé Caradisiac en 2014 (3). Plus récemment, en 2018, un autre site spécialisé, Auto-Moto, comparait l’Allemagne et la France, au bénéfice de l’Hexagone quant aux prestations et à la sécurité autoroutières (4).

Au travers d’un document publié en janvier 2015, l’Association française des sociétés d’autoroutes (AFSA) avait synthétisé ses réalisations en la matière afin de nuancer les critiques émises à l’égard de ses membres, les concessionnaires privés (5). Depuis 2006, plus de 24 milliards d’euros ont été affectés par le privé aux infrastructures de transport, en parallèle des presque trente milliards versés à l’État en redevances diverses. Le privé a notamment développé nombre de technologies pour améliorer la sécurité et faire baisser le nombre de tués sur les routes. Au bilan, en 2017, le nombre de morts sur autoroute s’était réduit de moitié depuis les années 2000 (6) en dépit, selon l’ASFA, d’une augmentation de 43% des kilomètres parcourus. Pour 4,3 morts par milliard de kilomètres parcouru en 2000 et 2,8 en 2005, le niveau s’est maintenu entre 1,7 et 1,9 depuis la privatisation (7). Renationaliser impliquerait donc pour l’État de pouvoir fournir le même niveau de dépenses pour maintenir le niveau des services, ce qui lui serait très difficile année après année, sauf à augmenter les impôts…

Renationaliser : une gabegie financière ?

Le Sénat présentait un second argument à l’appui du maintien des autoroutes sous pavillon privé : le coût d’une renationalisation, inenvisageable pour l’État. La question du développement de nouvelles infrastructures dans le cadre de l’implémentation progressive de mobilités émergentes implique par ailleurs des frais que les pouvoirs publics seraient incapables de supporter. La seconde Chambre rappelle que l’argent du péage, qui représente 97% des recettes des autoroutes (8), ne se constitue pas que de bénéfices au profit des sociétés privées. 42% sont reversés à l’État en impôts et taxes, 12% sont dédiés à l’exploitation, 21% remboursent la dette et rémunèrent les investisseurs, tandis que 25% sont dirigés vers la construction et la modernisation du réseau. La nationalisation aurait pour effet de basculer ces 25% « dans le ‘tonneau des Danaïdes’ de Bercy au détriment de l’entretien et de l’investissement » (9). Le gouvernement tient un discours comparable.

Il serait de fait plus précis de parler « des » gouvernement(s). La question de la renationalisation s'est posée plusieurs fois ces dernières années, après des privatisations réalisées successivement sous plusieurs gouvernements, de Lionel Jospin à Dominique de Villepin. Chacun maintient toutefois le statu quo pour la même raison : le coût de l’opération. En-dehors des risques de conflits avec les concessionnaires, renationaliser pourrait coûter, selon les estimations, entre vingt et quarante milliards d’euros. Trente milliards d’euros de rachat de la dette publique jusqu’alors prise en charge par les sociétés privées en plus de leur achat des autoroutes – qui rapporta quatorze milliards d’euros à l’État en 2006 – s’y ajouteraient (10).En 2019, la ministre des Transports, Elisabeth Borne, refuse pour sa part toute nationalisation en estimant le coût de l’opération à cinquante milliards d’euros, une réserve dont ne dispose pas l’État (11).

En dépit des critiques et des admonestations de l’opposition, l’État trouve donc son compte à plus d’un titre dans une gestion privée de ses autoroutes. Avec une certaine ironie involontaire, cette position, la même que les gouvernements précédents, apporte des arguments en faveur de la privatisation d’ADP en démontrant qu’un patronage privé, en dépit des critiques, peut être une (ou la) solution viable pour pérenniser des infrastructures et assurer des services.

Notes

(1) https://www.leparisien.fr/economie/gilets-jaunes-les-autoroutes-commencent-tout-juste-a-faire-leurs-comptes-18-12-2018-7972083.php
(2)https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201902/nationalisation_des_societes_concessionnaires_dautoroutes.html
(3) https://www.caradisiac.com/Autoroutes-la-France-est-la-plus-chere-mais-possede-le-meilleur-reseau-d-Europe-98274.htm
(4) https://www.auto-moto.com/actualite/societe/autoroutes-allemandes-meilleures-francaises-176006.html
(5) https://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/La%20concession/Ce-qu-il-faut-savoir-sur-les-concessions-autoroutieres.pdf
(6) https://www.lepoint.fr/automobile/securite/autoroutes-glissement-progressif-des-dangers-28-07-2018-2239810_657.php
(7) https://fr.statista.com/statistiques/506632/taux-mortalite-tues-sur-autoroute-france/
(8) https://www.sudouest.fr/2019/01/14/autoroutes-peut-on-changer-de-modele-en-france-5730580-4755.php
(9) https://www.senat.fr/enseance/2018-2019/249/Amdt_1.html
(10) https://www.leparisien.fr/economie/grand-debat-et-si-on-nationalisait-les-autoroutes-11-02-2019-8009106.php
(11) https://www.europe1.fr/politique/tarif-des-peages-elisabeth-borne-ne-doute-pas-que-les-societes-dautoroutes-vont-prendre-en-compte-les-preoccupations-des-francais-3836573

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