Deux livres. Un sujet : Le Pen

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Par Thierry Le Gueut Modifié le 8 décembre 2012 à 8h36

2 livres sont sortis quasi simultanément en librairie en ce mois de Novembre passé. Tous les 2 portent sur le même sujet, en l’occurrence l’actuel Président d’Honneur du Front National, mais sous 2 angles différents. Le premier est, bien sur, un évènement médiatique puisqu’il s’agit de l’œuvre conjointe de Philippe Cohen et de Pierre Péan intitulé « Le Pen, une histoire Française » édité chez Robert Laffont qui retrace le parcours, au travers du siècle passé et présent, du fédérateur de la droite nationaliste française. Le second sera sans doute moins sous les feux de l’actualité. « Dans l’ombre des Le Pen », coécrit par Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard aux éditions du Nouveau Monde, même si il apporte un éclairage original sur le fonctionnement de la machine politique créée par le tribun nationaliste. Nous y reviendrons.

Commençons donc, par ce qui à suscité l’ire de Maurice Szafran, directeur du Journal Marianne, à propos du livre co-écrit par son propre journaliste Philippe Cohen. Disons le tout de suite, le livre est intéressant. Il dresse un portrait d’ensemble de l’évolution de Jean Marie Le Pen au fil des décennies, et quelque part, nous restitue, effectivement, n’en déplaise à M. Szafran, une –certaine- histoire française.

Le directeur de Marianne pointe, avec une certaine virulence, une certaine empathie des auteurs vis-à-vis de leur sujet. Il n’a pas totalement tort. Sur les 2 sujets centraux du livre, du moins ceux que les observateurs reconnaissent comme centraux pour être plus exact , à savoir la pratique de la torture pendant les « évènements » d’Algérie d’une part, et l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, la tendance est plutôt, sinon à la disculpation, du moins à la relativisation.

Les propos de Pierre Péan et Philippe Cohen s’appuient sur une enquête assez lourde et longue, et des entretiens avec le principal intéressé. Même si dans une lettre parue dans le dernier numéro du « Point », Jean-Marie Le Pen taxe le livre de « boite à ragots » et annonce son intention de porter plainte sur une affaire d’héritage controversée et jusqu’ici inconnue, il ne sort pas éreinté de ce livre.

On regrettera cependant 2 choses à la lecture de cet opus. Tout d’abord les approximations, qu’une bonne relecture aurait pu permettre d’éviter, ou que quelque connaissance du milieu, sans être encyclopédique, aurait permis de contourner aisément. On ne sache pas que Daniel Cohn Bendit se soit jamais appelé David, ni que Jean Mabire, païen militant, devienne soudainement catho tradi, ce qui laisse un peu pantois.. etc. Ce sont des approximations qui nuisent à ce que l’on peut trouver de sérieux par ailleurs, dans un texte agréable à lire et qui restitue une partie de notre imaginaire collectif, quoique l’on pense du sujet central.

Mais plus fondamentalement, j’attendais de ce livre une analyse plus profonde de la personnalité du « lider maximo ». Si, dans la première partie du livre, celle de la jeunesse et des premiers engagements, on comprend bien la personnalité du Pupille de la Nation, prêt à guerroyer en Indochine, éventuellement à déserter pour Tsahal au moment de l’affaire de Suez, et à ne pas passer le cap de l’engagement dans l’Armée Secrète au moment de l’Algérie, avec à chaque fois les motivations personnelles et politiques qui lui sont propres, on est un peu déçu de voir ensuite, confondus, l’histoire du Front National avec l’histoire de Jean Marie Le Pen, en tant qu’homme. Même si il a la main sur le parti, ce qui est une évidence, que toutes les histoires de scission et de pou-putsch ne peuvent que rappeler, la tendance des auteurs est d’oublier le sujet principal, qui est le parcours d’un homme, et non, ici, d’une formation politique. Dommage.

L’ambition de l’autre livre est totalement différente. « Dans l’ombre des Le Pen » est une recension de ceux, qui à un moment ou l’autre, ont fait tourner (ou pas, suivant les époques et les circonstances) la machine Front National. Ce sont donc les numéros 2, au nombre de sept au fil de ces quarante dernières années. De Victor Barthélémy, agent du Komintern devenu doriotiste, à Louis Alliot aujourd’hui vice président d’un parti devenu plus mariniste que lepéniste.

La thématique est centrale, à mon sens. Comment, dans un parti ou « il ne saurait y avoir qu’un numéro, c’est le numéro un », dixit son fondateur (ou du moins ce que l’on présente ainsi de façon commune, car l’affaire est plus complexe…), comment donc peut on être numéro 2 ? Si l’on met, bien sur, de coté Louis Alliot, qui se trouve dans une autre configuration et politique et personnelle dans ce cadre et en fonction aujourd’hui, force est de constater qu’aucun des « dauphins » réels ou supposés n’a pu s’imposer, soit parce qu’ils sont décédés de façon soudaine (Duprat, Stirbois), soit parce qu’il a quitté le bateau pour raison de divergence politique (Lang), soit parce qu’ils ont été battus d’une façon ou d’une autre (Megret, Gollnisch), soit parce qu’il s’était retiré (Barthélémy).

Car, et c’est un point qu’il convient de souligner, tous ces hommes (car ce ne sont que des hommes auxquels il aurait peut être fallu ajouter la personnalité de Marie France Stirbois) ont, d’une façon ou l’autre, à des moments différents, fait tourner la petite entreprise, qui, certes, a connu la (les) crise(s), mais qui est devenu le 3° parti de France. Ce sont tous des organisateurs, des mailleurs de terrain, et des léninistes, tous inspirés comme on le voit bien aujourd’hui dans certaine régions de France par les communautés militantes « héritées » du Parti Communiste. Et ce n’est pas l’excellent article paru ce Lundi 3/12 dans Liberation consacré aux militants d’Henin Beaumont qui démentira cette analyse.

On peut toujours gloser sur le Pen, mais on ne comprendra jamais rien au Front National si on ne comprend pas les numéros 2 et le calage sur l’organisation historique du PCF. Ce livre le rappelle, à très juste titre.

Bon, voila. Pour résumer, si je veux comprendre le Front National, son histoire et ceux qui l’ont concrètement fait, je me dirige vers ce 2° livre. Et après, je lis le Pean–Cohen. Parce qu’ils le valent bien.

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Thierry Le Gueut, vieux routier des médias (20 ans notamment au journal Le Monde) a été dans le civil dirigeant d'un club amateur pendant 17 ans, et est supporter de l'AS Saint Etienne et du Football Club de Rouen.

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