En bloquant la pub, Free aurait déjà fait perdre plusieurs millions d’euros à Google et aux sites web en général

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Publié le 6 janvier 2013 à 23h07

On ne connaîtra probalement jamais le vrai chiffre, mais les calculs réalisés officieusement par les professionnels de la publicité en ligne sont assez marquants : en bloquant depuis plusieurs jours la publicité sur les Freboox de dernière génération, après une mise à jour qui ajoutait le bloqueur de pub et l'activait par défaut, Free aurait fait perdre plusieurs millions d'euros en publicité non affichées. A qui ?

C'est là tout le problème. En pratique, les publicités qui ne se sont pas affichées depuis jeudi sur les pages web des abonnés de Free ADSL touchés par ce blocage par défaut se sont affichés ailleurs. Or les abonnés de Free via l'ADSL, qui sont plus de cinq millions, représentent environ 25 % du trafic Internet en France, mais seuls un tiers d'entre eux posséderaient la dernière Freebox, ce qui réduirait l'impact de cette opération commando (voir plus bas) à 10 % des internautes à haut débit français, ce qui est déja significatif.

Néammoins, la publicité qui s'affiche sur Internet ne s'y affiche pas tout le temps, ni partout. Vous ne vous en rendez pas compte, mais parfois, l'emplacement publicitaire peut-être vide, ou encore, faire passer une autopromotion, ou une publicité gratuite, on parle de "non-profit", pour les associations humanitaires par exemple, ou les grandes causes. Conséquence, la publicité qui ne s'est pas affichée sur les écrans des freenautes s'est probablement affichée ailleurs.

Ne seraient donc lésés que les éditeurs de site les plus consultés par les freenautes, mais vu leur nombre, on peut raisonnablement penser que tous les sites web ont été touchés à un niveaul égal, ce qui recrée de fait l'équilibre. D'autres internautes verront les pubs que les freenautes n'auront pas vues, ce qui profitera toujours aux éditeurs desdits sites.

Mais le sujet n'est évidemment pas là. En intervenant sur le contenu Internet qu'il apporte à ses abonnés, Free a violé le principe de la neutralité de l'Internet. Fut un temps ou même le blocage de sites pédophiles ou appelant au terrorisme posait des problèmes éthiques à certains fournisseurs d'accès, qui ne se voyaient pas jouer un rôle de censeurs actifs. La loi les y a obligé.

C'est pour cette raison que Fleur Pellerin, ministre déléguée au Numérique, reçoit ce matin dans son bureau des éditeurs de presse (notamment, le SPiil, le Syndicat de la Presse Indépendante en ligne) mais aussi des représentants des annonceurs et centrales d'achat (comme l'Union des Annonceurs,l'UDA) et... Free. Une rumeur a couru ce week-end selon laquelle Free retirerait le blocage par défaut des publicités, en faisant une nouvelle mise à jour à distance des Freebox Révolution 6. Mais pour l'instant, ce n'est pas encore le cas d'après notre rapide enquête de terrain chez des abonnés (dimanche 6 janvier au soir).

Derrière cette opération commando, c'est bien probablement comme on le subodorait déja vendredi un bras de fer entre Google et Free qui est en cours. Free exige de Google qu'il finance un lien direct entre les serveurs de Free, et ceux de Youtube qui appartiennent à Google. Google refuse, pour ne pas avoir à le faire aussi avec tous les autres fournisseurs d'accès ce qui lui couterait une fortune, partant du principe que c'était aux fournisseurs d'accès d'investir pour fluidifier le trafic de données. Résultat, les réponses du moteur de recherche Google passent dans les mêmes tuyaux "publics" que les vidéos de Youtube, pour les abonnés de Free, rendant leur affichage ératique voire impossible parfois.

Fleur Pellerin, qui tente elle-même de tordre le bras de Google pour que le moteur paye des droits dérivés des droits d'auteur aux éditeurs de presse en ligne pour leur référencement dans Google News choisira t-elle cette fois le camp du moteur de recherche, contre Free, l'entrepreneur du Net national, de référence ? Casus Belli en perspective...

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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