Le capitalisme dans tous ses états

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Par Patrick Artus Publié le 5 novembre 2019 à 6h16
Mondialisation Economie Liberalisme Commerce International
13,5%De 1998 à 2019, le salaire réel, pour l?ensemble des pays de l?OCDE, a progressé de 13,5?%

Dans le cadre des Journées de l'Économie 2019 (JECO) qui se dérouleront à Lyon du 5 au 7 novembre prochains, Patrick artus participera aux conférences « Le capitalisme chinois peut-il réussir sans démocratie ? » (Mardi 5 novembre à 17h00), « Le grand procès du libéralisme » (Mercredi 6 novembre à 18h00) et « Vers des politiques budgétaires sans contrainte » (Jeudi 7 novembre à 9h00). L'occasion de revenir sur le concept de capitalisme néo-libéral.

On parle de capitalisme « néo-libéral » au sens où il fonctionne avec des marchés du travail flexibles où le pouvoir de négociation des salariés a été réduit ; avec la libre circulation internationale des capitaux ; avec des marchés des biens et services concurrentiels sans entreprises ayant des positions dominantes et sans obstacles à la circulation des biens et services.

L’observation du fonctionnement du capitalisme montre que le fonctionnement des marchés du travail et des marchés des capitaux internationaux est aujourd’hui « libéral », mais pas celui des marchés des biens et services où sont apparus des monopoles, des situations dominantes et des obstacles aux échanges.

Malheureusement, c’est exactement l’inverse qui serait souhaitable : des marchés du travail plus favorables aux salariés, des freins à la circulation internationale des capitaux, mais la lutte contre les positions dominantes, les monopoles et le protectionnisme.

Fonctionnement libéral du marché du travail

Dans les pays de l’OCDE, le partage des revenus s’est déformé depuis la fin des années 1990 au détriment des salariés ce qui révèle la perte de pouvoir de négociation des salariés. De 1998 à 2019, le salaire réel, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, a progressé de 13,5 % tandis que la productivité progressait de 30 % : moins de la moitié des gains de productivité sont versés aux salariés. Ceci a conduit à une forte hausse de la profitabilité des entreprises : les profits (après taxes et intérêts) sont passés de 11 % du Produit Intérieur Brut à la fin des années 1990 à plus de 15 % du Produit Intérieur Brut aujourd’hui ; depuis 2004, les profits sont devenus supérieurs au besoin de financement des investissements des entreprises, et la hausse ultérieure des profits est donc inutile : elle n’a pas servi à financer des investissements, mais les rachats d’actions opérés par les entreprises ou l’accumulation de réserves de cash.

Libre circulation internationale des capitaux

Les obstacles à la circulation des capitaux ayant été progressivement levés (sauf en Chine), on observe une hausse continuelle de la taille et de la variabilité des flux de capitaux internationaux, vers les pays émergents, les États-Unis, la zone euro.

En théorie, la libre circulation des capitaux sert à allouer effectivement l’épargne aux investissements les plus rentables, où qu’ils soient localisés. Dans la pratique, l’essentiel des capitaux qui circulent internationalement sont des capitaux spéculatifs à court terme : il est impressionnant de voir que les capitaux vont vers les pays émergents en 2006-2007, en 2009-2010, en 2012, en 2016-2017 ; sortent des pays émergents en 2008, en 2011, de 2013 à 2015, en 2018-2019 ; que les capitaux vont vers la zone euro en 2006, en 2008-2009, en 2013, en 2015, en 2017 ; et sortent de la zone euro en 2007-2008, 2011-2012, 2014, 2016, 2018-2019. Cette variabilité extrême des flux de capitaux internationaux déstabilise les économies en provoquant des oscillations des ressources disponibles pour investir, des taux de change et des taux d’intérêt.

La variabilité des taux de change est particulièrement désastreuse pour les pays émergents : de 2012 à 2016 par exemple, leurs devises se déprécient de 50 % par rapport au dollar, ce qui est un choc auquel les économies ne peuvent pas résister.

Les marchés des biens et services sont de moins en moins concurrentiels

La concentration des entreprises s’accroît fortement aux États-Unis, en particulier dans le secteur des Nouvelles Technologies où des entreprises acquièrent des positions dominantes (cf. tableau 1)

Cette concentration a des effets négatifs qui sont bien documentés : les entreprises dominantes empêchent le développement d’entreprises concurrentes ayant de meilleures technologies ; ayant beaucoup de ressources, elles se développent dans des secteurs où elles n’ont pas d’avantages comparatifs particulier.

L’autre obstacle récent au fonctionnement concurrentiel des marchés des biens et services est la montée du protectionnisme, en particulier aux États-Unis. Elle est facteur d’inefficacité puisqu’elle désorganise les chaînes de valeur des entreprises qui avaient éclaté la production dans plusieurs pays.

La configuration présente n’est donc pas du tout celle qui est désirable

Le capitalisme contemporain de l’OCDE est donc caractérisé par le fonctionnement « libéral » du marché du travail, avec le recul du pouvoir de négociation des salariés et de la part des salaires dans le PIB ; or on aimerait un fonctionnement moins libéral du marché du travail amenant un partage équilibré des revenus.

Il est aussi caractérisé par le fonctionnement « libéral » du système financier international, avec la libre circulation des capitaux entre les pays ; or on aimerait un frein à la circulation internationale des capitaux, qui réduirait en particulier la déstabilisation des pays émergents par les flux de capitaux internationaux erratiques.

Enfin, on observe le fonctionnement « non libéral » des marchés des biens et services avec l’apparition d’entreprises ayant des positions dominantes, de monopoles et du protectionnisme. Or, on aimerait un fonctionnement au contraire libéral, concurrentiel des marchés des biens et services, avec une lutte contre les positions dominantes et les obstacles inutiles aux échanges.

Les marchés qui sont « libéraux » ne devraient donc pas l’être et les marchés qui sont « non libéraux » devraient au contraire l’être.

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Patrick Artus est économiste, et directeur de la recherche et des études de Natixis. 

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