Chevalgate : La faute de l’Europe et de la suppression des contrôles douaniers ?

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Par Alban Gruson Modifié le 26 février 2013 à 6h04

Il y a déjà vingt ans, l’Union Européenne décidait d’ouvrir ses frontières intérieures pour faciliter les flux de marchandises entre ses états membres. De ce fait, depuis 1993, les contrôles vétérinaires effectués jusqu’alors au passage des frontières intérieures de l’Union Européenne ont été supprimés, tout comme les déclarations douanières qui reprenaient le code douanier de la marchandise. Ces déclarations ont alors été remplacées par une Déclaration d’Echanges de Biens, tenue chaque mois à des fins purement statistiques.

On mesure aujourd’hui à l’occasion de l’affaire du « Chevalgate » les conséquences directes de la facilitation des échanges intracommunautaires au plan sanitaire. Faute de contrôles systématiques, un certain laxisme s’installe qui autorise les acteurs du commerce à prendre certaines libertés avec les règlements.

Si l’on fait un parallèle de cette affaire avec la mise en œuvre, depuis 2011, de la nouvelle réglementation douanière ICS (import control system) à vocation sécuritaire et applicable aux marchandises pénétrant sur le sol communautaire en provenance des pays extérieurs à l’Union, on mesure toute l’importance de faire respecter scrupuleusement le dispositif prévu par les textes afin d’éviter de connaitre un « Chevalgate » international.

Or le constat est alarmant. Les données inscrites dans les messages de déclaration d’entrée sur le territoire européen, ne respectent pas les obligations du code des douanes : la plupart du temps la désignation de la marchandise est partielle, voire erronée, et la désignation des acteurs de la chaine est tronquée. Qui s’étonnera alors qu’un chevalgate ou autre transgression des règles d’un commerce « fiable » n’ait pas éclaté plus tôt au plan international et que nous réserve l’avenir ?

Bien que juridiquement transposée, l’application de l’amendement « sûreté-sécurité » du code des douanes communautaire est défaillante dans les faits

L’Union européenne a développé un corpus de règles destinées à renforcer la sécurité des marchandises entrant sur le territoire douanier de la Communauté. Cependant, l’entrée en vigueur juridique des textes au 1er janvier 2011 n’a pas été suivie d’une mise en œuvre effective sur le terrain. L’affaire du Chevalgate, bien qu’européenne, soulève des questions de sécurité transposables à l’Import Control System.

Les règlements (CE) n° 648/2005 et 1875/2006 dits « amendement sûreté » modifiant le code des douanes communautaire constituent la première mesure douanière prise en matière de sûreté/sécurité. Les obligations liées au projet ICS (Import Control System) sont entrées en vigueur au 1er janvier 2011. Depuis cette date, les opérateurs ont l’obligation de transmettre aux services douaniers des déclarations sommaires d’entrée (ENS), contenant des données logistiques et commerciales, permettant une analyse de risque et un ciblage des contrôles.

Or, deux ans après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, l’expérience montre que les messages ENS ne sont toujours pas conformes aux dispositions définies par le code des douanes communautaires, empêchant dans les faits, un contrôle des risques efficace. Partout le constat est le même : les données inscrites dans les messages ENS ne respectent pas les obligations du code des douanes. La plupart du temps la désignation de la marchandise est partielle, voire erronée.

De plus, il est impossible de vérifier qui est l’expéditeur, le destinataire, le propriétaire de la marchandise, faute de données fiables. Ainsi, souvent, dans les cases dédiées aux expéditeurs ou destinataires, se trouvent régulièrement des noms de transitaires qui ne sont pas les opérateurs vraiment concernés par le message envoyé. Cependant, pour simplifier les démarches (et en l’absence de sanction), le nom du transitaire est utilisé à la place du véritable exportateur/importateur de la marchandise. Cette réalité pose un enjeu de sécurité.

Ainsi, alors que tout est mis en place pour que le système de gestion commune des risques dans l’Union européenne fonctionne, faute de données fiables, l’objectif même de sécurité est remis en question puisque les autorités douanières n’ont pas les éléments leur permettant efficacement de réaliser une analyse de risque sûreté/sécurité utilisant ces procédés informatiques.

Comment dans ces conditions assurer la réalité du système harmonisé de gestion des risques mis en place par les institutions européennes ?

Chevalgate : un cas d’école

« Ce code à huit chiffres, 02050080, correspondrait à une norme internationale pour de la viande de cheval surgelée. » Ces mentions jugées « inhabituelles » dont il est question dans l’affaire de la viande de cheval correspondent en fait au code douanier de la viande de cheval congelée. Cette méconnaissance est le reflet d’un symptôme plus grave : la mauvaise application de l’amendement “sûreté-sécurité” du code des douanes communautaires. Les dispositions imposent aux opérateurs de se conformer à un ensemble de règles et de procédures permettant aux autorités douanières un contrôle efficace. Cependant, faute de sanction, de pénalité financière ou juridique en cas de non-respect des règles, les opérateurs économiques ne sont pas incités à appliquer correctement l’ICS, empêchant le système de produire les effets attendus.

Aussi, en l’absence de mise en œuvre des règles adoptées, les partenaires de l’UE avec lesquels elle mène actuellement des négociations pour faire reconnaître ses dispositifs, pourraient légitimement faire obstruction et remettre en cause la capacité de l’UE à être un partenaire fiable dans la sécurisation des flux de marchandises au niveau international.

Il est indispensable – pour garantir la sécurité et la sûreté – que les autorités douanières contrôlent réellement la qualité des données et rejettent systématiquement les messages partiels. Ainsi, les opérateurs économiques seront incités à se conformer aux règles fixées. Les opérateurs économiques doivent aussi être mieux sensibilisés afin de bien comprendre l’utilité de ces nouveaux messages et l’importance de leur qualité afin de ne pas voir ces règles comme une contrainte supplémentaire dont ils s’affranchissent faute de sanction. Un système d’amende pour non-respect des règles pourrait également assurer un meilleur respect des obligations par les opérateurs économiques.

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Alban Gruson est le président et le créateur de Conex, une entreprise spécialisée dans la conception de logiciels pour le traitement des déclarations en douane.Après une maîtrise de droit privé, il devient, en 1976, le Directeur Général chez Delattre Frères SA. Il est également membre de l’Association Colin de Sussy (Cercle de réflexion douanière) ainsi que de l’Odasce (Office de développement par l’automatisation et la simplification du commerce extérieur).  

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