Savoir prendre du recul face aux chiffres… et aux propos !

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Par Hervé Goulletquer Publié le 7 août 2020 à 13h11
Cloud Computing Securite Infrastructure Informatique
70%Amazon et Microsoft se partagent 70% du marché du Cloud public.

L'essentiel du marché est convaincu que la croissance mondiale va enregistrer un rebond significatif au troisième trimestre. Pourtant en juillet l'indice PMI Monde ne se positionne qu'à un modeste niveau : 50,8. Où est l'erreur, s'il y en a une ?

Le marché est aussi persuadé que le chiffre des créations d'emplois américains en juillet restera conséquent. Espérons-le ; mais comment intégrer au diagnostic toutes ces informations qui pointent en direction d'un marché du travail moins vaillant ?
Le monde politique américain est tenté de « distiller » davantage de concurrence dans le secteur de la Tech. Mais comment en même temps consolider la prédominance des Etats-Unis par rapport à la Chine ?
Tout le monde, au moins dans la communauté des affaires, scrute l'horizon : que peut-on dire de l'amélioration de l'activité économique mondiale ? Le PMI monde de juillet, dans sa composante production, permet de se faire une première idée. Il pointe à 50,8. Est-ce un indicateur encouragent ou non ?

  • Du bon côté des choses, on dira qu'il dépasse la barre des 50 ; ce qui envoie le message d'un retour de la croissance en territoire positif (le PIB mondial a reculé en rythme annuel de près de 20% en T2).

  • Du moins bon côté, l'amélioration du PMI monde se fait moins forte : autour de +10 points en mai et en juin et +3 points en juillet.

Comment y voir claire ? On le comprend ; on s'interroge sur la relation entre PMI et PIB. Il faut se rappeler que ce premier indicateur envoie un message non pas sur le rythme de la croissance mais sur l'équilibre des réponses des entreprises interrogées, entre l'activité progresse et l'activité se contracte. En régime de croisière, quand beaucoup sont dans le même sens (et donc un PMI significativement élevé ou significativement bas), alors l'activité de conserve progresse à bon rythme ou se contracte nettement. Dans un moment exceptionnel, comme actuellement avec la crise épidémique, le confinement et la sortie de celui-ci, rien en dit que la relation soit conservée, au moins avec la même précision. Dans certains secteurs ou pour certaines entreprises, la reprise est probablement marquée, alors que ce n'est pas le cas pour d'autres. Comme au deuxième trimestre un PMI de 36,8 n'est pas cohérent avec une chute annualisée du PIB de 20%, le PMI de 50,8 de juillet n'annonce pas une progression du PIB autour de 2% à 3% en T3. Il faudra un peu de temps pour que la relation se recale correctement. In fine, il est probable que l'activité mondiale soit en train de vivre un rebond certain, même si les enquêtes PMI reflètent assez mal le mouvement.

Parlons du secteur de la Tech américaine. On voit bien que le secteur est à la croisée de deux logiques : des grands noms américains du secteur, soupçonnés d'être en situation de monopole ou de quasi-monopoles, et la nécessité nettement ressentie pour USA Inc. de défendre leurs intérêts par rapport à la concurrence chinoise.

Le premier point est a priori assez facile à illustrer ; même si les chiffres qui circulent ont des origines diverses et pas forcément traçables. Retenons-en quelques-uns :

  • Amazon et Microsoft se partagent 70% du marché du Cloud public ;

  • Facebook et ses filiales (Messenger, Whathsapp et Instagram) attirent 42% des usagers d'application de messagerie rapide et de réseaux sociaux dans le monde ;

  • 9 accès à internet sur 10 commencent à partir d'une page de recherche de Google ;

  • Apple et Google détiennent le monopole des systèmes d'exploitation installés sur les téléphones portables.

A la lecture de ces données, on comprend la tentation de la classe politique américaine, sans doute plus du côté démocrate que républicain, de prendre des initiatives afin d'ouvrir les marchés en question. Pourtant, lors de l'audition à la fin juillet des patrons d'Apple, Amazon, Facebook et Google devant la commission judiciaire de la Chambre des représentants, aucune démarche concrète visant à scinder les « géants » de la Tech américaine n'a été initiée. Les débats sont plutôt restés au mieux dans l'incantation. L'ambition immédiate semble porter davantage sur un meilleur contrôle des contenus diffusés sur les réseaux et las plateformes.

La position prise par la Chine dans la Tech explique probablement cette volonté de ne pas aller trop loin du milieu politique de Washington. L'attitude de la Maison Blanche concernant les dossiers Huawei et TikTok (la liste est sans doute vouée à s'allonger), tout comme le succès rencontré par Pékin dans la gestion de l'épidémie de COVID – 19 largement au travers de l'usage d'outils d'intelligence artificielle, montrent que la compétition entre les deux pays pour la prédominance dans le secteur est ouverte et sera sans doute rude. A ce titre, il n'est pas question pour les Etats-Unis d'affaiblir la position de leurs champions nationaux. On voit même que les arguments de sécurité nationale sont utilisés côté américain pour justifier les initiatives visant à fermer le marché américain aux entreprises chinoises. En la matière, le comportement observé aujourd'hui aux Etats-Unis commence à ressembler à celui en place depuis plus longtemps en Chine.

Deux conclusions à tirer de cette courte analyse pour l'investisseur :

  • le démantèlement des grands noms de la Tech américaine n'es probablement pas pour de suite, malgré les « propos d'estrade » des leaders démocrates ;

  • le secteur de la Tech pourrait être en tête de liste en matière de fragmentation de l'économie mondiale, avec une régionalisation de l'usage des produits en fonction de l'influence de leur pays d'origine ; sachant qu'on ne sait pas, et pourtant l'enjeu est de première importance, la longueur qu'aura cette liste le temps passant.

Finissons en nous intéressant aux chiffres de l'emploi américain, qui seront publiés en début d'après-midi (heure européenne). Il s'agit de ceux de juillet et le marché parie sur un gros chiffre : pas loin de 1,5 million de nouveaux postes de travail créés. Bien sûr, le chiffre ne se comprend que si on le met en perspective : 1,4 million d'emplois perdus en mars et encore 20,8 millions en avril, puis des créations de respectivement 2,7 millions et 4,8 millions les deux mois suivants. Le solde reste terriblement négatif (près de 15 millions) et à ce titre la poursuite de la tendance au rattrapage, fût-il uniquement partiel, est logique.

Le risque d'être déçu est pourtant réel. On a déjà insisté sur la nouvelle enquête du Census sur les personnes employées. Elles suggèrent une baisse de l'emploi. Deux autres « clignotants orange » sont allumés. Les composantes « emploi » des enquêtes ISM, manufacturier et services, restent en territoire négatif : les entreprises qui réduisent leurs effectifs restent plus nombreuses que celles qui les augmentent. De plus, l'enquête ADP, qui sur les derniers mois a bien « collé » aux nonfarm payrolls (la statistique attendue cet après-midi) pointe en faveur d'un chiffre plus modeste : 167 000 en juillet après 4,3 millions en juin.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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