Chronique d’une feignante de prof (extrait)

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Par Laure Cometti Modifié le 28 mars 2017 à 17h36
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12 285 700L'Éducation nationale prend en charge 12 285 700 élèves.

Le mercredi, je peux me lever un peu plus tard, car mon premier cours de la journée n’est qu’à 9 heures. Mon mari est parti emmener les enfants à l’école, j’en profite pour me faire un bon petit-déjeuner. Je prends des forces car la journée sera longue : ce soir j’ai une rencontre parents-profs pour les 4èmes.

L’appartement est vide, la ville est encore silencieuse. Qu’est-ce que cette journée me réserve ? Le début de la semaine a été plutôt calme, étonnamment calme même. Pas d’incident en cours, pas de bagarre dans la cour. Non pas que ça me manque, mais ce genre d’événements rythme malheureusement mes semaines, sans pour autant que je puisse les anticiper. Aucun risque de monotonie dans mon boulot. Le matin, quand j’arrive au collège, je suis incapable de dire si les élèves seront calmes et motivés, ou bien s’ils seront hostiles ou dissipés. Dans quel état vais-je quitter l’établissement ce soir ? Ravie, épuisée, furieuse, déprimée, aphone ? Suspens...

9 heures : je donne cours aux 5ème C. C'est l’une des classes les plus hétérogènes du collège. Il y a plusieurs élèves très en difficulté, qui ont du mal à lire et écrire. Le problème, c’est que je ne sais pas enseigner comment lire ou écrire, et certains ont pris tellement de retard que je me sens démunie pour les aider. Dans la même classe, il y a aussi des élèves dont le niveau est très bon. J’essaie d’avoir un oeil sur tous et chacun à la fois.

Pendant que je réexplique un point difficile à un élève un peu perdu, je jette un oeil au reste de la classe : certains ne m’écoutent pas, alors qu’ils en
auraient besoin vu leur note au dernier contrôle. D’autres, les élèves qui ont un bon niveau, commencent à s’ennuyer. Pour l’éviter, je distribue aux
volontaires un exercice supplémentaire, à faire par petits groupes.

Maintenant je peux me consacrer quelques minutes aux élèves les plus largués. Je passe dans les rangs. C’est peu, mais c’est mieux que rien. « Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans cet exercice ? Qu’est-ce qui t’a posé des difficultés ? » J’essaie d’être patiente, de décortiquer les problèmes
avec les élèves et de les aider à trouver eux-mêmes des solutions. Je me répète, inlassablement.

Dans une classe de trente, c’est impossible d’avoir un niveau à peu près homogène. Pourtant l’Educ’ nat’ exige que tous ces élèves, si différents, atteignent les mêmes objectifs et soient évalués selon le même système de notation. C’est un peu absurde.

C’est difficile de faire cours à une classe hétérogène : pour certains, je vais trop vite, tandis que d’autres s’ennuient dès que je ralentis ou que je répète
un point mal compris. Pas évident de maîtriser le rythme idéal. Aujourd’hui, je me rends compte que pour boucler ce que j’avais prévu de faire en deux
heures avec les 5ème C, il me faudrait en fait une heure de plus.

Un peu avant la fin du cours, une dispute éclate entre deux élèves. Des éclats de voix d’abord, puis ils se lèvent et se toisent méchamment du regard. « Ça suffit ! Calmez-vous tous les deux, et rasseyez-vous. Où est-ce que vous vous croyez enfin ? » Les deux ados continuent de s’insulter copieusement, et d’insulter leurs mères (ce qui semble être à l’origine de la dispute). D’autres élèves commencent à s’en mêler, soutenant l’un ou l’autre.

« Là, c’est l'exclusion. Sortez ! Donnez-moi vos carnets de correspondance et filez dans le bureau du principal. Samy et Jonathan, vous les accompagnerez s’il vous plaît. »

« Mais Madame, c’est trop injuste, j’ai rien fait, c’est lui qui a commencé. »

« Eh bien vous irez tous les deux expliquer ça au principal ».

Les deux bagarreurs s’exécutent et quittent la salle, encadrés par les deux délégués. Voilà que je quitte mes souliers de prof pour enfiler mes chaussures d’éducateur. Je n’ai pas vraiment signé pour ça...

Ceci est un extrait du livre « Chronique d'une feignante de prof : La semaine délirante d'une prof de collège » écrit par Laure Cometti paru aux Éditions du Rêve. (ISBN: 979-1095480044). Prix : 15 euros. Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions du Rêve.

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Laure Cometti est journaliste. Pour réaliser son livre Chronique d'une feignante de prof : La semaine délirante d'une prof de collège, elle a sillonnée la France, à la rencontre des professeurs de collèges de ville et de campagne, de ZEP et de zones privilégiées. Elle n’a gardé que le meilleur de leurs anecdotes pour créer son personnage et se faire le porte-parole des profs d’aujourd’hui.

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