Chypre : un braquage en plein coeur de la zone euro

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Par Charles Sannat Publié le 21 mars 2013 à 11h54

Ne me demandez pas pourquoi les marchés financiers montent aujourd’hui alors que nous vivons la chronique d’une catastrophe financière annoncée en direct…

Sans doute parce que lorsque tout va mal les banques centrales inondent la planète finance de liquidités abondantes afin "d’absorber les chocs exogènes et renforcer la résilience du système" comme on dit pudiquement, alors que plus prosaïquement on permet juste aux mêmes de se gaver davantage que d’habitude. Je sais on parle beaucoup de Chypre, encore Chypre et toujours Chypre, mais c’est comme ça avec les bons feuilletons. Il faut dire que des choses à dire il y en a beaucoup. Tout cela est très peu évoqué mais l’affaire chypriote au-delà des enjeux économiques est aussi pour ne pas dire surtout une affaire de géopolitique.

Un peu d’histoire sur les origines de Chypre !

Des esprits forts sympathiques me feront sans doute remarquer que je cite Wikipédia donc je prends les devants pour bien vous préciser que je cite Wikipédia, le but de cet Edito n’étant pas de réécrire ce qui l’est déjà et fort bien par ailleurs pour se concentrer justement sur l’essentiel.

Chypre c’est un problème greco-turc

Vous pouvez déjà retenir cette idée. Chypre est en face de la Syrie (ce qui est très loin de Bruxelles), tout en étant membre de l’Union européenne de facto pour sa partie sud (environ 1 300 000 habitants, majoritairement grecs, avec une minorité turque ainsi que britannique installée dans des enclaves militaires sous souveraineté de la Couronne britannique). Le territoire de l’île est aujourd’hui divisé entre trois souverainetés de facto : Chypriote, Turc et Britannique. Vous pouvez traduire que c’est un joyeux bazard sur cette île et depuis longtemps.

La République de Chypre, qui est la seule internationalement reconnue, dispose d’un siège à l’ONU et est membre de l’Union européenne (UE). Elle est réputée exercer sa souveraineté sur l’ensemble de l’île ; cependant elle ne contrôle en pratique que la partie méridionale (environ 50 % du territoire, 10 % étant contrôlés par la Grande-Bretagne) celle de la partie nord (40 % du territoire occupés par l’armée turque depuis 1974, y compris une partie de sa capitale Nicosie) autoproclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN) le 13 novembre 1983, qui n’est reconnue que par la Turquie. La Ligne verte dite « ligne Attila », la sépare du reste du pays.

Chypre est rentrée dans l’Union européenne en 2004 et l’Union se disait réticente à accepter une île divisée (on la comprend). Cette adhésion est due en grande partie aux pressions diplomatiques de la Grèce, qui menaçait de bloquer les 9 autres adhésions prévues en 2004 (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie) si Chypre en était exclue. Le statut de l’île est donc devenu un point de contentieux majeur des relations entre la Turquie et l’Union européenne.

Néanmoins sur le terrain, des progrès ont été faits vers un statut fédéral de l’île. Les deux entités ayant ouvert des points de passage dans la Ligne Attila et permis aux habitants de chaque côté de se rendre dans l’autre ! Voilà en quelques paragraphes la réalité de l’organisation de l’île de Chypre. Avouez que c’est déjà compliqué.

Ce qu’il faut retenir

L’île de Chypre est prise dans un conflit ethnico-religieux entre grecs et turcs. L’île de Chypre est géographiquement située au Moyen-Orient et à une centaine de kilomètres de la Syrie. Pendant les années de guerre civile au Liban Chypre était d’ailleurs un réceptacle de réfugiés et également une plaque tournante pas uniquement financière mais aussi pour l’armement et le trafic d’armes international, ou encore pour les agents secrets du monde entier.

Pour l’Europe, Chypre est un véritable porte-avion en méditerranée à portée de toute une région stratégique (d’où aussi les bases britanniques sur place). Chypre dispose désormais de réserves de gaz prouvées très importantes qui lui permettraient alors que le gouvernement chypriote s’apprête à donner les permis d’exploitation d’encaisser des ressources financières importantes. Alors comme vous le voyez l’affaitre chypriote se complexifie grandement dès que l’on met tout cela dans une perspective plus géopolitique, mais ce n’est pas tout.

Le gaz chypriote un enjeu pour l’indépendance énergétique européenne

Faisant partie de l’Union Européenne dépendante en grande partie du gaz russe, l’Europe se verrait bien confier en échange de son aide financière (forcément payante) l’exploitation des ressources de gaz chypriote estimées à plusieurs centaines de milliards de mètres cubes. Evidemment en face, les russes voient cela comme une menace sur leur capacité à négocier avec l’Europe puisque le gaz chypriote permettrait à l’Europe d’éloigner les "chantages" russes à l’approvisionnement. Moscou perdrait sa capacité de "nuisances" donc de facto ses capacités de négocier avec l’Europe.

Mais ce n’est pas tout. La seule base navale russe est située dans un pays pour le moins instable et juste en face de Chypre… la Syrie ! Le problème là encore, c’est que la Russie qui soutient Bachar el Assad risque de se voir sortir de Syrie en cas de défaite du régime actuel soutenu par Moscou (ce qui explique en partie sa résistance depuis plus de deux ans maintenant). Si les russes devaient quitter la Syrie, Chypre située à une centaine de kilomètres pourrait rendre le "déménagement" beaucoup plus facile et permettre à Moscou de conserver une base en Méditerranée.

Enfin, Chypre est devenue en 20 ans un refuge pour les fonds plus ou moins opaques des oligarques russes et gère plusieurs dizaines de milliards d’euros… russes ! Soyons honnêtes, si demain Chypre fait faillite, c’est les russes qui perdront de l’argent, beaucoup, beaucoup d’argent. Alors les russes comme nous venons de le voir ont quelques raisons sérieuses de soutenir Chypre, pour ne pas dire de « racheter » Chypre. Mais évidemment l’Europe n’est pas d’accord, mais alors pas du tout d’accord.

L’hypocrisie hallucinante des dirigeants européens !

Côté face, tout le monde se renvoie la balle, personne ne voulait être méchant avec le pauvre et gentil petit peuple chypriote en allant lui voler ses dépôts. Hollande dit ce n’est pas moi, j’étais contre, les allemands ce n’étaient pas eux non plus, les espagnols n’ont pas eu non plus cette idée… bref, c’est la faute à personne ! Pourtant cette décision n’est pas venue par l’opération du Saint-Esprit !

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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