Conditions de travail : la vigilance doit être de mise chez les sous-traitants étrangers

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Par Jacques Bichot Publié le 9 avril 2015 à 5h00
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Rana Plaza et conditions de travail chez les sous-traitants étrangers : le devoir de vigilance.

Conditions de travail : la vigilance est un impératif moral

Normalement, le devoir de vigilance à l'égard des conditions de travail chez les sous-traitants étrangers des entreprises des pays riches devrait constituer un impératif moral s'imposant sans recours à la loi. Mais puisque la morale patronale s’est révélée être, dans certains cas, aux abonnés absents, comment ne pas légiférer ? Sans oublier d’assouplir en contrepartie bon nombre de contraintes néfastes, car les employeurs qui s’opposent à cette nouvelle contrainte sont probablement mus davantage par l’exaspération que provoque l’accumulation de règlements inutiles que par le refus de veiller aux conditions de travail de ceux, habitants de pays pauvres, qui leur fournissent des articles et des services à des prix très modestes.

Le poids des contraintes légales

Tous ceux qui ont des yeux pour voir le savent bien : nos entreprises croulent sous le poids des contraintes légales et réglementaires. Objectivement, le redémarrage de l'activité est fortement freiné par la boulimie normative des pouvoirs publics, qu'il s'agisse du niveau français ou du niveau européen. Il faut donc impérativement accroître le champ des libertés entrepreneuriales ; des millions de chômeurs seraient en droit de manifester contre la malfaisance des pouvoirs publics qui, en accablant les entreprises de règles inutiles ou absurdes, les privent du moyen de gagner dignement leur vie.

Respecter la dignité humaine

Ayant expliqué cela des dizaines, si ce n'est des centaines de fois, je suis bien placé pour dire que la proposition de loi (adoptée le 30 mars en première lecture par l’Assemblée) obligeant les entreprises à vérifier les conditions de travail chez leurs sous-traitants localisés dans les pays à main-d'œuvre bon marché est, dans son principe, une nécessité que le patronat français ne peut pas contester sans se déshonorer. Bien entendu, on peut discuter des modalités pratiques de cette vigilance, et travailler à ce que les normes à édicter le soient à un niveau supranational, afin que les entreprises françaises ne soient pas victimes de leur bonne conduite ; mais l'idée même est irrécusable dès lors que l'on respecte la dignité humaine et que l'on ne veut pas être complice d'une exploitation honteuse de travailleurs qui, pour subsister et nourrir leurs familles, en sont réduits à accepter n'importe quelles conditions de travail. Voudrait-on revenir, à quelques milliers de kilomètres de l'Hexagone, à la "bête humaine" de Zola ?

Le législateur doit intervenir

Il est vrai que si tous les responsables d'entreprises de par le monde développé étaient dotés de sens moral, une loi positive ne serait pas nécessaire : la loi naturelle suffirait à faire examiner soigneusement, par les donneurs d'ordres, les conditions de travail des salariés de leurs sous-traitants dans les pays où l'on sait qu'il existe une probabilité non négligeable d'abus. Mais les hommes étant ce qu'ils sont, il faut que le législateur intervienne, au nom de la concurrence loyale tout autant que par humanité, afin que les entreprises qui sont prêtes à bafouer les règles de l'humanisme de base ne disposent d'aucun avantage concurrentiel vis-à-vis de leurs concurrentes à la conscience morale plus élastique.

Vers une législation mondiale ?

Encore une fois, il vaudrait mieux que la législation en la matière soit mondiale, mais si ce n'est pas le cas l'Europe, voire la France, dispose de moyens pour protéger ses entreprises : les États-Unis ne savent-ils pas imposer de lourdes amendes à celles qui transgressent le boycott des pays jugés terroristes ou tout simplement opposés à leurs objectifs stratégiques ? Comment l'Union européenne s'opposerait-elle à l’instauration d’amendes analogues pour conditions de travail indignes, elle dont l'attachement aux droits de l'homme prend souvent des formes si extrêmes qu'elles en deviennent ridicules et contreproductives ? Un exemple intéressant nous arrive des États-Unis, pays où la législation du travail est légère. La société Microsoft entend imposer à ses sous-traitants d’accorder au moins 15 jours de congés payés à ceux de leurs salariés qui travaillent pour elle. Celui qui passe commande a la possibilité d’exiger que l’exécution de cette commande respecte les droits normaux des travailleurs qui s’y consacrent. Il n’y a pas que le respect de l’environnement qui doive être recherché !

Que le patronat français se batte donc pour la division par deux du Code du travail, du Code fiscal, du Code de la protection sociale et de quelques autres, c’est son rôle et nous soutenons les efforts (d’ailleurs insuffisants) qu’il fait dans ce sens. Mais de grâce qu’il ne refuse pas les mesures susceptibles d'éviter un nouveau Rana Plaza, qu’il aide plutôt à les rendre à la fois plus efficaces, plus réalistes, et donc le moins bureaucratiques possible !

Article publié initialement sur le site de Magistro

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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