Pays émergents : de la crise sanitaire à la crise économique et politique en Amérique latine

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Par Thuy Van Pham Publié le 24 avril 2020 à 10h34
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80%La dette publique du Brésil dépassait les 80% du PIB en 2018.

Les sorties de capitaux des économies émergentes ont atteint un niveau record depuis le début de la pandémie du Covid-19. Elles provoquent un mouvement de dépréciation généralisée des devises locales vis-à-vis du dollar. La situation concerne en particulier les pays d’Amérique latine où la crise sanitaire ravive les craintes d’un effondrement économique, social et politique.

Touchée tardivement, l’Amérique latine est à son tour confrontée à la crise du Covid-19. Depuis fin mars, le rythme de contagion a connu une vive accélération. Au 22 avril, le nombre de personnes infectées par le virus s’est élevé à 95 584 dans les 11 principaux pays de la région (Brésil, Chili, Pérou, Argentine, Mexique, Colombie, Argentine, Bolivie, Uruguay, Paraguay et Venezuela). Le Brésil est le plus exposé avec 40 581 de cas confirmés (cf. graphique 1). Face à la gravité de la pandémie qui devrait s’intensifier dans les jours à venir, la plupart des pays ont adopté des mesures visant à protéger leurs populations : strict confinement en Argentine, fermeture des frontières aériens et/ou terrestres dans quasiment tous les pays, état d’urgence sanitaire et couvre-feu partiel en Equateur, état de siège au Chili, quarantaine totale au Venezuela. Certains pays ont en outre reporté les élections prévues, notamment au Chili (référendum constitutionnel) et en Bolivie (élections générales).

La crise sanitaire s’accompagnera d’une crise économique profonde. Elle intervient alors que la région est à peine remise des turbulences liées aux protestations sociales et aux crises politiques survenues à l’automne 2019. La croissance était déjà peu dynamique, pâtissant de la faiblesse de la demande domestique dans un contexte international morose (cf. graphique 2). En ce sens, la pandémie de Covid-19 ne fait qu’accentuer les difficultés déjà en place. Son impact sur l’activité économique sera sévère, notamment au deuxième trimestre en raison de la paralysie de l’appareil productif résultant des mesures de confinement et les difficultés rencontrées par certains secteurs tels que tourisme. Les chocs externes vont également peser, notamment la chute de la demande mondiale, les sorties massives de capitaux et l’effondrement des cours des matières premières. Avec un pic de la pandémie attendu seulement au courant du mois de mai dans la région, la crise économique risque de durer. La région enregistrera au final une récession profonde en 2020, faisant d’elle l’une des zones émergentes les plus à risque (avec l’Europe centrale et orientale). A l’intérieur de la région, l’Argentine, le Mexique et le Brésil seront les plus touchés, avec aussi le Venezuela dont l’économie était déjà engluée dans la crise bien avant l’émergence du coronavirus.

Dans ce contexte, les préoccupations se concentrent sur la capacité des économies latino-américaines à faire face à la crise. Comme partout dans le monde, le choc sanitaire a conduit les autorités locales à mettre en place les mesures de soutien à l’économie. Depuis mars, des baisses des taux d’intérêt directeurs ont été opérées notamment au Brésil, au Chili et au Pérou et des plans de relance budgétaires ont été annoncés avec des enveloppes disparates, variant entre 1,2 % du PIB en Argentine à 12 % du PIB au Pérou. La marge de manœuvre des autorités est toutefois étroite. Si la faiblesse de l’inflation permettait de nouveaux assouplissements monétaires, les taux d’intérêt directeurs sont déjà au niveau historiquement bas dans certains pays (Chili et Pérou notamment) alors que la crise financière limite le champ d’action de la banque centrale en Argentine. Du côté budgétaire, la mise en place des plans de relance devrait provoquer un choc sur les finances publiques déjà dégradées avant l’émergence du coronavirus. En effet, l’envolée de la dette ((cf. graphique 3) avait conduit la plupart des gouvernements à adopter l’austérité budgétaire, notamment en matière de dépenses sociales (santé et éducation), pénalisant les ménages et accentuant in fine les inégalités et la pauvreté. C’est le cas notamment en Argentine et au Brésil. D’ailleurs, Standard & Poor’s a abaissé début avril la perspective de la note souveraine du Brésil de « Positive » à « Stable » à la suite des efforts budgétaires annoncés par les autorités brésiliennes pour mitiger les impacts économiques de la crise sanitaire. Une crise de défaut de paiement est toutefois écartée à ce stade, notamment en Argentine grâce au plan d’aide du FMI à la soutenabilité de la dette.

Enfin, l’Amérique latine n’est pas à l’abri de nouvelles perturbations au niveau politique. La pandémie a mis en évidence une nouvelle fois les déficiences profondes en matière de gouvernance dans la région. Si les mesures de prévention ont été rapidement mises en place en Argentine, au Pérou et au Chili, des retards ont été observés au Mexique ou au Brésil où les présidents continuent de minimiser la gravité de la situation. Avec le bilan humain qui va s’alourdit dans les semaines à venir en raison de la propagation rapide du virus et d’un système hospitalier peu performant, ainsi que la montée des inégalités et de la pauvreté, les troubles sociaux pourraient resurgir une fois l’épidémie enrayée, avec eux des risques politiques de grande ampleur.

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Thuy Vân Pham est économiste Marchés Emergents chez Groupama AM.

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