Crise économique et enjeux du système de santé : 1ère partie, les soins ambulatoires

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Par Didier Castiel Modifié le 29 juillet 2013 à 8h00

Quand la crise fut venue, les Grecs perdirent leur couverture sociale... pour 40 % d'entre eux. Et en France ? La crise est-elle de nature à modifier le niveau de couverture sociale des soins ? Panorama en trois temps. Aujourd'hui, les soins ambulatoires.

Les problèmes de financement du système de santé ne datent pas d'aujourd'hui. Notre système de santé est en déficit ininterrompu depuis 1993 (20 ans !). Ce qui a changé : de nouveaux risques sont devenus également déficitaires. Le risque vieillesse tout d'abord, suivi plus récemment encore du risque famille.

Qu'avons-nous fait pour réguler ce déficit ? Nous ne parlerons ici que du déficit de l'assurance maladie, laissant de côté les nouveaux venus au podium du déficit, bien que le problème du financement des retraites soit certainement plus d'actualité que celui du financement des dépenses de santé.

Un immobilisme caractérisé

Autant le dire tout de suite, en matière de soins ambulatoires (soins de ville), ce qui caractérise l'action politique en matière de régulation des dépenses de santé, c'est un quasi immobilisme. Plus exactement, les mesures adoptées n'ont rien eu d'original : elles se sont limitées à agir en amont des consommations médicales en augmentant les cotisations (hausse des prélèvements sociaux), pénalisant ainsi la compétitivité des entreprises françaises sur le marché international, avec comme conséquence une extension du chômage. Ou encore en augmentant les taxes (tabacs, alcools, industrie pharmaceutique et même assurance automobile).

Il y a eu aussi une des actions en aval visant au déremboursement des médicaments principalement (augmentation du ticket modérateur). Bref, rien de nouveau en 20 ans : hausse de prélèvements et/ou déremboursement. Se sont donc succédées que des actions de colmatage et aucune réforme digne de ce nom, pouvant laisser pronostiquer une orientation future de notre système de santé.

La seule certitude est que cet immobilisme conduit inéluctablement à un appauvrissement dans l'accès aux soins : le déremboursement entraîne nécessairement des difficultés de plus en plus grandes pour accéder aux soins. Le taux de renoncement aux soins n'a jamais été aussi grand avec 15.4 % de la population adulte sur une période de 12 mois consécutifs (IRDES – Enquête santé protection sociale).

Les franchises médicales : une injustice...

Pire, si on se penche sur une des dernières mesures adoptées visant à colmater le déficit, comme l'introduction des franchises médicales en 2008, le constat est celui d'une plus grande injustice dans notre système. Voyons ce point.

Votées en 2007 et introduites en 2008, les franchises médicales avaient pour objectif de dégager des recettes nouvelles pour financer des priorités de santé publique et notamment celle d'améliorer la prise en charge de la maladie d'Alzheimer. Comme bien souvent, il n'en a rien été. Les recettes de l'assurance maladie se sont accrue en conséquence : 800 millions d'euros en 2008, pour atteindre aujourd'hui entre 1 à 1,15 milliard d'euros par an (un tiers de cette somme repose sur les franchises portant sur les médicaments – 333 millions d'euros en 2011).

Le sénat en mai 2012 propose une loi pour abroger les franchises : « Cette mesure, directement inspirée des mécanismes assurantiels, est incompatible avec notre système de sécurité sociale tel qu'issu du Conseil national de la résistance qui, au sortir de la seconde guerre mondiale, a élaboré les bases de notre protection sociale telle que nous la connaissons aujourd'hui ».

C'est une rupture avec le principe fondamental selon lequel chacun cotise selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins.

Le patient se trouve donc taxé pour son recours au système de santé et pour sa consommation en médicaments. Cette application automatique ne tient pas compte ni de l'état de santé des personnes, ni des causes nécessitant les soins, ni de leurs capacités financières. Ce qui rend les franchises médicales encore plus insupportables en période de crise économique. On ne peut passer sous silence que les franchises médicales s'appliquent aux patients atteints d'une affection de longue durée (ALD), même si dans les faits, elles sont rarement perçues, puisque ces patients font rarement l'avance des frais de leurs soins. L'assurance maladie ne peut alors récupérer les sommes sur le montant des remboursements qu'elle octroie. D'ailleurs, elle essaie de mettre en place un dispositif (coûteux !) pour récupérer ces montants auprès des patients couverts à 100 %.

Ces franchises s'appliquent aussi aux victimes d'accidents médicaux ou de maladies professionnelles. Est-ce juste ? Comment corriger cette injustice ? Le projet de loi, toujours pas abouti, répond par un relèvement du taux de cotisation tel que prévu dans le code de la sécurité sociale. Autant dire finalement, qu'il n'y a rien de nouveau...

… sans effets notoires

Malgré l'introduction d'une mesure injuste, le déficit est toujours présent et ne cesse de croître (tableau 1) et les prestations de l'assurance maladie également (tableau 2). C'est ainsi que pour 2013, si on prévoit une augmentation des prestations de 3,1 % (soit 4 milliards d'euros), seul un quart de ces dépenses seront financées par les franchises. L'introduction d'une mesure injuste ne permet pas de réguler l'augmentation continue des dépenses de santé.

La demande sociale en santé reste forte même pendant cette période troublée de crise économique, peut-être même à cause de la crise. Les franchises médicales ne sont pas de nature à réguler durablement cette demande. Comment pourraient-elles compenser le manque de recettes porté par la crise alors qu'elles n'arrivent même pas à répondre à l'augmentation naturelle de la demande de santé ? Au contraire. Ce que l'on constate bien : plus les taux de remboursements baissent, plus la demande augmente. Cette mesure est donc inefficace. Il serait donc temps que les politiques envisagent enfin une vraie réforme du système de santé... en gardant à l'esprit le souci d'une certaine justice distributive !

A contrario, ce sera la continuité dans la crise et un système qui ne satisfait plus grand monde, tant professionnels que patients, qui nous attendent. Et le renoncement à certains soins, selon le niveau de revenu de chacun, fera partie du programme. Il est donc temps de penser une vraie réforme du système de santé...

A suivre : 2ème partie – l'hospitalisation.

Tableau 1 – Le déficit de l'assurance maladie

Montant (Mds €)
2008 - 4,4
2009 -10,6
2010 - 11,6
2011 - 8,6
2012 - 5,9
2013 - 7,9 (p)

p - Prévisions
Source : Commission des Comptes de la Sécurité Sociale (CCSS)

Tableau 2 – Evolution des prestations d'assurance maladie

%
2010 + 2,9 %
2011 + 2 ,8 %
2012 + 2,7 %
2013 + 3,1 % (p)

p - prévisions

Source : CCSS

Article paru le 19/07/2013 sur lasantepublique.fr, (c) Groupe Economiematin SAS.

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Didier Castiel est enseignant-chercheur en économie de la santé à l'Université Paris-Nord 13 (UFR Santé, Médecine et Biologie Humaine). Il s'intéresse plus particulièrement aux questions de solidarité et d'inégalités dans le système de santé. Ses derniers travaux de recherche portent sur l'allocation des ressources en faveur des plus défavorisés, dans une démarche de préservation de la solidarité. Site internet : www.castiel.eu

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