Crise économique : les politiques ont la mémoire courte

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Par Charles Sannat Publié le 3 octobre 2012 à 13h40

J’aime faire appel à une chose que nous avons et qui se nomme la mémoire. Comme il faut que nous ayons du temps de cerveau disponible pour Coca-Cola, comme le disait l’ancien PDG de TF1, qu’il faut que nous soyons réduits à l’état de larves humaines sur-consommatrices de bidules inutiles importés de Chine, il est évident que la mémoire n’est pas le "muscle" que l’on nous fait le plus travailler !

Mais que voulez-vous, c’est une maladie, nous n’y sommes pour rien. Nous avons de la mémoire, on écoute, on retient, on aime lire, farfouiller, regarder, chercher, bref… Nous avons de la mémoire et en plus on s’en sert… Et là… nos souvenirs s’imposent à nous. Remarquez, il n’y a rien de génial, on ne parle pas d’un truc qui s’est passé il y a 20 ans… non, juste cet été, il y a un mois et demi, ou quelque chose comme ça.

L’Europe était sauvée. Il y a 3 semaines, "super" Mario Draghi, l’homme à la planche à billets en Europe, avait même dit, devant une assistance subjuguée et conquise, "qu’il ferait tout ce qu’il faut pour sauver l’euro, et croyez-moi, ce sera assez !" On a vu ce qu’on a vu !

Attention, Mario s’est fâché. Les marchés ont bondi. + 15 % de hausse depuis l’été. Extraordinaire. Que n’ai-je pas entendu. "Tu te rends compte, si nous ne t’avions pas écouté, nous aurions investi sur les actions et on serait plus riche de 15 % !" Certes, et vous gagnez combien sur votre portefeuille d’actions depuis 12 ans ? (Vous savez la Bourse, c’est du long terme et toutes ces choses-là…) "Heuuu… on perd 60 % pourquoi ?" Eh bien parce que si tu m’avais écouté, quand je t’ai dit que la bourse c’était pas pour toi il y a 12 ans, tu n’aurais pas besoin d’essayer de gagner 15 % pour tenter désespérément de combler une perte de 60 %… qui finira par une perte totale de 90 % puisque, grâce à l’adage "pas vendu, pas perdu", les banquiers vont vous garder vos actions moisies pour continuer à vous facturer des frais… Mais c’est dans l’intérêt du client bien sûr… jamais de la banque !

Pourquoi je fais cette digression me demanderez-vous à juste titre ? Mais parce que, où que vous regardiez, la situation est catastrophique et les marchés sont hauts, beaucoup trop hauts. Ils peuvent monter encore. Je n’ai aucun doute sur la bêtise insondable des "investisseurs" qui animent le "marché". Ils n’ont qu’une seule politique : mieux vaut avoir tort ensemble que raison tout seul. Nous, nous assumons notre solitude… même si cela fait du bien de savoir que nous ne sommes pas totalement seuls, et que d’autres, partout en France, souffrent de la même maladie en silence !

Donc soyez-en sûr, les marchés vont décrocher, s’effondrer, se fracasser, et tendre vers leur vraie valeur… ou presque. Là, je force un peu le trait, mais 1 800 points pour le CAC reste notre objectif. Quand ? Aucune idée. Mais pas dans 10 ans. Pourquoi ? Parce que la situation, selon la formule consacrée dans les banques, est "irrémédiablement compromise". Ce qui est une périphrase compliquée pour dire que c’est mort, définitivement, et qu’il n’y a plus aucun espoir.



Revenons à notre requête mémorielle, avec Mario qui avait sauvé le monde, mais surtout nous autres pauvres Européens, grâce à toute la monnaie du monde. Il semblerait que nos amis allemands et certains autres en Europe ne soient toujours pas intégralement convaincus de la magie de la politique proposée par le grand timonier de la BCE. Une superbe dépêche de l’AFP nous apprend donc que "Berlin estime qu’il n’y a pas de signaux clairs d’une volonté de l’Espagne de faire une demande officielle d’aide européenne et que le cas de Madrid n’est de toute façon pas très convaincant, selon une source gouvernementale".

Traduisons ensemble : les Espagnols n’ont pas forcément envie de se faire mettre sous la tutelle financière de la Troïka. D’ailleurs, en termes de politique intérieure, rien ne dit que le gouvernement Rajoy survivrait à une telle demande officielle d’aide. Plus grave encore, pour l’Allemagne le cas de l’Espagne n’est pas très convaincant ! Je ne sais pas ce qu’il faut aux Allemands pour trouver convaincant la situation économique catastrophique de l’Espagne.

Le ratio dette sur PIB était de 36 % seulement en 2007. 5 ans plus tard, nous en sommes à 85 % et, disons-le franchement, il y a quelques centaines de milliards d’euros qui manquent encore à l’addition… Non, en fait les Allemands disent que "nous n’avons pas l’impression qu’on puisse construire un cas très convaincant d’une demande d’aide à l’Espagne, à un moment où le pays arrive à se financer sur les marchés". Ha. Nous y voilà. J’avais écris il y a quelques jours sous forme de question, "pourquoi l’Espagne devrait-elle demander l’aide de l’Europe".

Finalement, tout cela est très logique. Si l’Europe dit "on fera tout ce qu’il faut pour sauver l’euro", il faut comprendre que les marchés doivent comprendre que l’Europe fera tout, et que si les marchés pensent que l’on ne fera pas tout et qu’ils jouent contre l’Europe, ils risquent de perdre gros… puisqu’ils joueraient contre la BCE qui a dit le mot magique : illimité !

Or, en réalité, comme nous l’expliquions hier, personne en Europe n’a d’argent pour abonder les MES et autres FESF. Résultat, plus on peut gagner de temps, mieux c’est. D’ailleurs, si on pouvait ne pas payer du tout, ce serait pas mal aussi. Encore une fois. Faisons appel à votre mémoire. La Cour constitutionnelle allemande avait dit OUI au MES. Youpi, génial, tralala ! Euphorie dans les rues d’Europe. Liesse populaire.

Sauf que… sauf que les sages allemands avaient dit oui mais… "Ja, mais tu refais valider chaque dépassement par le parlement". Et là, ce n’est plus la même histoire, vu que des dépassements, il va y en avoir un paquet ! Mais hier, la Bourse a pu monter grâce aux déclarations de la commission européenne qui disait se tenir prête. Je suis incrédule devant autant de crédulité. Vous les croyez donc encore ? Remarquez, c’est plus rassurant que de regarder la réalité en face, à savoir que tout le système va s’effondrer prochainement dans un horrible fracas.



Tiens, regardons un peu chez nous justement, plutôt que de nous focaliser sur les autres. Le déficit public de la France s’est élevé à 5,2 % du produit intérieur brut en 2011 et a atteint 103,1 milliards d’euros. (Pour mémoire, il était fin 2010 à 7,1%, soit 137 milliards d’euros.) Donc, on vous explique doctement que notre déficit est de 5,2 % de notre PIB… C’est un calcul complètement crétin. En effet, le PIB est la richesse produite par l’ensemble du pays. Elle n’a strictement rien à voir avec les recettes et les dépenses de l’État, c’est-à-dire le budget de notre pays.

Si nous appliquions le même calcul débile à un ménage, nous obtiendrions la petite histoire suivante : Monsieur et Madame Dupond qui ont deux enfants travaillent tous les deux chez Carrefour qui réalise un chiffre d’affaires de 80 milliards d’euros. Monsieur Dupond est chef de rayon. Il gagne 28 000 euros par an. Son épouse, elle, caissière chef, émarge à 18 000 euros. Chaque année Monsieur et Madame Dupond gagnent donc 46 000 euros.

Légèrement dépensiers puisqu’ils vont au supermarché tous les jours, ils dépensent environ 50 000 euros de plus que leurs revenus chaque année. Lors du dernier rendez-vous avec son banquier, Monsieur Dupond a expliqué que son déficit n’était que de 0,0000000000001 % de la richesse produite par son entreprise et qu’il fallait que Monsieur le méchant banquier lui fasse un nouveau prêt.

Là, ma femme me dit que je suis malhonnête intellectuellement, et que ça ne marche quand même pas comme ça pour l’État. Je dois dire que c’est vrai. Les proportions ne sont pas les mêmes. Reprenons les chiffres exacts. En 2011, les recettes de l’Etat français se sont établies à 336 milliards d’euros tout impôt et taxe confondus. Nous avons dépensé 103 milliards de plus que ce que nous avons gagné. Notre déficit est donc en réalité de 103/336 = 31 % de nos revenus.

La réalité économique de notre pays, c’est que chaque année, nous dépensons environ 30 % de plus que ce que nous gagnons. Mais nous pouvons dire, ce n’est pas grave, cela ne représente que 3, 4 ou 5 % d’un chiffre, le PIB (2 000 milliards d’euros) qui lui est beaucoup, beaucoup plus grand ! C’est un calcul absurde économiquement. Mais bon, ce n’est pas grave.

Nous avons tort de regarder les choses de cette façon-là. Il ne faut pas nous en vouloir, c’est une maladie. Nous sommes atteints de "véritéthomie" et de "bon-sens-de-base" aigu. Nous devons être traités comme des malades. C’est pourquoi, moi, Charles Sannat, atteint au plus haut degré par cette maladie, je lance le club des Contrariens Anonymes. Je crois que nous en avons bien besoin mais, surtout, surtout, je crois que nous allons être de plus en plus nombreux vu la tournure que prennent les événements.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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