Crise en Crimée : un référendum aux conséquences multiples

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Par Philippe Waechter Modifié le 29 novembre 2022 à 10h11

La problématique posée en Ukraine est avant tout politique. L'erreur majeure serait de l'aborder d'abord sur un plan économique. La situation actuelle découle en effet de la volonté de la Russie d'accroître son influence en voulant intégrer progressivement les régions non russes, des pays proches, peuplées par des russes.

Une population hétérogène

Certes, depuis plusieurs mois, l'Ukraine est dans une situation économique médiocre. Elle est en récession, son compte courant est déficitaire et ses réserves de change se réduisent à vive allure. Effectivement le gouvernement ukrainien a besoin de ressources pour faire face à ses engagements et éviter un mouvement de repli spectaculaire de l'activité et du revenu des ukrainiens. Le gouvernement Ianoukovitch cherchait des ressources pour faire face à ces déséquilibres. La dégradation de la situation économique s'est traduite par une série de manifestations pour faire basculer vers l'Europe un gouvernement qui tissait de nouveaux liens et renforçait ceux existant avec la Russie. D'ailleurs, un crédit de 15 milliards de dollars a été signé récemment entre la Russie et l'Ukraine. Cette signature n'a fait que redoubler les tensions qui ont abouti à la chute du gouvernement et à l'exil de Ianoukovitch.

Le changement du gouvernement central à Kiev a provoqué des mouvements au sein même de l'Ukraine en raison de l'hétérogénéité de la population et de sa répartition géographique. Dans la partie ouest vivent plutôt des ukrainiens, à l'est des populations très diverses avec des ukrainiens mais aussi beaucoup de communautés russes. La Crimée a une population dont la composante russe est majoritaire du fait du rattachement récent de la Crimée à l'Ukraine (don de Khrouchtchev en 1954).

Deux scénarios possibles

Le changement constaté à Kiev s'est traduit par une plus grande instabilité dans la région-est et en Crimée. L'arrivée de militaires, d'origine indéfinie, et la milice en Crimée, ont donné l'impression d'une volonté rapide de scission. Cela a abouti à la mise en place d'un référendu d'indépendance de la Crimée voté par le parlement. Il est prévu pour le 16 mars avec l'assentiment de la Russie. Ceci est la pierre d'achoppement dans les négociations sur l'Ukraine entre la Russie, l'Europe et les Etats-Unis puisqu'il validerait le possible détachement de la Crimée de l'Ukraine et son rattachement à la Russie. Angela Merkel a, durant le week-end, indiqué que son déplacement au G8 de Sotchi était conditionné par le retrait de ce référendum.

A partir de cette situation plusieurs points doivent être discutés. Le premier est le caractère politique de ce qui se passe en Ukraine notamment lorsqu'est invoqué le sort des russes devenus ukrainiens par le jeu des changements politiques du début des années 90 lors de la dislocation de l'URSS. Cette question n'est pas sans objet à la fois dans la façon dont Vladimir Poutine semble nostalgique de l'empire que représentait l'URSS et au regard aussi de ce qui se passe en Moldavie où la colonie russe est en train de faire pression pour se rattacher à la Russie. D'autres régions s'interrogent aussi sur les intentions russes.

Les pressions sont fortes pour écarter cette étape du processus car on peut imaginer que l'étape suivante portera sur la partie Est de l'Ukraine.

A ce moment-là il y a deux voies possibles :

1 - Les européens et les américains ne parviennent pas à écarter la possibilité d'un référendum, la réunion du G8 est reportée, ou plus probablement annulée, et des sanctions économiques sont prises contre la Russie.

La menace est crédible car si les européens sont de grands consommateurs de matières premières russes, ils sont aussi un débouché considérable pour les produits russes. Les exportations vers l'Europe représentent environ 15 % du PIB russe. Toute tension excessive entre la Russie et l'Europe se traduirait par un risque sur l'approvisionnement européen. Une rupture de celui-ci aurait un effet négatif sur l'activité.

La situation russe deviendrait alors plus complexe et grandement fragilisée car c'est avant tout une économie de matières premières. Toute réduction des recettes liées à l'énergie se traduirait rapidement par une baisse du revenu pour l'ensemble de l'économie et par une baisse significative des recettes pour le gouvernement russe (la fiscalité sur l'énergie représente la moitié des recettes du budget russe). En outre, cela entrainerait un processus de ralentissement de la production qui serait lent et coûteux. Il y aurait donc un effet de persistance fort dans le processus. Car c'est là un des points de fragilité de la Russie : la dynamique de sa croissance est très dépendante des matières premières. Ses investissements hors matières premières sont très réduits et ne permettent pas de disposer d'une production plus autonome.

En outre la menace de rétorsion des européens passe aussi par le système financier. Les russes ont tendance à exporter leurs capitaux pour investir ailleurs. Cela avait pu être perçu lors de la crise chypriote il y a quelques mois. Chypre était alors une plateforme bancaire offshore alimentée par des capitaux russes. Ils ont aussi développé une dette off-shore très importante et avec une progression très rapide depuis la fin 2011 (de l'ordre de 140 Mds de dollars à la fin du troisième trimestre 2013).

En d'autres termes, les sorties nettes de capitaux et le développement off-shore de la dette russe se traduisent par une forte sensibilité à la perception que peuvent avoir les investisseurs internationaux de la Russie. Les occidentaux auraient alors la possibilité de peser sur ceux-ci, incitant les oligarques russes à faire pression sur Vladimir Poutine. A très court terme, les pressions sur le rouble lors des premières tensions en Crimée se sont traduites par une baisse de 11 milliards de dollars des réserves de change. Ces pressions sur la monnaie pourraient s'accentuer et finalement pénaliser l'ensemble de l'économie russe. Un rouble plus faible alimenterait l'inflation et un contrôle des changes pour stabiliser la parité du rouble aurait vite épuisé les réserves de la Banque Centrale. En outre, le contrôle des capitaux qui pourrait être envisageable se ferait au détriment des oligarques, ce qui ne manquerait pas de poser d'autres soucis au Kremlin. La lecture de ce scénario suggère une stratégie d'usure notamment au sein de la Russie entre le pouvoir et les oligarques.

La réunion des pays occidentaux, ce mardi à Londres, devrait définir une série de sanctions possibles vis-à-vis de la Russie en cas de maintien du référendum. Outre l'annulation du G8 de Sotchi d'autres mesures pourraient être annoncées. En cas de maintien du référendum, ces sanctions seraient affirmées le lendemain de celui-ci. Les annonces et la réaction des russes seront une mesure de la crédibilité des occidentaux et du rapport de force avec la Russie notamment pour les européens.

2 – Le referendum est abandonné. Cela permettrait de lever la possibilité de sanctions de la part des occidentaux. Cependant, l'histoire ne pourra pas s'arrêter là et plusieurs points resteront en suspens :

L'homogénéité de l'Ukraine

Elle se pose sous deux aspects.

Le premier est géographique. La situation récente a mis à jour les différentes composantes de l'Ukraine. Les tensions récentes auront-elles des conséquences durables et ne renforcent-elles pas les incompatibilités déjà observées au sein de l'Ukraine? En d'autres termes, les animosités mises à jour par la période récente sont-elles réversibles?

Le deuxième point est celui des élections présidentielles. Celles-ci sont fixées au 25 mai. Au regard des tensions récentes, si le vainqueur est un candidat pro-européen, sera-t-il perçu comme légitime par l'ensemble des ukrainiens ? Le sera-t-il aussi par la Russie ? Vladimir Poutine a déjà indiqué qu'il avait un doute sur la légalité de l'opération. En d'autres termes, il n'est pas certain que la situation trouve un apaisement rapide. Des manifestations continuent encore, montrant des oppositions fortes au sein même du pays. Il n'est pas sûr que la question de la partition de l'Ukraine puisse être définitivement enterrée. C'est un des risques associé à cette élection.

Les propositions de l'Europe

L'Europe a souhaité pour l'instant la mise en place d'un protocole plus politique qu'économique avec l'Ukraine. L'objectif est de disposer d'abord d'une plus grande stabilité politique avant de passer à une autre étape comportant une dimension économique plus importante. Cependant, sur ce point les européens sont prudents. Pour un engagement plus important, il faudrait des réformes importantes en Ukraine, notamment sous l'égide du FMI afin de réduire les déséquilibres qui caractérisent l'économie ukrainienne. Or celui-ci apparait mesuré dans son attitude vis-à-vis de l'Ukraine. Les plans mis en place par l'institution de Washington en 2008 et 2011 ne sont pas allés jusqu'au bout en raison d'une absence de réformes alors que cela était la contrepartie de crédits. L'éventuelle adhésion à l'Union Européenne ne pourra se faire qu'une fois les réformes mises en oeuvre.

La pression de Gazprom

Même si la Russie accepte de faire machine arrière sur la Crimée, rien n'empêchera Gazprom, l'entreprise énergétique, de faire pression sur les ukrainiens via des conditions contractuelles plus rigoureuses. En 2009 de telles pressions s'étaient traduites par la suspension de livraison de gaz. Vladimir Poutine, lors de sa conférence de presse du 4 mars, a indiqué qu'une partie des réductions accordées à l'Ukraine étaient levées. Cela représente déjà un montant de 2 Mds de dollars.

En d'autres termes, les russes ont un moyen de pression considérable sans prendre le risque d'un affrontement ouvert avec les pays occidentaux.

Le rapport de force entre l'Union Européenne et la Russie

L'Europe fait une proposition de rapprochement politique afin que l'Ukraine conserve son indépendance alors que la Russie fait pression pour limiter celle-ci. Sera-ce suffisant de la part des européens pour convaincre les ukrainiens? L'impact sera forcément long à se dessiner car au-delà des éventuelles aides de court terme il faudra que l'Ukraine se réforme et cela sera long et douloureux. Les pays de l'est, après la rupture du début des années 90, avaient bénéficié d'un attrait fort, notamment de la part de l'Allemagne. Cela avait permis de stabiliser la situation politique et économique. Plus récemment, la Roumanie et la Bulgarie ne bénéficient pas du même attrait et leur situation reste difficile à gérer. L'Ukraine sera-t-elle plus attractive pour drainer des capitaux importants? La Russie ne profitera-t-elle pas de cette situation pour renforcer ses positions ?

Je ne crois pas que la situation en Ukraine puisse se stabiliser très rapidement. D'ailleurs, Vladimir Poutine voudrait faire de l'Ukraine la porte de l'Eurasie vers l'Europe alors que les européens voudraient en faire la porte d'accès de l'Europe vers l'Asie. Cette problématique pourra-t-elle se résoudre avec le maintien d'une Ukraine unie?

L'autre point soulevé par la période récente est de savoir si la Russie considèrera les colonies russes dans d'autres pays de l'ex URSS comme la possibilité d'un élargissement politique de la Russie. C'est une question majeure car, quoi qu'il arrive, la Russie restera un producteur majeur d'énergie. Les énergies de substitution ne seront pas disponibles rapidement en quantités suffisantes et le gaz et le pétrole resteront des ressources énergétiques majeures, et donc des armes politiques de premier plan.

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Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management.

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