L’incertitude n’a pas disparu

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Par Hervé Goulletquer Publié le 12 novembre 2020 à 13h29
Vaccin Covid 19 Pfizer
51%Aux Etats-Unis seuls 51% des habitants comptent se faire vacciner contre la Covid-19.

Le marché paraît avoir du mal à « accommoder » dans un même regard la perspective de court terme et celle à un horizon plus éloigné. On a envie de considérer que l’incertitude reste forte, tant dans l’immédiat que pour plus tard. Avec pourtant l’impression que le biais est plutôt négatif dans un premier temps et davantage positif dans un second

Ces moments « délicieux » au milieu d’une réalité difficile, durant lesquels on croit percevoir un brusque retour à la normale, sont souvent fugitifs. En a-t-il été ainsi au cours des derniers jours sur les marchés de capitaux avec la nouvelle par Pfizer et BioNTech de résultats très satisfaisants des recherches menées sur un vaccin contre la COVID-19 ? La hausse spectaculaire des indices boursiers, observée en début de semaine et accompagnée d’une rotation de style de la « croissance » vers la « value », est au minimum le signe d’une extrême sensibilité de la communauté financière à cette thématique d’espoir. Mais comment ne pas percevoir un certain tarissement hier, avec un momentum moins fort des indices et un retour en grâce de ce premier style par rapport au second ?

En fait, le marché paraît avoir du mal à « accommoder » dans un même regard la perspective de court terme et celle à un horizon plus éloigné. On a envie de considérer que l’incertitude reste forte, tant dans l’immédiat que pour plus tard. Avec pourtant l’impression que le biais est plutôt négatif dans un premier temps et davantage positif dans un second. C’est sans doute ce point de difficile articulation qui va gêner les investisseurs et les opérateurs. D’où une volatilité actions qui aurait du mal à baisser et, du côté obligataire, une prime de terme qui remonterait, sans que pour autant les composantes, croissance et inflation, d’un taux long ne repartent à la hausse.

Penchons-nous d’abord sur le court terme. Il est caractérisé par deux choses : l’évolution de la maladie les attentes en matière de politique économique. La question centrale en termes sanitaires concerne les Etats-Unis : la deuxième vague de l’épidémie de coronavirus, qui frappe l’Europe, est-elle en train de monter en puissance en Amérique du Nord ? On peut sérieusement le craindre.

Dans ce cas, il faut accepter l’idée que les anticipations concernant la croissance du PIB de T4 aux Etats-Unis doivent être assez significativement revues à la baisse : d’une période à l’autre et en rythme annuel, de 4%, comme aujourd’hui selon Bloomberg, à quelque chose autour de 0 ? Dans ces conditions, et en laissant de côté le point d’une éventuelle extension d’Est en Ouest de la vague épidémique, avec l’Asie qui serait alors impactée, la question des nouvelles initiatives de politique économique à venir va être très présente sur les marchés. On discutera bien sûr de la Fed et de la BCE et on sera attentif à l’évolution des projets de budget en Europe. Il n’empêche que c’est avant tout la politique budgétaire américaine qui sera guettée avec une grande attention : quel calendrier des annonces et quelle ampleur du soutien ?

Disons qu’il va falloir être patient. Premièrement, il est peu probable que Républicains et Démocrates du Congrès s’entendent sur un nouveau plan de soutien durant la Lame-duck session, c’est-à-dire en gros entre maintenant et les fêtes de fin d’année. Deuxièmement, l’élection aux deux postes de sénateurs de Géorgie, début janvier, jouera un rôle majeur dans le calibrage du plan attendu. Une victoire d’au moins un candidat républicain confirmerait l’hypothèse d’un Congrès divisé (des majorités opposées dans chacun des deux Chambres) et empêcherait la mise en place d’une initiative de grande taille (supérieure à 2000 milliards d’USD. Il faudrait probablement se contenter d’une épure de moitié moins importante. A moins que la maladie fasse des ravages. Troisièmement, une fois l’Administration Biden en place, à compter du 20 janvier après-midi, il faudra prendre en compte le temps parlementaire nécessaire à l’atteinte d’un compromis entre Représentants et Sénateurs. Vers un accord dans le courant du mois de mars ?

Passons au moyen terme. Les attentes projetées sont façonnées par les espoirs de mise à disposition d’un ou de plusieurs vaccins contre la COVID-19. Au-delà de la communication à destination du grand public de Pfizer et de BioNTech (pourquoi ne pas avoir fait le choix de la publication d’une étude scientifique ?), beaucoup de questions se posent le long de la chaine allant de la recherche à l’inoculation en passant par la production et la distribution. Nous en parlions mardi dernier. J’ai été depuis frappé par deux débats. Le premier concerne la détermination de la population cible pour le démarrage des vaccinations : les gens les plus vulnérables (personnes âgées ou souffrant d’autres maladies) ou ceux ayant le plus de contacts sociaux et dont les plus à même de propager le virus ? Il va falloir choisir, car dans un premier temps le vaccin sera une ressource rare. Le deuxième débat touche à la volonté de se faire vacciner. Aux Etats-Unis, la proportion des adultes affirmant ce choix est passé de 72% à 51% entre mai et septembre. Qui plus est, si on scinde ces réponses favorables en deux groupes (ceux qui sont certains de leur choix et ceux pour qui celui est davantage hypothétique), on note une baisse pour le premier (de 42% à 21%) tandis que la proportion est stable pour le second (30%). En Europe, l’adhésion est forte (les deux tiers), si ce n’est en France où elle se compare à celle des Etats-Unis. L’adhésion est encore plus marquée en Chine. Face à ce newsflow, qui interroge tout de même, construire le pont entre les évolutions sanitaire et économique n’est pas complètement simple. Bien sûr, la dynamique de l’activité devrait s’améliorer ; mais dans quelle proportion ?

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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