Droits Humains et commerce mondial : qui sont les réformateurs ?

Par Bertrand de Kermel Publié le 27 octobre 2017 à 13h35
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30 MILLIONS €Les multinationales ne respectant pas les droits des travailleurs à l'étranger risquent en France une amende de 30 millions d'euros.

Un article paru le 18 octobre 2017 dans ECONOMIE MATIN sous le titre « Droits de l'Homme, quelles exigences pour les multinationales ? » rappelle la nécessité de « mettre fin à l’impunité qui prévaut trop souvent pour les violations par des multinationales des droits humains ». Il cite le cas des ouvrières du textile au Bangladesh, des communautés affectées par les activités pétrolières au Nigeria ou des travailleurs des plantations de palmiers à huile en Indonésie.

L’article précise que ces questions vont être au centre des débat d’un groupe des Nations Unies qui va se réunir à Genève fin octobre.

Sur ce dernier point, 160 députés ont adressé la semaine dernière au Président de la République une lettre ouverte dans laquelle on peut lire : « … Depuis 2014 l’Equateur, avec de nombreux pays africains, a pris la tête d’une initiative en faveur d’un traité de l’ONU pour le respect des droits humains ... Dans la même dynamique que votre engagement pour le Pacte mondial pour l’environnement, nous vous appelons, Monsieur le Président de la République, à engager la France fin octobre à Genève en faveur d’une proposition de traité et à prendre le leadership de ce combat au sein de la communauté européenne. »

Espérons qu’ils seront entendus, et que le Président français saura engager l’Union Européenne à aller dans le même sens.

Sans attendre ce traité international, la France et l’Europe doivent prendre une initiative : faire trancher cette question par les consommateurs. C’est une idée du Parlement Européen réclamée par trois fois. Sans réponse de la Commission Européenne.

Il s’agit d’ouvrir la possibilité de mettre en marché des produits «éthiques» pour permettre aux citoyens consommateurs de les choisir. Aujourd’hui, ils en sont empêchés.

Pour cela, le monde politique, doit prendre l’initiative de créer ou inciter à créer un ou des labels, ou toute autre solution équivalente, attestant du respect des droits de l’Homme et de règles environnementales minima. Un logo serait apposé sur les produits répondant à ce cahier des charges. Un organisme de certification indépendant, aurait pour mission de vérifier et certifier qu'aucune violation n'a été commise lors des différentes étapes de la chaîne de fabrication des produits concernés.

Avec une grande sagesse, le Parlement Européen insiste beaucoup sur l’idée que le produit vertueux (labellisé) doit bénéficier d’avantages particuliers. A la place du mot « avantages », il vaudrait mieux parler d’un « rééquilibrage » car à ce jour, la concurrence est scandaleusement faussée par le non respect des droits humains dans de nombreuses situations.

Cette réforme est urgente. Comme le rappelle le Parlement Européen, «aucun consommateur ne veut continuer à acheter des produits fabriqués par des enfants ou des hommes et des femmes exploités, ou des produits ayant engendré de graves dommages environnementaux ». Problème : on le prive sciemment de cette information.

Le Pape François est allé dans le même sens dans son encyclique de juillet 2015 intitulée : « Laudato SI ». Il écrit au point 206 : « Acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral ». Cela implique que le consommateur soit informé.

En réponse, la Commission Européenne ose répondre qu’elle fait le maximum, en insérant des clauses sociales et environnementales (toutes facultatives, car non sanctionnables par le tribunaux) dans les accords de libre échange qu’elle signe, de façon à ne pas baisser les standards en vigueur dans les pays signataires. C’est en fait une belle tartufferie.

Pourquoi ? Parce que ces clauses sociales et environnementales (facultatives rappelons-le) ne s’appliqueront de toute façon que pour les produits fabriqués dans l’un des pays signataires de l’accord.

Cela n’empêchera nullement une multinationale d’importer dans l’UE un produit fabriqué par exemple dans des camps de travail forcé, en piétinant les droits humains et au prix de dégâts environnementaux ou climatiques majeurs. Ensuite, la multinationale pourra réexporter ce produit là où elle le voudra (Canada, par ex), en bénéficiant des avantages de l’accord de libre-échange. La réciproque est valable pour l’Europe. Nul ne pourra s’y opposer. Sur le plan éthique, sur le plan moral, sur le plan de la concurrence, sur le plan de la désindustrialisation, sur le plan des repères les plus basiques, c’est une catastrophe.

Pour y remédier, la proposition ci-dessus est une des meilleures solutions.

Rappelons enfin que la Loi française du 27 mars 2017 relative au « devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre » impose déjà aux entreprises françaises de vérifier le respect des droits de l’Homme partout où elles sont implantées, y compris auprès de leurs sous-traitants. Preuve que la vérification du respect des droits de l’Homme est possible, tout comme la traçabilité des centres de profit qui, elle, existe depuis l’origine de la mondialisation …

En cas de refus de toute évolution dans ce sens, ou de «trainage de pieds», Il n’y aura plus de choix. Il faudra mettre en œuvre la demande du Parlement Européen dans sa résolution du 25 novembre 2010 (point 27), qui est juridiquement recevable.

« Prie instamment la Commission de déposer dans les meilleurs délais une proposition de règlement interdisant l'importation dans l'Union de biens produits par le biais de formes modernes d'esclavage, du travail forcé, notamment du travail forcé de groupes particulièrement vulnérables, en violation des normes fondamentales des droits de l'homme ».

Sans généraliser à l’ensemble des acteurs économiques (ce serait stupide), la mondialisation actuelle facilite trop souvent les pires habitudes du colonialisme tant décrié aujourd’hui. C’est un colonialisme à forme nouvelle, plutôt clandestin, rendu possible par l’inertie sinon la bienveillance des Chefs d’Etats et de la Commission Européenne. Cent pour cent des peuples de la planète veulent que ça cesse. Sur ce point, ils ne sont pas irréformables.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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