Le pilotage des engagements environnementaux, des limites qui nous concernent tous

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Par David Rodrigues Publié le 19 décembre 2020 à 10h46
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71%71% des collaborateurs souhaitent que leur employeur prenne davantage d'engagements en matière de RSE

Il n’est pas évident de s’y retrouver face à l’ensemble des annonces effectuées par les entreprises vantant l’intégration des critères environnementaux dans leurs politiques. Derrière ces promesses qui peuvent faire espérer une transition vers des stratégies plus durables, nous nous heurtons malheureusement souvent à des limites concernant le cadre réglementaire existant. Celui-ci dispose de carences rendant imparfaites les comparaisons de ces politiques. Pourtant les parties prenantes de la sphère économiques sont de plus en plus demandeuses d’une gouvernance simple, transparente et accessible.

Eviter des effets d’annonces à géométrie variable

L’analyse de la performance des entreprises ne se fait plus uniquement via le prisme économique. La dimension durable de celles-ci, au travers des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) devient également un enjeu majeur. Pour offrir plus de transparence et en application de la loi transition énergétique pour la croissance verte entrée en vigueur en 2017, les entreprises françaises de plus de 500 salariés sont obligées de publier l’empreinte carbone de leurs activités dans leur déclaration de performance extra-financière (DPEF).

La plupart des entreprises ont su saisir cette contrainte et la transformer en opportunité à coup de communiqués de presse et d’engagements a priori encourageants. Que ce soient des promesses de neutralité carbone (par exemple Total à l’horizon 2050, Amazon en 2040, Google et Microsoft en 2030) ou encore des promesses de « neutralité carbone à vie » comprenant les émissions passées pour le groupe Velux à l’occasion de leur centenaire en 2041. Coté bancaire, BNP Paribas a également communiqué en juillet sur l’atteinte dès 2017 de sa neutralité carbone pour son périmètre opérationnel.

Au-delà de l’aspect discutable de la compensation carbone, procédé sur lequel repose la majorité de ces engagements alors qu’il ne devrait être qu’un « un mécanisme complémentaire aux objectifs de réduction d’émissions »(1) d’après le think tank européen Pour La Solidarité, on constate en regardant de plus près ces annonces qu’elles exploitent les limites du cadre légal existant. En effet, la réglementation actuelle ne contraint les entreprises qu’à intégrer dans leurs bilans les émissions directes (scope 1) et les émissions indirectes associées à l’énergie (scope 2). Les autres émissions indirectes (scope 3) revêtent, elles, d’un caractère optionnel. Dans un rapport(2) de 2016, Réseau Action Climat démontrait que la plupart des entreprises n’inscrivaient pas dans leur bilan gaz à effet de serre les postes les plus pertinents du scope 3. Par exemple, les banques et assurances pouvaient – et choisissaient généralement - de ne pas intégrer le poste majeur de ce dernier périmètre : les émissions financées. Une étude(3) réalisée en 2013 démontrait pourtant que les postes sélectionnés du scope 3 pour le Crédit Agricole (émissions des bâtiments de la banque et déplacement de ses salariés) ne représentaient que 0,4% du total des émissions du groupe lorsque l’on intègre les émissions financées.

Une réglementation plus stricte rendant obligatoire la publication de l’ensemble des postes du scope 3, et évitant ainsi des déclarations « à la carte », serait une avancée fondamentale. Cela offrirait ainsi des indicateurs communs permettant de mesurer, piloter et comparer les performances des acteurs économiques tous secteurs confondus. Et ce, pour toutes les parties prenantes.

Offrir une transparence à l’ensemble des parties prenantes

Car oui, ces données extra-financières sont également de plus en plus scrutées par de nombreuses parties prenantes. Tout d’abord les investisseurs, pour lesquels le risque climatique prend une place croissante dans le processus de prise de décision. À tel point que Larry Fink, CEO de Blackrock – le plus grand gestionnaire d’actifs au monde – indiquait dans une lettre publiée en début d’année que le risque climatique était un risque d’investissement.

Les clients ne sont pas en reste non plus. Dans un univers où l’accès à l’information est de plus en plus facile, et où les comparateurs prennent une place de plus en plus importante dans le choix des produits financiers(4), les clients souhaitent pouvoir disposer de moyens leur permettant de comparer et d’évaluer l’impact réel de leurs investissements au regard des nouveaux enjeux climatiques et sociétaux. Or étant donné que les informations mises à disposition par les acteurs économiques sont à périmètres variables. Il n’est pas possible d’effectuer des comparaisons de façon non biaisée.

Et enfin, les employés. D’après une étude(5) réalisée en 2017 tous secteurs confondus, 71% des collaborateurs souhaitent que leur employeur prenne davantage d’engagements en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Maxime Blondeau du syndicat Printemps écologique déclarait même que « 70% des salariés disent vouloir en faire plus pour la transition écologique dans leur entreprise sans y parvenir ». Cette limite est également démontrée par une seconde étude(6) menée au Royaume-Uni indiquant que près de deux tiers des employés annonçaient avoir des difficultés pour comprendre l’impact de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de leurs activités.

Labels, classements : privilégier la pertinence à la quantité

Outre le Greenhouse Gas Protocol (GHG) à l’origine des notions de périmètres 1, 2 et 3 évoqués précédemment, des associations essaient également de créer des classements de références inter-sectoriels. Le Carbon Disclosure Project (CDP) incite par exemple les entreprises à partager leurs données afin d’atteindre une plus grande transparence. Cependant, pour le secteur financier notamment, il est impossible d’en savoir plus quant à la méthodologie utilisée(7). De leurs côtés, l’association Reclaim Finance et l’ONG Les Amis de la Terre ont mis en place en mai 2020 le Coal Policy Tool, un outil permettant de comparer facilement la qualité des politiques charbon des acteurs de la finance. Ce sont des premiers pas très encourageants, mais encore insuffisants pour offrir à tous un niveau d’information suffisant.

L’utilisation de labels peut être un autre moyen de s’y retrouver plus facilement pour comparer les produits financiers. Cependant, un peu comme avec les labels « bio » pour la nourriture, leur multiplication crée souvent plus de confusion qu’elle n’en résout. D’autant plus que la notion de « durabilité » semble ici également laisser place à l’interprétation. Selon Novethic(8), les encours des fonds durables ouverts aux épargnants français ont presque doublés entre 2018 et 2019 pour atteindre 278 milliards d’euros. Les fonds labellisés ISR représentant même 46% des encours de fonds durables ouverts aux particuliers en 2019. De leurs côtés, les fonds garantis par le label d’état « Greenfin » ont également connu une très forte croissance en quadruplant leurs encours en 2019 pour atteindre 6 milliards d’euros. On constate donc un fort engouement pour ces fonds présentés comme durables, mais qui ne sont ni l’un ni l’autre adossés aux engagements 2°C de l’accord de Paris. Ce phénomène est même plus général puisque d’après un rapport publié par Adelphi Research (9) début octobre, seul 22% des revenus issus du CAC40 provenaient d’activités compatibles avec un objectif 4°C, et moins de 2% d’activités compatibles avec un objectif 2°C. Ce qui révèle qu’il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour avoir une offre de produits financiers adossés aux objectifs de l’Accord de Paris.

La première étape afin de pouvoir piloter l’atteinte ou non de nos objectifs liés au climat et à la durabilité dans son ensemble, est de mesurer tous les postes pertinents. Il est primordial d’établir des règles partagées par tous, et c’est ce à quoi s’attelle actuellement l’Union Européenne avec son pacte vert10. Il faudra s’assurer que les législations en cours de rédaction soient assez ambitieuses et précises pour offrir à l’ensemble des acteurs qui font vivre notre économie la possibilité d’y voir plus clair sur ces problématiques qui nous concernent tous. Espérons que ces règles puissent également servir afin d’avoir une harmonisation au-delà des frontières européennes puisqu’en plus du poste des « émissions financées », les « émissions importées » sont un enjeu majeur pour une problématique qui concerne la planète entière.

1 Compensation carbone, fausse bonne idée ? Septembre 2018

2 La responsabilité climatique des entreprises, l’élargir aux émissions indirectes ! Mars 2016

3 Rose, Cochard, Courcier (2013) «Pour une approche catabolique de l’empreinte carbone induite des établissements financiers», Jan-Mars 2013 Analyse Financière n° 46

4 53% des parcours mobiles en assurance mobile ont débuté par un comparateur d’après une étude Google de 2019

5 Le baromètre des enjeux RSE 2017 de Calaméo, réalisé par PRODURABLE et HAATCH

6 Etude menée par FTI Consulting auprès de 550 personnes issues d’entreprises de tailles et secteurs variés

7 CDP Climate Change 2019 Scoring Methodology pour Financial Services renvoie vers une page d’erreur

8 Article « Fonds durables : les encours des Français ont quasi doublé en 2019, selon Novethic» publié sur le site novethic en février 2020

9 European Sustainable Finance Survey –2020

10 The European Green Deal,décembre 2019

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 project manager chez Square

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