François Hollande en Inde : un voyage diplomatique plutôt que commercial

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Par Jean-Joseph Boillot Modifié le 15 février 2013 à 11h35

Est-ce utile que le Président se déplace en Inde en tant que commercial, essentiellement pour vendre des Rafales ainsi qu'une centrale nucléaire ? Ou est-ce vraiment une visite diplomatique ?

Les média ont beaucoup présenté le voyage du Président Hollande comme celui d’un VRP. C’est une erreur de jugement très importante qui méconnaît à la fois les Indiens, et peut-être aussi le Président lui-même. En ce qui concerne les Indiens, c’est faire de la mauvaise publicité de la France que de présenter ce voyage comme celui d’un représentant de commerce qui va vendre des armes et du nucléaire à l’Inde – pays qui, par ailleurs, est très divisé sur ces questions.

En ce qui concerne le Président, il s’agit pour lui une visite dans un pays qu’il ne connaît pas, dont on lui a dit l’importance dans les années à venir pour toute diplomatie multipolaire comme la nôtre. Il s’agit de rencontrer des interlocuteurs qu’il ne connaît pas, d’aller au devant d'un peuple, d'une communauté d'affaires, de rentrer en empathie. avec eux. C’est donc véritablement l’accent diplomatique qui est essentiel dans ce voyage avec sa composante personnelle. La compagne du Président fait, ainsi, la Une de la presse people indienne. Vous vous rendez compte : arriver le jour de la Saint-Valentin !

Ce faisant, ne pas avoir de dossiers économiques et commerciaux avec soi ne peut pas non plus donner de poids à la diplomatie. Il était donc normal que le Président y aille avec une délégation de ministres de différents domaines et une délégation d’hommes d’affaires extrêmement importante puisqu’il s’agit d'entreprises qui rencontrent beaucoup de succès en Inde (Lafargue, Saint-Gobain, etc).

L’Inde est-elle un nouvel eldorado pour la France ? Plus accessible que la Chine ?

L’Inde n’est ni un eldorado ni une anti-Chine. Ce n’est pas un eldorado parce que son marché reste celui d’un pays en voie de développement, dans lequel le revenu par habitant est plutôt faible, mais c’est un marché qui prend de l’importance. Dans l’automobilepar exemple, on est passé de 50 000 voitures produites dans les années 80 à un peu plus de 4 millions aujourd’hui, soit un peu plus de deux fois le marché français. Mais ce n’est pas un eldorado, car il faut être patient. Il y a un proverbe indien qui dit « goutte à goutte, le bassin se remplit ». Ca, c’est l’Inde.

L’Inde n’est cependant pas une anti-Chine : le Président ne va pas en Inde contre la Chine, il essaye de diversifier nos implantations, de ne pas dépendre seulement du marché chinois qui prend une importance majeure à l'échelle mondiale. En un mot, il veut pouvoir s’appuyer également sur le deuxième géant asiatique.

De ce point de vue, il est important de comprendre les spécificités du marché indien et de nos interlocuteurs par rapport à la Chine. C’est un marché décentralisé, où l’on voit essentiellement des groupes d’affaires, de petites, moyennes voire de très grande taille qui font eux-même du business, sans se soucier du gouvernement. Le Président Hollande doit donc « laisser au business le soin de faire du business », ce qui n’est pas le cas en Chine. En Chine, il faut des introductions dans le parti, le « guanxi », c’est-à-dire des réseaux de pouvoir et d'influence qui remontent jusqu'au sommet du parti communiste.

Une seconde particularité de l’Inde est son ambiguïté. On y parle l’anglais, mais en réalité on y trouve une pensée typiquement indienne, de sorte qu'il faut en fait y parler le "hinglish", c'est-à-dire un mélange d'anglais et de hindi. La mentalité ainsi que la culture indienne sont très particulières, et c’est ce qui explique beaucoup de nos échecs au cours des années 90 au moment où l’Inde s’est ouverte. On voit que depuis quelques années, ce savoir faire et cette proximité avec l’Inde sont vraiment devenues des atouts dans nos entreprises, qui mettent aux avant-postes des cadres indiens qui leurs permettent de diriger leurs affaires en Inde d’une manière efficace.

L’affaire Florange, parsemée de propos parfois violents à l’encontre de Lakshmi Mittal, a-t-elle écorné l’image de la France en Inde ?

Vis-à-vis des autorités, l’affaire ArcelorMittal est réglée, pour la simple et bonne raison que Lakshmi Mittal ne donne plus une aussi bonne image de l’Inde à l’étranger qu’en 2005 lorsqu’il a racheté Arcelor. Il n’y a pas de problèmes qu’en France : il y en a également en Pologne, en Ukraine, en Roumanie voire même en Afrique. Cela commence à faire beaucoup !

Par contre, vis-à-vis de la population indienne, et c’est là l’erreur des Français en terme de communication, nous avons trop tendance à dire « l’indien Lakshmi Mittal ». Pour les Indiens, c’est la communauté entière qui est traînée dans la boue.

Inversement, on s’aperçoit qu’un groupe indien comme Tata Steel, qui a une usine à quelques kilomètres de Florange, qui a investi 25 millions de dollars dans la modernisation de la meilleure usine de rails du monde, ne fait l’objet d’aucune publicité en faveur de l’Inde. C’est notre problème : nous devons aussi parler des groupes indiens qui jouent le jeu de la responsabilité sociale et environnementale, et qui ont une éthique des affaires.

L’affaire ArcelorMittal est donc essentiellement devenue une affaire de communication. Il faut cesser de parler de « l’indien Mittal » et parler du groupe ArcelorMittal. Les Indiens seront moins atteints dans leur fierté, avec légitimité.

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        Jean-Joseph BOILLOT est Conseiller du Club du CEPII. Spécialiste de l’économie indienne dont il continue de suivre l’évolution depuis son retour en France en 2006, il enseigne dans différentes institutions et intervient comme consultant auprès d’un grand nombre d’entreprises souhaitant s’implanter en Inde.Il est co-Fondateur du Euro-India Economic & Business Group (EIEBG), membre du comité éditorial d’Alternatives Economiques, de l’Association France-Union Indienne (AFUI), du Euro-India Center, du groupe Futuribles Asie21 et de Confrontation Europe. Professeur Agrégé de Sciences Sociales et Docteur en Economie, il a été chercheur associé sur l’Inde au CEPII au cours des années 1980 avant de rejoindre le Ministère des Finances en 1990 comme Conseiller économique pour suivre les processus de transition dans les grandes zones émergentes du monde : Europe Centrale et Orientale, ex-URSS, Asie émergente au moment de la grande crise de 1997 et enfin New Delhi pour l’Asie du sud.        

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