Fintech : attention à la chute

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Par Nicolas Bressant Modifié le 26 octobre 2018 à 11h29
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5,2 MILLIARDS de DOLLARSAu printemps 2017, les 251 levées de fonds d'entreprises de la Fintech ont cumulé de 5,2 milliards de dollars

Certains craignent que l’industrie des « startup de la finance », panacée des investisseurs il y a quelques années, s’essouffle et donne naissance à une nouvelle crise financière qui pourrait mettre à mal certaines banques françaises comme BNP Paribas, Arkéa ou encore la Banque Postale.

Comment savoir si un secteur d’activité est porteur ? Rien de plus simple : il suffit d’observer les acteurs qui se pressent pour investir dedans ; plus ils sont importants, plus ce secteur a des chances de revêtir un intérêt tout particulier. Il y a quelques jours, la banque américaine JP Morgan Chase - l’un des dix plus gros établissements bancaires mondiaux en volume d’actifs - annonçait vouloir s’implanter dans la Silicon Valley, en Californie, afin d’investir dans les solutions innovantes pour améliorer ses activités financières.

Le futur campus devrait ainsi accueillir plus de 1 000 employés, dont les 275 salariés de WePay, une startup acquise par JP Morgan en 2017, spécialisée dans le paiement en ligne. Preuve de l’attention singulière que portent les dirigeants de la banque américaine à cette industrie financière qu’est la « Fintech ».

Le néologisme, issu de la contraction entre « finance » et « technologies », apparu dans les années 1990, s’est réellement imposé à la fin des années 2000, alors que le monde se relevait tout doucement de l’une des plus graves crises financières de l’histoire. À l’époque, il était utilisé pour dépeindre de jeunes entreprises innovantes, qui utilisaient les nouvelles technologies du numérique pour fournir des services financiers, de manière plus efficace et moins chère. Mais le terme s’est véritablement popularisé, à l’échelle mondiale, en 2015, « année où la Fintech est devenue grand public » selon le cabinet KPMG — 47 milliards de dollars avaient été investis lors de cet exercice dans des startup de l’industrie financière. Depuis, l’argent coule à flots.

« Course aux nouvelles cibles »

En l’espace de trois mois, au printemps 2017, « il y a eu 251 levées de fonds d’entreprises de la Fintech soutenues par des fonds de capital-risque […] dans le monde, pour un montant cumulé de 5,2 milliards de dollars (+ 83 % par rapport au premier trimestre) », expliquait par exemple Delphine Cuny, rédactrice en chef adjointe à La Tribune, spécialiste des questions financières, en juillet 2017.

« Un record » selon elle, dû à un « méga-deal en particulier » : 1,4 milliard de dollars investis par le japonais SoftBank dans l’indien One97 et son système de paiement mobile. Un festin auquel ne participe pas encore totalement la France, régulièrement décrite comme le « Petit Poucet de la Fintech », mais qui continue, depuis 2014, de placer ses billes dans le secteur. À travers, surtout, les investissements de ses banques.

C’est le Crédit Mutuel Arkéa, filiale bretonne de l’établissement français - et l’une des plus actives dans le rachat de startup Fintech -, qui, en septembre 2015, lance les hostilités, en rachetant 86 % du capital du service de cagnotte en ligne Leetchi ; l’an dernier, BNP Paribas a acquis Compte Nickel, « l’audacieuse startup » tricolore lancée il y a trois ans afin de procurer un « compte sans banque » — mais sans découvert possible — à toute personne qui le souhaite ; quelques mois plus tard, c’est au tour de la Banque Postale de s’emparer du pionnier français du financement participatif, la plateforme KissKissBankBank ; et à l’été 2017, le Crédit Mutuel Arkéa récidive en devenant actionnaire majoritaire (à 80 %) de Pumpkin, un porte-monnaie électronique, utilisable depuis son smartphone, très prisé par les jeunes.

Le groupe breton ne se contente pas d’acheter des startup ; il lui arrive régulièrement d’investir dans celles-ci : Fluo (2 millions d’euros), Grisbee (3 millions), Yomoni (5 millions), Younited Credit... Une « voracité » qui s’explique par la « course aux nouvelles technologies, aux nouvelles cibles et à la communication », précisait cet été Alain Clot, président de l’association France FinTech, dans Forbes. Car « aujourd’hui pour les banques, le risque est de voir partir les jeunes chez des acteurs non bancaires. Leur conquête est donc importante pour construire avec eux une première expérience bancaire », abondait Anne-Laure Navéos, directrice croissance externe et partenariat chez Arkéa. Un enthousiasme qui pourrait rapidement disparaître, si jamais la « bulle » Fintech, comme certains le prédisent, venait à éclater.

« Répartition des risques »

Comme tous les secteurs innovants dans lesquels les investissements arrivent par milliards, ces jeunes pousses « techno » de la finance risquent à tout moment de se retrouver nez à nez avec un essoufflement de leur industrie. La raison est simple : plus il y a de financements disponibles, plus les startup estampillées Fintech apparaissent ; s’ensuit alors une course à la survie, pour exister dans un milieu nécessairement concurrentiel et hostile, qui n’est pas sans rappeler, d’ailleurs, la théorie de l’évolution darwinienne ; mécaniquement, de nombreuses entreprises y laisseront des plumes, voire cesseront d’être viables, et déposeront le bilan. Ce qui pourrait alors constituer le point de départ d’une perte de confiance et d’un affolement généralisé chez les investisseurs de toute la planète. Autrement dit : l’éclatement de la bulle Fintech.

Voilà ce qu’imaginait, en 2016 déjà, Mark Tluszcz, patron de Mangrove Capital et premier investisseur de Skype. Pour qui « toutes les mauvaises habitudes liées à l’argent seront exposées dans la Fintech au cours des prochaines années », les startup de la finance spécialisées dans les prêts entre particuliers étant trop petites, selon lui, pour résister aux mécanismes gloutons des banques. « Les investisseurs ont misé aveuglément beaucoup d’argent sur ce secteur [alors que] le prêt entre particuliers va droit dans le mur », expliquait-il. Idem, les nouvelles banques digitales, comme Compte Nickel (BNP Paribas), n’offrent pas les mêmes garanties qu’un établissement traditionnel ; en cas de faillite, impossible, ainsi, de prétendre au Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) pour rembourser les clients.

D’où l’importance de diversifier ses placements, pour la majorité des spécialistes de l’investissement bancaire. Qui parlent en général de « répartition des risques », que doit observer tout bon gestionnaire de portefeuille d’actions, certains marchés étant en phase de développement - et donc présentant de fortes perspectives de croissance -, d’autres étant à l’inverse arrivés à maturité. Ce qui est le cas des Fintech ? S’il est trop tôt pour l’affirmer, le risque que la bulle éclate existe bel et bien. En France, c’est le Crédit Mutuel Arkéa, ayant beaucoup investi dans ces startup, qui pourrait accuser le coup ; d’autant plus que la banque bretonne, engagée dans un processus d’indépendance vis-à-vis du Crédit Mutuel, manque cruellement de stabilité financière. Ce qui l’empêcherait d’affronter la dépréciation d’une grande partie de son portefeuille d’actions.

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Nicolas Bressant est chef de projet européen Innovation -Transfert de technologie. Études marketing.

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