Gilets Jaunes : du fric au RIC ?

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Par Philippe Bapt Modifié le 21 décembre 2018 à 16h28
D%c3%a9mocratie
1 MILLION €Le ticket d?entrée moyen pour se lancer dans les élections européennes est de 1 million d?euros.

Le mouvement citoyen Gilets Jaunes en dit beaucoup sur les nouveaux modes de mobilisation. Essayons d’analyser le pourquoi et le comment. Quid de demain et du futur proche ?

En six semaines

Au début du mouvement des Gilets Jaunes se mêlaient allègrement des revendications diverses, allant des hausses des taxes sur les carburants, de la CSG à la baisse de la vitesse à 80 km/h sur certaines routes. En clair, les Gilets Jaunes demandaient de l’argent à gagner et un arrêt de l’augmentation de taxes et impôts directs ou indirects. Ils se battaient pour un pouvoir d’achat toujours plus en berne. Puis au gré des semaines qui se suivaient et se ressemblaient, les observateurs voyaient naître de nouvelles revendications plus politiques cette fois. La dernière en date : le R.I.C., référendum d’initiative citoyenne.

Il est un fait certain, c’est qu'il y aura un avant et après mouvement Gilets Jaunes. Pourquoi ? Le gouvernement a reculé. Il a reculé devant l’ampleur populaire plus qu’effective de la mobilisation des samedis, somme toute relativement importante mais pas décisive. La nature ayant horreur du vide, l’expression populaire s’est développée en dehors de tout cadre connu jusqu'ici que sont les corps intermédiaires en tout genre. La nouveauté reste l’usage des réseaux sociaux. Facebook n’a que 15 ans, mais son usage s’est démocratisé comme une traînée de poudre ; de même pour ses cousins : Twitter...

La parole des pairs plutôt que celle des experts

Avant on parlait de 65 000 000 de sélectionneurs pour les compétitions sportives, pour retenir tel(le) joueur(se), virer tel entraîneur, aujourd’hui avec l’avènement de l’usage des réseaux sociaux, cela s’applique jusque dans le champ politique. Pages, forums, le tout sans filtre (modérateur) permettent à tout en chacun de donner plus ou moins doctement son avis. Le marketing digital a depuis longtemps anticipé cette prise de voix collective. Qui n’a pas laissé son avis, bon ou pas, soit sur le « livre d’or » dématérialisé du site de tel ou tel restaurant, sur des sites qui ont pignon sur rue spécialisés, ou sur des forums de notation ? Plutôt que de se tourner vers les seuls guides gastronomiques, hôteliers, les clients recherchent désormais des avis de consommateurs sur le net, avant de se rendre dans un établissement.

A l’ère du numérique, le marketing s’est adapté depuis longtemps à ces nouvelles pratiques. Le marketing push (vertical) a été remplacé par l’inbound marketing (marketing de la permission). Les besoins du client sont placés au centre de la démarche mercatique. Bien sûr dans les faits, ces nouvelles pratiques peuvent mener à des dérives : achats d’avis préfabriqués à Madagascar ou ailleurs, faux profils qui « followent ». Peu de règles existent pour endiguer un phénomène de falsification commerciale. Et, poussé à l’extrême, ces pratiques de notations perpétuelles pourraient mener à l’absurde comme dans l’épisode « Nosedive » de la série Black Mirror : la course à la notation perpétuelle pour exister dans la société et accéder à certains services. Dans les faits, cette course à l’approbation des autres ne peut créer que de la frustration à court, moyen ou long termes.

Dans les faits surtout, un pays, la Chine, commence à se doter d’un type système de crédits sociaux...

Cependant, le marketing est un outil très utilisé par la sphère politique. L’usage est bien défini, comme dans le commerce : le but n’est pas de montrer un politique tel qu’il est mais tel qu’il est perçu. Et on peut même attribuer la croissance d’En Marche, outre les qualités intrinsèques du candidat Emmanuel Macron, à cette part de stratégie politique. L'usage intensif des moyens numériques fut une arme pour fédérer une base exponentielle, pour s’adresser à ses militants, les sonder. A ces moments-là, été 2016-mai 2017, beaucoup ont pensé que face à la verticalité, le système pyramidal des partis traditionnels, la démarche En Marche était révolutionnaire. En effet, du classique « le savoir, c’est le pouvoir » on entrait de plain-pied dans «  le pouvoir c’est le partage ». La fameuse disruption !

Digital+ néophytes + Vème République : c’est quoi ce « binz » ?

Une fois arrivé au pouvoir, le jeune président a voulu ne pas tomber dans le piège dans lequel sont tombés ses prédécesseurs. Incarner la plus haute fonction du pays dès son entrée en fonction. Celui qui l’a mis sur orbite, François Hollande n’a jamais été perçu comme entrant dans ce fameux costume. Corollaire à cette mission : apparaître comme au-dessus, d’où le fameux Jupitérisme macronien.

Outre cet isolationnisme volontaire, l’avènement d’une toute nouvelle génération d’élu(e)s nationaux, sans sens politiques et bagages de communication adéquats, pour ne pas dire pour certains une assurance en eux absolue, très peu chaperonnés par des cadres rompus à l’exercice, compliquait l’affaire. Le rajeunisme et la parité plus affirmés à l’assemblée nationale jusqu’aux membres du gouvernement continuaient à isoler, à déconnecter mécaniquement de la base. Enfin, la communication digitale, entre autre, est, depuis plus d’un an, toujours utilisée en mode push : descendante. Si les outils twitter, ou autre, sont bien plus utilisés qu’avant, aucune interaction ne fut plus envisagée.

Le ressort psychologique, bien senti, utilisé depuis la création du mouvement : la participation de la base militante et même plus élargie, entre en confrontation avec l’exercice du pouvoir présidentiel de cette Vème République.

Oui, la politique menée depuis juin 2017 l’a été tambour battant. Oui l’injustice fiscale s’est donc accrue. Oui la volonté de soutenir un pouvoir d’achat en berne ne se voit pas. Oui la centralisation du pouvoir, une équipe trop jeune (comme on sport : même avec des pépites, sans cadre au niveau supérieur, il y a des déconvenues) ont annihilé ces balbutiements d’inbound politique.

Les Gilets Jaunes sont l’expression de tout cela. Leur formation, leurs actions (ronds-points : points de rencontres névralgiques routiers), leur refus de têtes représentatives sont le reflet exact de ce qui n’a pas été développé depuis l’arrivée en poste du président Macron.

Et maintenant... que vont-ils faire ?

Les diverses mesures annoncées ont été mises en débat et votées, pour une mise en application dès janvier-février 2019. Quid de la grande concertation ? Il ne sera pas traité ici des diverses tentatives infructueuses et quelquefois théâtrales des divers élus. Outre leur faire trop d’honneur, il est important de ne pas laisser préempter par des personnages élus depuis plus de dix, quinze ans, voire plus, le chantier démocratique ouvert suite à cette crise traversée par notre pays. En six semaines, le mouvement Gilets Jaunes s’est mué de revendicatif : «  stop aux radars/ stop aux taxes » à un collectif politique aux volontés plus « démocratiques ». A cela le pouvoir légitime a répondu par une période de grande concertation qui s’ouvrira le 15 janvier et s’achèvera le 15 mars. Le R.I.C. est le mot d’ordre, un programme à lui seul. Après les cahiers de doléances en mairie, les citoyens ivres de s’exprimer vont être invités à le faire. Au pouvoir ensuite de savoir se saisir de la masse de propositions qui en émanera. Si la réussite du quinquennat proviendra de la réussite de la transformation en lois et réformes qui en sortiront, je m’inquiète de la réelle ferveur populaire concernant les débats publics. En effet, pour diverses raisons, je suis amené à suivre des débats citoyens initiés par des Conseils de développement locaux, ou pour des enquêtes publiques. Quelle déception régulière. Les codev réunissent des habitants et se saisissent de problématiques locales. Sans élu politique, malgré leur dévouement bénévole, à de rares occasions, le public est soit relativement le même, soit clairsemé ! Et ils sont où les citoyens qui n’ont de cesse que de vouloir s’exprimer ?

Je souhaite donc que cette concertation publique à venir passionne vraiment les citoyens, et non pas seulement les professionnels de l’opposition, populistes pour la plupart, dont certains ne réclament le referendum d’initiative citoyenne que pour espérer faire prospérer leur minorité. A chacun, chacune de venir, s’investir, se confronter intellectuellement, débattre et proposer. La colère est légitime, attention de ne pas se la faire rapter !

Enfin, vient la question de la liste Gilets Jaunes aux élections européennes. A la fois compréhensible, cette volonté est cependant en contradiction totale avec la profession de foi de base de ce mouvement : s’opposant au président jupitérien, unique, les Gilets Jaunes ont porté des revendications en revendiquant aucun porte-parolat. Cependant, certains imaginent qu’à la suite de cette crise, la traduction ne peut se concevoir en dehors du champ politique. Certes, Françis Lalanne s’y voit déjà. Mais aussi et surtout deux têtes qui ont émergé dans les médias : le Toulousain, Benjamin Cauchy, et le Parisien Hayk Shahinyan. Au final pas ou peu de femmes... Rendez-vous au mois de mars au moment du dépôt officiel des listes.

Alors, à l’arrivée de cette période annuelle de fêtes, après quasiment une dizaine de morts, beaucoup de blessés notamment dans les rangs des forces de l’ordre, je souhaite à toutes et tous de se retrouver en famille, et pour celles et ceux qui sont seuls à continuer à nouer des liens sociaux, car les casseurs et extrémistes de tous poils ont vampirisé une bonne partie de l’esprit fédérateur de cette crise, pour que notre société tente enfin de s’apaiser en 2019. Je souhaite à toutes et tous de bonnes fêtes, de bons débats en famille et entre amis, entrecoupés de moments conviviaux. On ne vit pas dans le pire pays du monde, et la solidarité apparue ces derniers temps ne doit pas disparaître.

A l’année prochaine !

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Philippe BAPT est un communicant. Diplômé de Novancia Business School en management marketing digital et événementiel, il exerce sa passion comme chargé de communication et consultant chargé de projets. Sa seconde passion la « chose publique » l’amène très tôt dans le champ associatif : social, culturel et sportif. Puis il sera élu local d’une commune de la première couronne de la ville rose de 2008 à 2014. Président de club de rugby, puis d’un groupement d’employeurs et administrateur d’un théâtre-centre culturel, ces différents postes lui confèrent  une expertise dans ces domaines. Retiré du strict jeu politique, il n’en demeure pas moins attentif à l’évolution de l’actualité et devient éditorialiste dans divers médias locaux et régionaux, dès la rentrée 2014. Ses sujets de prédilection : le « jeu » politique, les répercussions économiques et sociales, la recomposition du paysage politique français. 

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