Infrastructures : le Grand Paris Express, erreur du siècle

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Par Pierre Merlin Publié le 18 octobre 2017 à 5h02
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93 %93 % des emplois créés grâce au Grand Paris Express devraient se concentrer dans huit « pôles stratégiques ».

On nous annonce que le Grand Paris Express (GPE), initialement estimé à 20,5 puis 22 milliards d’euros en coûtera probablement 35. En 2011, nous mettions en doute l’estimation officielle et affirmions déjà que « le coût total du programme atteindra près de 50 milliards, dont près de 35 pour le GPE » (Transports et urbanisme en Île-de- France, La Documentation française). Nous y voilà. Sans compter les nouvelles réévaluations à venir, puisque la construction commence à peine.

Rappelons pour mémoire que ce projet a été préféré à celui, plus modeste, d’Arc Express, défendu par la Région et retenu dans le projet de schéma directeur régional de 2008, que l’État n’a pas voulu approuver, et inscrit dans le contrat de plan État-région 2007-2013 pour un coût estimé 7 milliards (matériel roulant compris). Il s’agissait d’une ligne de rocade de 73 km, en grande partie souterraine, mais à gabarit réduit (2,8 m au lieu de 3, m) et avec des quais limités à 55 m.

Le GPE repose sur la création de 72 gares et sera partiellement financé par la vente des droits à construire autour de celles-ci. Mais ne favorisera-t- il pas cette urbanisation « en tache d’huile » que le premier schéma directeur régional (le plan dit « Delouvrier » de 1965) souhaitait interrompre, pour éviter une consommation excessive des espaces ruraux et de loisirs ?

GPE ne repose-t-il pas sur des prévisions financières sciemment (?) erronéee ? Il est aussi justifié par une surévaluation massive du trafic attendu et donc des recettes escomptées. Dans un article paru en mai 2012 (Le Rail, n° 186, pp. 20-30), nous évoquions « le Grand Paris Express, erreur du siècle ? »). Cinq ans plus tard, nous maintenons ce pronostic, mais en supprimant le point d’interrogation. Quelles sont les causes de cette surestimation massive du trafic prévu ?

– le nombre d’emplois créés dans la région retenue (45 000 par an) est supérieur au rythme actuel (35 000) ;
– la répartition spatiale de ces emplois est irréaliste : 93 % d’entre eux se créeraient dans les huit « pôles stratégiques « planifiés par la Société du grand Paris (SGP) ;
– le nombre de logements à construire (70 000 par an) est très supérieur à la moyenne de la dernière décennie (50 000 environ).

Ces perspectives gonflées conduisent mécaniquement à augmenter le trafic prévu et donc les recettes. Mais il y a plus grave : les promoteurs du GPE avancent le nombre d’utilisateurs prévus sur chaque ligne. Mais cet indicateur n’est pas pertinent : ces usagers n’effectueront pas le trajet d’une extrémité de la ligne à l’autre. Le seul indicateur pertinent est le flux attendu en heure de pointe sur le tronçon le plus chargé. Or, les promoteurs du GPE se sont bien gardés de rendre publics ces chiffres. Ce sont pourtant eux et eux seuls qui conditionnent la capacité à assurer sur la ligne.

La SGP a fait le choix d’un métro automatique en souterrain, à grand gabarit (voitures de 3,20 m de large) et longues rames (6 voitures, 120 m de long), d’une fréquence pouvant atteindre 42 rames par heure (une toutes les 85 secondes), ce qui permet une capacité allant jusqu’à 40 000 voyageurs à l’heure (davantage que celle du métro). Bref, la solution la plus coûteuse envisageable.

Pouvait-on choisir une technologie moins coûteuse ? Bien sûr. Rappelons qu’un métro souterrain coûte environ 5 fois plus cher qu’un métro en surface. Or, si certains tronçons doivent être souterrains compte tenu d’une urbanisation dense, ce n’est pas le cas de tout le réseau. Des lignes à petit gabarit (2,4 m) coûtent un tiers de moins que celles à grand gabarit (3,2 m) pour une capacité réduite d’un quart.

La priorité est-elle à des lignes en rocade ?

Celles-ci sont très populaires auprès de l’opinion et des politiques. On avance souvent que les trajets tangentiels de banlieue à banlieue sont les plus nombreux, ceux qui augmentent le plus vite et que l’offre de transport public y répond très mal. C’est exact. Et pourtant, les lignes de rocade qui existent déjà ont un trafic très faible. La raison en est claire : peu de trajets pourront être effectués sur le GPE sans correspondance et le plus souvent plusieurs. Or, celles-ci sont le principal facteur qui dissuade d’utiliser les transports en commun. N’eut-il pas mieux valu améliorer les réseaux existants (métro, RER, Transilien), souvent à bout de souffle, accélérer la construction des lignes de tramway (qui coûte 5 à 10 fois moins cher que les lignes du GPE) en banlieue, et se limiter pour la grande rocade à des lignes de tramway ou, sur les tronçons les plus chargés, de métro léger ? Il est urgent de réviser la copie de la SGP. Tous ses choix ne sont pas encore inéluctables.

Cette tribune a été initialement publiée par Pierre Merlin sur le blog Le Monde des lecteurs.

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Pierre Merlin est ingénieur géographe, urbaniste, expert-démographe, statisticien et actuaire. Il a présidé l'Université de Paris VIII-Vincennes et a fondé et présidé l’Institut français d’urbanisme de cette université, puis l'Institut d'Urbanisme et d'Aménagement de la Sorbonne. Il est aujourd’hui professeur émérite à l’université de Paris-I (« Panthéon-Sorbonne »). Il est l’auteur de 65 livres et de 560 publications sur l’urbanisme, les transports, l’aménagement du territoire, le tourisme et la démographie, dont La croissance urbaine (PUF, 1994), Géographie humaine (PUF, 1997), Les banlieues (PUF, 1991) L'urbanisme (PUF, 1991), Les villes nouvelles en France (PUF, 1991), L’aménagement du territoire (PUF, 2002), L’éco-région d’Ile-de- France, une utopie constructive (La Documentation française, 2007) et Des grands ensembles aux cités, l’avenir d’une utopie (Ellipses, 2012).

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