[Best Of] Industrie navale de défense : la France sera-t-elle obligée d’acheter russe ou chinois dans 20 ans ?

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Par Marc Pelletier Publié le 16 août 2019 à 12h24
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1Depuis 2018, la Chine est numéro un mondial de la construction navale militaire

Cet article initialement publié le 21 mai 2019 vous est proposé en « Best-of » pendant l’été 2019. Lors de sa première publication il a été consulté par 10.916 lecteurs.

L’industrie mondiale de l’armement connaît de profondes transformations, avec la disparition de petits acteurs, la fusion de constructeurs de taille moyenne et l’avènement de géants planétaires, en Chine ou en Russie. Les Européens, eux, avancent en ordre dispersé.

Si Airbus a le sourire depuis l’annonce de la commande chinoise lors de la visite officielle du président Xi Jiping fin mars (300 avions pour 30 milliards d’euros), toutes les entreprises françaises ou européennes ne regardent pas la Chine du même œil. Dans l’industrie navale militaire par exemple, c’est plutôt l’inverse : la Chine écrase toute la concurrence. Pour faire face, les Européens vont être obligés d’avancer groupés, sous peine de disparaître.

Vie et mort des acteurs européens

Dans les domaines naval, terrestre et aérien, les entreprises européennes se rapprochent ou disparaissent. La liste est longue des sociétés nationales militaires qui ont passé l’arme à gauche : qu’est-il advenu des Suédois et de leur fameux blindé Stridsvagn, remisé depuis longtemps au musée ? Et des Autrichiens avec leur blindé SK-105 Kürassier, mis à la retraite en 1998 ? Quid du véhicule belge de combat d’infanterie chenillé YPR-765, mort et enterré au début des années 2000 ? Elles sont nombreuses ces enseignes nationales à avoir baisser pavillon. Trop petites, uniquement tournées vers le marché intérieur, elles ont creusé leur propre tombe.

A l’inverse, d’autres entreprises ont su jouer la carte de la collaboration européenne. Et certains exemples ont été couronné de succès. Le consortium Eurofighter GmbH (Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne) a déjà mis en service près de 600 avions de combat depuis 2004, avec commandes venant d’Arabie Saoudite, du Koweït ou du Qatar. Les exemples sont légion. Pour la fabrication de missiles comme leur fameux Apache, le leader européen MBDA est le fruit d’une filiale commune entre Airbus, l’Anglais BAE Systems et l’Italien Leonardo. Pour les blindés transporteurs de troupes, ce sont les Allemands et les Néerlandais qui se sont unis au sein d’Artec pour produire le système Boxer. La coopération européenne, ça peut marcher.

La bataille navale aura bien lieu

L’industrie navale européenne est en retard dans ce domaine, et les tentatives passées se sont soldées par des échecs, que ce soit au nord du continent (Kockums/TKMS) comme au sud (Naval Group/Navantia). Parmi les acteurs du secteur militaire naval européen, cette coopération peut néanmoins fonctionner. Par exemple pour fabriquer des torpilles, marché sur lequel le consortium franco-italien EuroTorp propose son modèle MU90 Impact, torpille légère de troisième génération. D’autres rapprochements sont en cours, comme celui du Français Naval Group et de l’Italien Fincantieri. Pour les deux entreprises leaders en Europe de la construction de navires militaires, il s’agit d’ailleurs là d’une nécessité stratégique et industrielle : elles devraient être amenées logiquement à se rapprocher de plus en plus, seule manière pour elles de faire face à la concurrence venue des Etats-Unis, de Russie et surtout de Chine.

En octobre dernier, en marge de la signature de l’accord entre Naval Group et Fincantieri, le PDG italien Giuseppe Bono insistait sur la dimension européenne du projet : « Nous envoyons un signal fort à l’Europe : si deux industries comme les nôtres ont entamé un tel rapprochement, il faut que les politiques derrière nous suivent, car cela constitue véritablement une grande opportunité de croissance. Surtout à l’avenir si l’Europe se dote d’une politique de défense commune. La France et l’Italie font déjà beaucoup, les chiffres sont là, mais en prenant en considération la concurrence accrue de la Chine, des Etats-Unis et de la Russie. » La menace est claire.

Les Européens face à des géants

Pour comprendre à quel point l’union des industriels européens sera probablement la seule manière de perdurer à long terme, il suffit de comparer les pedigrees :

  • Chine / CSSC (China State Shipbuilding Corporation)

Chiffre d’affaires : 29,8 milliards de dollars
70 009 employés
136 filiales

  • Russie / OSK Group (United Shipbuilding Corporation)

Chiffre d’affaires : 5,6 milliards de dollars
80 000 employés

  • Italie / Fincantieri

Chiffre d’affaires : 5,7 milliards de dollars (tous navires confondus, civils et militaires)
19 500 employés

  • France / Naval Group

Chiffre d’affaires : 3,7 milliards de dollars
14 860 employés

Les forces en présence donnent le ton. Les constructeurs européens, s’ils misent à raison sur la qualité de leur production comparativement aux produits chinois, ne peuvent pour autant assurer leur survie à moyen terme qu’en s’alliant. Tous les constructeurs font ce même constat, tous domaines confondus. En 2018 par exemple, un duo de fabricants de tanks – le Français Nexter et l’Allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) – ont uni leur destin au travers de la société KNDS qui commence à produire un nouveau char européen. C’est aussi dans cette perspective que Naval Group et Fincantieri ont signé leur accord en octobre dernier, avec une première commande de navires ravitailleurs par la France, en attendant d’autres contrats. Cité par Le Figaro, Hervé Guillou, le PDG de Naval Group, explique la nécessité de s’adapter aux nouvelles règles du jeu : « Le marché export s’est modifié avec l’arrivée d’Etats-puissances et de leurs groupes géants tels que le Chinois CSSC ou le Russe OSK. Ces groupes bousculent la hiérarchie mondiale. » En 2018, par exemple, le Chinois CSSC est passé nº1 mondial du secteur naval militaire devant l’Américain General Dynamics. Tout un symbole. Si les Européens ne font rien pour contrer l’essor des Chinois, ils deviendront leurs clients d’ici 20 ans… pour autant que nous souhaitions toujours disposer d’une marine.

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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