L’intelligence économique, une pratique utile pour les entreprises

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Par Christelle Urvoy Publié le 25 septembre 2018 à 5h00
France Intelligence Economique Entreprises Bonnes Pratiques
2,6 millionsLa France compte 2,6 millions d'entreprises.

Parler d’intelligence économique consiste encore trop souvent à parler d’espionnage ou de guerre économique, y compris dans Economie Matin. Alors même qu’il s’agit de méthode, d’outils, voir simplement de curiosité, qui peuvent accompagner l’entreprise dans son développement, l’intelligence économique peine à faire une entrée réelle dans toutes les stratégies d’entreprises et reste perçu comme un concept flou et complexe.

Pourtant, si la traduction française de la « business intelligence » est méconnue des dirigeants, ou associer à la BI, informatique décisionnel, le renseignement économique peut être utile, voir vital au quotidien pour nombre d’entreprises. Pour faire simple, l’intelligence économique, c’est disposer des moyens efficients pour gérer la masse d’informations disponibles (numériques ou non) pour en produire une analyse pertinente et utile à la prise de décision. Gérer l’information signifie alors sécuriser l’information dont on dispose déjà (sécurité), acquérir celle qui pourrait nous être utile (veille) et l’utiliser à bon escient pour en tirer des avantages économiques substantiels pour son activité (influence). On parle alors des trois piliers de l’intelligence économique.

3 piliers : veille, sécurité et influence

Le sport automobile est un bon moyen de comprendre les usages et les bénéfices qu’on peut retirer à la mise en place d’un système de veille dans sa structure. Comparons quelques instants, nos entreprises à des voitures lancées à toute vitesse sur un circuit, avec d’autres compétiteurs. La veille stratégique va permettre :

- D’avoir des informations rapidement pour anticiper les virages (marché), les obstacles (législation), et gagner quelques précieuses secondes pour gagner la course (résultats/pérennité).

- De s’entourer de la meilleure équipe (partenaires, fournisseurs…) en les validant selon les valeurs, les critères définis par notre entreprise.

- D’attirer des sponsors (investisseurs), des clients, en développant sa réputation physique et numérique (e-reputation)

- D’améliorer la technologie, la vitesse du véhicule (technologies/innovations)

- Et puis, qu’on soit devant ou derrière, on va suivre de près les concurrents pour les rattraper ou éviter de l’être. Et pour ceux qui pensent être seul sur un marché, sachez que c’est très rare et qu’au mieux, ça ne dure pas longtemps. Gardez un œil dans les rétros et ayez en tête cette réflexion du PDG d’AXA, qui se demande tous les jours : qui va tuer mon entreprise ?

La veille est complémentaire de l’innovation pour anticiper les moments disruptifs. Le second pilier de l’intelligence économique : l’influence, peut se définir comme les mesures que prennent les entreprises pour faire adhérer leur environnement à leur point de vue, à leur valeur :

- Développer son image de marque, et assurer sa réputation en ligne ou hors ligne sont des premières démarches. Et dans certains cas, il y aura une vraie démarche en amont pour se positionner auprès d’institutions bien avant qu’un contrat soit conclu (c’est le cas notamment des appels d’offres).

- Connaitre, et influer sur la réglementation sont une seconde étape : agir avec les fédérations, être proches des institutions locales pour connaitre les orientations réglementaires, les anticiper, participer à des groupes de réflexion (think tank) ...

Le lobbying n’est donc pas forcément cette pratique illégale dont on entend parler parfois dans la presse et qui consiste à payer un décideur pour qu’il vote ou non une loi. C’est souvent plus subtil.

Le troisième pilier est souvent considéré comme le pilier des paranos : celui de la sécurité économique. Il vise à protéger toutes cette information créée par l’entreprise, celle qu’elle a capitalisé par la veille, par le lobbying et qu’elle ne souhaite pas voir devenir publique. Bien sûr, il y a des données essentielles et selon les secteurs toutes les données ne seront pas catégorisées comme sensibles (proposition commerciale, innovation, contrats salariés, projets de développement…). Il existe des solutions techniques et des experts pour vous accompagner. Des avocats pour vous protéger en matière de propriété intellectuelle, pour identifier les bonnes clauses à intégrer à vos différents contrats (confidentialité, non concurrence, exclusivité…), des experts informatiques pour vous aider dans la protection de vos systèmes d’information (anti-virus, cryptage de certaines données, sauvegarde des données, plan de continuité d’activité…). La menace là aussi peut être multiforme, mais elle n’est pas souvent l’œuvre de concurrents. Les actes de cybercriminalité peuvent toucher les entreprises tant sur le plan financier, qu’humain ou technologique. Malheureusement, il n’existe pas de solutions qui garantissent une protection totale. Le maillon faible c’est l’humain. Quelques premières bonnes pratiques à mettre en œuvre peuvent cependant aider :

- Verrouiller un ordinateur avant de partir

- Passer à la déchiqueteuse les documents importants, confidentiels

- Être prudent sur l’expéditeur d’un mail

- Briefer ses commerciaux sur ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas dire dans un RDV commercial

- Être attentif aux pertes d’information (salons, commerciaux, perte ou vol d’ordinateur…)

L’Intelligence Economique et la veille, c’est avant tout un état d’esprit, de la curiosité, et un peu de méthode, et des outils. Si l’entreprise est en permanence ouverte sur les changements de son marché, de ses clients, ses partenaires et ses concurrents, elle a fait un grand pas vers la structuration de son information. Les partenaires publics, associatifs (Chambre de commerce, chambre des métiers, fédérations professionnels) sont des sources intéressantes. Les experts comptables apportent un recul utile sur des situations d’entreprises. Il existe évidemment des cabinets spécialisés dans la veille et l’intelligence économique. Il s’agit ensuite d’adapter la méthode et les outils aux moyens et ambitions de chacun.

Des étapes élémentaires et une règle d’or

Pour être rapidement efficace, toute démarche de veille et d’intelligence économique doit passer par quelques étapes clés. La première va être de nommer un pilote dans l’avion et de motiver des équipes. Une personne doit en effet prendre la responsabilité d’animer cette politique afin d’en garantir la cohérence sur le long terme.

La seconde étape, bien qu’évidente et fondamentale, est souvent plus complexe. Elle consiste en la définition de ses besoins. Il n’est pas utile de faire de la veille sur des informations dont je n’ai pas besoin ou plus besoin, ou pire sur des informations que je détiens déjà ailleurs, pour faire avancer ma stratégie. Or les dirigeants ont parfois cette envie de vouloir tout suivre. Il est donc essentiel d’accoler la stratégie globale de l’entreprise à la politique d’intelligence économique. Pour définir son besoin informationnel réel, il « suffit » de répondre à cette équation : toute l’information dont j’ai besoin, moins celles dont je dispose déjà (collaborateurs, mémoire de l’entreprise, étude de marché précédente…). Les entreprises l’ignorent souvent mais 70% des questions que le dirigeant se pose pour asseoir et développer sa stratégie se trouve dans l’entreprise.

Il est donc capital qu’une entité définisse avec précision ses besoins. Plus ces derniers seront précis, plus le résultat sera atteignable à un effort raisonnable tant sur le temps que sur le prix. Soyez SMART ! Dans vos pratiques de veille, définissez des objectifs qui soient Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporels. Malgré tout, une règle d’or s’impose que l’on parle de veille, de sécurité ou d’influence : attention aux pièges. Si le Web est un fabuleux outil informationnel, il ne faut pas tomber dans différents pièges. Quand on parle de Web, et plus largement d’Internet :

- On parle de 3.2 milliards d’individus connectés, en capacité de diffuser et de commenter de l’information,

- Chaque minute sur Internet : ce sont 4 millions de recherches effectuées sur Google, 2.46 millions de contenus partagés sur Facebook, 277 000 tweets, 72h de vidéos sur YouTube

Le piège est donc double. Le premier est de vouloir tout suivre. Les dirigeants trouvent déjà leurs journées trop courtes et très denses, alors s’ils doivent en plus regarder toutes les informations disponibles, sous tous les formats, c’est perdu d’avance. Le second est de ne pas perdre sa capacité de jugement et de vérification de l’information. Les fausses informations circulent aussi sur le Web et il est nécessaire de les croiser. En matière de veille, il faut toujours au minimum 2 sources différentes pour confirmer l’information (BFM et I-télé ne sont pas deux sources différentes – BFM et votre commercial après un salon peuvent être deux sources différentes). Il est essentiel d’être attentif aux fausses informations et aux informations non confirmées. Elles ne devront pas forcément être mises à l’écart, mais elles devront être utilisées avec recul.

Et le retour sur investissement ?

Et le ROI dans tout ça. C’est une question récurrente pour les TPE/PME. Investir dans de la veille a un coût, qu’il soit financier, humain, ou technique. Qu’est-ce que cela me rapporte concrètement ? Malheureusement, le retour sur investissement est rarement quantifiable. John Fitzgerald Kennedy avait cette formule assez pertinente sur l’information et l’importance d’y accéder « l’ignorance coute plus cher que l’information ». Pour revenir sur l’idée de la voiture lancée à pleine vitesse. Est-ce que vous l’imaginez roulant à tombeau ouvert, sans assurance, non ? Et pourtant, chaque mois, vous espérez payer pour rien. Cela voudra dire qu’il ne vous ait rien arrivé. Vous vous protégez juste contre un risque. Mettre en place une politique de veille s’inscrit dans le même état d’esprit. Comment être sûre que votre entreprise serait encore présente sans l’information obtenue par la veille, sans les systèmes mis en place pour la protéger.

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Christelle Urvoy – Fondatrice d’Advicie. Juriste de formation, elle est titulaire d’un diplôme de consultante en intelligence économique obtenu auprès de l’EEIE (Versailles). Après une première cocréation d’un cabinet d’intelligence économique, en 2012, elle a décidé de fonder Advicie, un cabinet d’intelligence économique et de veille spécialisé dans les TPE/PME, afin de mieux répondre à leurs attentes et à leurs besoins.

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