Interdiction des dividendes bancaires : un étrange remède aux lourds effets secondaires

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Par Scander Bentchikou Publié le 9 juillet 2021 à 5h04
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1300 MILLIARDS €En 2020, les banques ont emprunté 1.300 milliards d'euros auprès de la BCE à taux négatif.

Les restrictions sur les dividendes bancaires, en vigueur depuis mars 2020, devraient prendre fin cet été. Pour les banques et leurs actionnaires, il s’agit d’un soulagement. La mesure, censée protéger les banques face à la crise, leur a fait plus de mal que de bien.

Techniquement, les dividendes du secteur bancaire ont fait leur grand retour au printemps 2021. Pour autant, les montants versés sont restés très inférieurs à leurs niveaux de 2019 compte-tenu de restrictions toujours nombreuses. Le retour à la normale devra attendre les résultats des stress tests bancaires, publiés le 31 juillet prochain par l’Autorité bancaire européenne. Si ceux-ci se révèlent concluants pour la plupart des établissements, comme attendu, la BCE pourra enfin lever les restrictions qui s’appliquent depuis le début de la crise sanitaire.

La suppression des dividendes, un signal d’alarme maladroit

Le 27 mars 2020, la Banque centrale européenne a en effet « recommandé » aux banques de la zone euro de suspendre le versement de leurs dividendes, y compris lorsque ceux-ci avaient été annoncés de longue date. Le but ? Préserver leurs fonds propres pour protéger leur solvabilité en cas de crise économique profonde. La BCE estimait à l’époque que la pandémie de Covid-19 se traduirait par un effondrement des fonds propres bancaires.

Le soutien financier massif apporté aux entreprises et aux particuliers pendant la crise a permis d’éviter la vague de défauts de paiement tant redoutée. Les niveaux de fonds propres réglementaires sont parvenus à rester globalement stables tout au long de l’année 2020. En revanche, l’interdiction des dividendes a eu un effet bien réel sur les cours de bourse des établissements bancaires. Après leur chute initiale de février-mars, ceux-ci ont accentué leur repli jusqu’en mai 2020, voire jusqu’à l’automne, à contre-courant du rebond des marchés.

La suppression des dividendes a en effet constitué un inquiétant signal de détresse pour le secteur. Dans un univers bancaire pourtant très régulé pour faire face aux pires crises, l’adoption de cette mesure aussi inédite qu’inattendue a donné l’impression que les régulateurs avaient perdu confiance dans leurs propres règles prudentielles. La banque centrale disposant d'informations sur les banques que le marché ne possède pas, les investisseurs ont pu craindre le pire. En criant au feu, les pompiers de la banque centrale ont alimenté un mouvement de panique, alors même que l’incendie n’a pas eu lieu.

Des conséquences négatives à long terme

Les conséquences de cet épisode ne sont pas neutres pour le secteur bancaire. Les investisseurs ont pris conscience que leur dividende pouvait être suspendu sans préavis en cas d’inquiétudes économiques. Pouvant craindre la répétition de mesures semblables lors de futurs soubresauts du marché, ils auront désormais tendance à augmenter la décote appliquée sur les valeurs bancaires pour tenir compte de ce risque latent.

Loin d’être une simple question de frustration des actionnaires, le sujet cache un problème plus grave, celui du coût du capital et de son accès pour les établissements de crédit.

La capacité du secteur à lever du capital dans de bonnes condition pourrait en effet s’en trouver réduite. En voulant protéger les banques à court terme, la BCE a réduit leur capacité à se financer dans de bonnes conditions. Et ceci, alors que les banques sont déjà confrontées à des problèmes de rentabilité liés à la faiblesse des taux, à l’évolution des usages bancaires (digitalisation) et à la concurrence des Fintechs, qui les amènent à annoncer des restructurations en série (fermetures d’agences, réductions d’effectifs).

Le bilan des suppressions de dividendes est donc des plus mitigés, d’autant plus que la rétention de capital au bénéfice des banques s’est révélée très symbolique. Les dividendes annuels du secteur bancaire européen représentent en effet 0,5% à 0,6% de capital réglementaire (moins de 5% des fonds propres bancaires). Leur suppression n’aurait donc eu qu’un faible impact sur la préservation des réserves bancaires en cas de crise « forte ».

Une pratique à bannir pour mieux gérer les prochaines crises

La levée des restrictions semble désormais acquise pour la fin juillet et les établissements de crédit seront bientôt en mesure de renouer avec leurs rendements d’avant-crise, pluriannuels dans certains cas. Il faut en effet s’attendre à une importante progression des dividendes et rachats d’actions au sein du secteur bancaire pour compenser l’absence prolongée de rémunération des actionnaires. Ce mouvement devrait être un catalyseur important dans les mois à venir pour l’ensemble du secteur en Europe.

Mais il faut en réalité surtout espérer que ce « retour à la normale » s’accompagnera d’un rétablissement de la stabilité réglementaire. La régulation bancaire est en effet une question de prévisibilité et de proportionnalité, à l’opposé de la soudaineté des annonces de mars 2020. Le Parlement européen s’interroge désormais sur la nécessité de légiférer sur le sujet pour donner un cadre légal à cette pratique. La BCE semble toutefois avoir pris conscience des écueils de cette politique, à en croire une lettre du 18 mai 2021 envoyée à deux députés européens par Andrea Enria, président du conseil de surveillance de la BCE :

« Les avantages d’une restriction des dividendes doivent être soigneusement évalués face à ses inconvénients. (…) À la lumière de cette expérience, je ne vois pas de besoin clair et impérieux de doter les autorités de contrôle du pouvoir d'imposer des restrictions générales et juridiquement contraignantes sur les dividendes (…). Un tel processus irait à l'encontre d'autres initiatives législatives importantes visant à compléter l'architecture de l'union bancaire. »

Un engagement ferme de la BCE de ne plus avoir recours à cette pratique serait bienvenu pour rétablir la confiance des investisseurs dans le secteur bancaire à moyen terme.

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analyste-gestionnaire chez Lazard Frères Gestion, spécialiste du secteur bancaire

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