Prise de décision : un challenge commun pour l’entreprise et l’armée

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Par Christian Morel Modifié le 28 juin 2012 à 12h09

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L’effacement de la hiérarchie s’observe ailleurs que dans le cockpit. En France, sur les bases aériennes, l’officier de sécurité des vols, qui ne possède pas nécessairement un grade élevé, a ainsi le pouvoir d’annuler des vols prévus sans en référer au commandant de la base.

Au cours d’un entretien avec un officier supérieur de l’armée de l’air en février 2011, celui-ci m’a confié : "J’ai vu une fois un officier de sécurité des vols jeter par terre toutes les fiches qui annonçaient les vols de la journée sur le présentoir accroché au mur ! Une autre fois, un haut gradé de l’état-major est venu pour une démonstration. Il a dit à l’officier de sécurité des vols que sa présence ne devait pas l’empêcher d’annuler des vols si nécessaire."

Autre exemple, au moment du lancement d’une fusée Ariane, trois techniciens ont pour mission d’annuler toute la procédure en cas de problème. Afin qu’il n’y ait aucune interférence de la hiérarchie, ils sont placés dans un local isolé et sont privés de tout moyen de communication, y compris du téléphone. On s’assure de la sorte que leur décision ne risquera pas de se trouver perturbée par la tentation d’en référer au management ou par des interventions directes de ce dernier. La forte atténuation de la hiérarchie est ici intégrée matériellement dans la configuration du système de décision.

Après son rôle dans la révolte arabe puis en Afghanistan, le lieutenant-colonel Lawrence exerça au sein de la Royal Air Force des responsabilités dans l’organisation des sauvetages des équipages d’hydravion. Comme le rapportent ses biographes, Phillip Knightley et Colin Simpson, il a assisté, le 4 février 1931, à un grave accident d’hydravion.

L’Iris S238 rentrait à la base, ayant effectué son premier vol après révision. Il y avait douze hommes à bord et le "wing commander", C.G Tucker était aux commandes de l’appareil mais n'avait aucune expérience des hydravions car en stage d'instruction. Son pilote, le "flight lieutenant" M.Ely, excellent dans son domaine, possédait une grande habitude du pilotage de ces machines.
Mais il n’était que capitaine et Tucker lieutenant-colonel. La journée était belle, ensoleillée, la mer calme et le vent faible. Vers 11h30, l’Iris s’apprêtait à amerrir.

Lawrence, debout sur le quai à Mount Batten, observait l’appareil qui sortait de la brume légère, dessinait un cercle au-dessus de sa tête. Il volait normalement. Tucker réduisit les gaz et raccourcit sa descente comme pour amerrir. Puis l’avion frappa l’eau, juste sous le siège du pilote, à l’avant près de l’étrave. La queue de l’appareil tomba à gauche; les ailes s’écrasèrent sur l’eau et se replièrent. La coque plongea droit au fond...

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Christian Morel est docteur en sciences politiques, diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques. Il a accompli toute sa carrière comme cadre dirigeant en entreprise. Il a mené parallèlement une réflexion sociologique sur les processus de décision, qu'il poursuit aujourd'hui. Il a déjà publié aux Editions Gallimard "Les décisions absurdes" (2002) et "L'Enfer de l'information ordinaire" (2007).

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