Avec les effets conjugués de l’allongement de l’espérance de vie et du papy-boom, la part des seniors au sein de la population française ne cesse de progresser chaque année. Comment faire face au défi de la perte d’autonomie et du grand-âge ? Si l’importance du lien social, de l’accompagnement médical et des financements publics sont cruciaux pour répondre à ces enjeux, un rapport conjoint de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG) et de la Fédération Hospitalière de France (FHF) pointe l’intérêt présenté par les nouvelles technologies au service de la dépendance.
Une filière économique porteuse de solutions nouvelles
Le 22 octobre 2018, la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a souhaité donner une impulsion nouvelle à la filière économique des seniors avec la création du Conseil National de la Silver Economie (CNSE) piloté par Luc Broussy, le président de France Silver Eco. Le but est de fédérer l’ensemble des acteurs du secteur, de générer et d’accompagner des projets innovants afin d’adapter la société au vieillissement. Si plusieurs start-up soutiennent déjà le maintien à domicile à l’image de portails comme Bonjoursenior.fr, certaines initiatives proposent des solutions innovantes pour les établissements spécialisés dans l’accueil des seniors.
C’est dans ce cadre qu’en mars dernier, le CNSE invitait Jean-Pierre Aquino, médecin gériatre et secrétaire général de la SFGG et Marc Bourquin, conseiller stratégie à la FHF, à réfléchir à l’intérêt de l’innovation numérique et technologique au sein des Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). Présenté le 20 juin, le rapport rend compte des remarques et préconisations de vingt-et-un professionnels de la Silver économie interrogés pour l’occasion.
La révolution technoscientifique touche un grand nombre de domaines d’activité et a impulsé la création de nouveaux secteurs : Fintech, Edtech, Healtech, Biotech, Foodtech… Ces nouveaux savoir-faire permettent de répondre à des problématiques spécifiques grâce à des innovations technologiques. Parfois mal réfléchies ou peu adaptées aux questions du grand âge, ces solutions ont trouvé un nouvel élan avec la silvertech. Ces technologies au service des seniors peinent pourtant à se faire une place dans les établissements de soins et de services pour personnes âgées.
Plusieurs raisons expliquent le phénomène et soulèvent de nombreuses questions :
- Les “techno-sceptiques” mettent en avant le risque de déshumanisation de l’accompagnement des personnes âgés. D’après le rapport de la CNSE, l’acceptation de la technologie et du numérique en gérontologie permettrait pourtant de faciliter certains services et soins et d’améliorer le rapport patient / aidant / soignant.
- Les innovations technologiques ne sont que très peu prises en compte dans les politiques publiques. Le rapport Libault de mars 2019 sur la dépendance souligne ce manque en matière de numérique et d’intelligence artificielle dans les problématiques du grand âge.
- La difficulté de soutenir les solutions technologiques et numériques dans le cadre économique actuel. Si de nombreuses start-up proposent des solutions concrètes et efficaces, elles rencontrent toujours des difficultés pour se faire une place sur un marché national.
Nouvelles technologies et grand âge, état des lieux
Le rapport du CNSE dresse plusieurs constats face aux innovations technologiques et numériques pour le grand âge :
- L’importance de proposer des solutions en s’appuyant non pas sur l’offre disponible mais sur les besoins de la population. Le bien-vieillir repose sur plusieurs besoins fondamentaux auxquels il est crucial de répondre : la prévention et la santé, la sécurité, la mobilité et l’accessibilité, la communication et le renforcement du lien social,
- Proposer des outils répondant aux besoins tout en permettant aux professionnels de santé de bénéficier de solutions efficaces et ergonomiques,
- Combattre l’idée reçu que grand-âge et nouvelles technologies sont incompatibles. Bien accompagnées, les personnes âgées s’approprient les innovations proposées et ce d’autant plus, lorsque celles-ci contribuent à l’amélioration de leur qualité de vie.
- Modifier le regard souvent négatif sur le vieillissement qui reste associé à l’isolement, la maladie ou la fin de vie. L‘espérance et la qualité de vie augmentant, les seniors sont amenés à rester actifs plus longtemps dans les années à venir. Par ailleurs, l’image péjorative de la vie en EHPAD renforcée par plusieurs cas de maltraitance ne doit pas jeter l’opprobre sur l’ensemble du système même s’il est essentiel de répondre aux besoins en personnel et aux difficultés de recrutement dans ce secteur.
- Faire face aux divergences des professionnels de l’âge au sujet de l’intérêt présenté par l’innovation technologique. Levier prometteur pour certains, elle constitue pour d’autres, une menace sur la qualité et la quantité d’emplois.
- L’importance de bien penser l’accompagnement des utilisateurs visés par les concepteurs de nouvelles technologies afin de les acculturer à l’usage de ces nouveaux outils.
- L’absence de stratégie axée sur les nouvelles technologies dans les établissements de personnes âgées ou les services d’aide à domicile.
Répondre aux besoins avec le pack technologique
Face à cet état des lieux, la FHF et la SFGG préconisent plusieurs pistes et solutions. Leur principale recommandation concerne le déploiement d’un “pack technologique” dans les structures d’hébergement pour personnes âgées –EHPAD, Unités de Soins de Longue Durée (USLD), résidences autonomie, résidences seniors...– mais aussi auprès des services d’aide à domicile.
Ce pack prône l’usage combinée des technologies domotiques pour aider au maintien de l’autonomie (volets roulants, fauteuils électriques, lève-personnes…), de dispositifs de « levée de doute » pour sécuriser l’environnement (systèmes de détection de chute, applications de géolocalisation…), de dispositions pour un meilleur suivi du parcours de soins (dossier patient informatisé, télémédecine, pilulier connecté…), d’outils de lutte contre les troubles cognitifs et l’isolement afin de soutenir le lien social (robots sociaux, réalité virtuelle …).
L’un des enjeux majeurs de la Silver économie consiste à rassurer les acteurs de la filière sur son potentiel de création d’emplois, son image restant trop souvent associée au remplacement du personnel humain par des machines. Or, il ne s’agit pas de se substituer à l’existant mais de compléter l’offre en proposant des solutions nouvelles.
Le second défi consiste à mettre en place un accompagnement des personnes âgées aux nouvelles technologies répondant à leurs besoins.
Un déploiement progressif avec le soutien des pouvoirs publics
On estime à 3,5 milliards d’euros dans les dix ans à venir, l’investissement nécessaire pour intégrer ces nouvelles technologies aux structures d’hébergement et d’accompagnement des seniors. D’après le CNSE, ce coût pourrait être financé à 50 % par des subventions provenant du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) ou des Conférences des Financeurs. Le budget des établissements et services serait également revu à la hausse avec 600 millions d’euros supplémentaires alloués pour financer des postes de référents en technologie mais aussi pour intégrer ces nouvelles technologies et équipements à chaque établissement.